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Un nouvel assassinat de militante écologiste au Honduras fera-t-il enfin cesser l'impunité ?

Catégories: Amérique latine, Honduras, Dernière Heure, Droits humains, Environnement, Ethnicité et racisme, Médias citoyens, Peuples indigènes
La Paz, Honduras. Fotografía tomada de Wikimedia Commons. Del Dominio Público. [1]

La Paz, Honduras. Photo Wikimedia Commons. Domaine Public.

 ¡Lesbia Yaneth vive, la lucha sigue!
¡Berta vive, la lucha sigue!

Lesbia Yaneth vit, la lutte continue!
Berta vit, la lutte continue!

Cette phrase marque la fin du communiqué [2] publié par le Conseil civique des organisations populaires et indigènes du Honduras (Consejo Cívico de Organizaciones Populares et Indígenas de Honduras [3] – COPINH) dans son blog qui dénonce l’assassinat de Lesbia Yaneth Urquía, dirigeante communautaire tuée au Honduras [4]. L’enquête sur cet assassinat est actuellement en cours, et des mobiles politiques sont soupçonnés. Néanmoins, pour les militants écologistes au Honduras et ailleurs, ceci est un meurtre politique qui secoue le pays alors qu’il est toujours en train de se remettre de celui de Berta Cáceres [5], militante et membre du COPINH assassinée il y a quatre mois.

Malgré le silence sur des mobiles politiques [6] de l’assassinat au début des enquêtes officielles, la mort de Lesbia Urquía a été condamnée au niveaux national et international [7] comme un coup de plus à la lutte écologiste dans la région. Peu après on a appris que parmi ceux qui sont impliqués se trouve un employé [8] d’une des compagnies en charge du projet hydroélectrique faisant.

Les controverses sont nombreuses et l’indignation est généralisée. Au-delà des débats, la mort d’Urquía a poussé les Honduriens et les défenseurs des droits humains à souligner l’insécurité des militants écologistes et la grave situation des droits humains dans le pays.

Les conflits entre les organisations indigènes, l’Etat et les multinationales sont concentrés sur l’utilisation des terres et des rivières. Pour la population locale, l’exploitation des ressources se déroule souvent sans leur accord et à leur détriment. Entre autres, le Mouvement Indigène Lenca de La Paz (Movimiento Indígena Lenca de La Paz – MILPAH), a indiqué [9] que les multinationales obtiennent des licences écologiques de manière illégale, sans la consultation libre et publique requise par la convention 169 de l’Organisation internationale du travail [10], qui concerne les peuples indigènes et tribaux, signée par l’Etat hondurien.

Les communautés locales surveillent les projets pour vérifier qu’ils ne nuisent pas à leur survie, et demandent à’être consultées avant la prise des décisions pour qu’elles puissent en bénéficier. Pour se faire entendre, elles ont organisé des manifestations [11] et des barrages routiers pour rejeter le passage en force de l'administration et empêcher certains travaux, comme les chantiers de projets hydroélectriques dans le département de La Paz [12].

Après l’assassinat d’Urquía, le COPINH a accusé formellement le gouvernement hondurien, et l'armée et la police de complicité, et enfin,  toutes les institutions publiques d'intimidation permanente avec pour but la réalisation des projets qui nuisent directement au bien-être des communautés locales. La pression s’intensifie et le COPINH exige que le gouvernement réponde et écarte l’impunité qui a engendré le nombre alarmant de meurtres dans le pays. Beaucoup de gens sont venus aux obsèques de Lesbia Urquía, ce qu’on peut voir dans une vidéo partagée par la chaine médiatique Hondured 13 [13] :

Des organisations écologistes comme CENSAT Agua Viva ont lancé un appel [14] pour éviter que l’impunité empêche des enquêtes sur les assassinats d’Urquía et de Cáceres, et donc renforce la persécution des défenseurs écologistes :

Hacemos eco de las exigencias del COPINH en búsqueda de justicia para que los feminicidios de Lesbia y de Berta Cáceres no queden en la impunidad.  Hacemos un llamado urgente al Estado hondureño para que adelante las investigaciones pertinentes para castigar a los responsables de estos hechos y a su vez, permita la reacción de una Comisión Independiente de Expertos liderada por la Comisión Interamericana de Derechos Humanos que investigue el asesinato de Berta Cáceres.

Exigimos al Estado hondureño que cese la persecución y la violación de derechos humanos de las defensoras y defensores de la naturaleza, que expulse e investigue con celeridad a los miembros de fuerzas policiales y militares involucrados en crímenes en su contra, e implemente todas las medidas necesarias para que sus instituciones cumplan con las obligación de protegerles e impulsar su legítima labor de defensa.

Nous nous faisons l’écho des appels du COPINH en quête de justice, pour éviter que les féminicides de Lesbia et Berta Cáceres ne restent pas dans l’impunité. Nous lançons un appel urgent à l’Etat hondurien de faire avancer les enquêtes pertinentes pour que les responsables de ces crimes soient punis et, à son tour, de permettre à une commission indépendante d’experts dirigée pas la Commission interaméricaine des droits humains d’enquêter l’assassinat de Berta Cáceres.

Nous exigeons que l’Etat hondurien arrête la persécution et les violations des droits humains contre les défenseurs et défenseuses de la nature, qu’il expulse et investigue avec célérité les membres des forces policières et militaires impliqués dans les crimes, et qu’il mette en peuvre toutes les mesures nécessaires pour que ses institutions assument leurs responsabilités de protéger les écologistes et encourager leur travail légitime.

L’Initiative mésoaméricaine des Femmes défenseuses des droits humains (Iniciativa Mesoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Humanos [15]) a réalisé une infographie des agressions commises dans la région contre les défenseuses écologistes. Voici la publication sur leur compte Twitter [16] :

AlerteDefenseurs Mettez fin aux agressions contre les militants de défense des droits humains en Amérique Centrale

De la même manière, le Réseau Latino-Américain des femmes défenseuses des droits sociaux et environnementaux (Red Latinoamericana de Mujeres Defensoras de Derechos Sociales y Ambientales [22])  a déclaré [23] avec véhémence :

Exigimos al gobierno Hondureño que cesen los asesinatos a defensores de la naturaleza. Basta de matarnos por defender nuestros derechos.

Pedimos a la comunidad internacional que garanticen los derechos de los y las Defensoras en nuestro legítimo ejercicio; y en el caso particular de Honduras que los asesinatos ocurridos como el de Berta Cáceres y el de Lesbia Yaneth Urquia se investiguen y castiguen con severidad para terminar con la impunidad.

Nous exigeons que le gouvernement hondurien mette fin aux assassinats des défenseurs de la nature. Arrêtez de nous tuer pour avoir défendu nos droits.

Nous demandons que la communauté internationale garantisse les droits des défenseurs et défenseuses dans l’exercice de notre travail légitime ; et que, surtout dans le cas du Honduras, les assassinats comme ceux de Berta Cáceres et Lesbia Yaneth Urquia fassent l'objet d'enquêtes et les auteurs sévèrement châtiés pour en finir avec l’impunité.

Des statistiques alarmantes

Les militants écologistes en Amérique Latine en général, et surtout dans le cas du Honduras, sont les cibles de persécution et violences. Dans ces pays les multinationales, souvent alliées aux pouvoirs politiques ou économiques, cherchent à exploiter les diverses ressources naturelles locales. Les résultats de ces contestations sont des chiffres alarmants. D’après Global Witness, dans son rapport En terreno peligroso [24] (“En terrain dangereux”), « 185 meurtres ont été documentés l’année dernière [2015] dans le monde entier, un chiffre annuel qu’on croit être le plus élevé jusqu’à présent […] Les graves restrictions sur les informations impliquent que, sans doute, le chiffre véritable est encore plus élevé. »

Selon l’introduction du rapport de l’organisation ¿Cuántos más? [25] (« Combien de plus ? »), le Honduras se trouve dans une position inquiétante quant  aux statistiques. En plus, les assassinats se produisent dans des circonstances qui, avec les limitations sur les informations, rendent plus difficile les enquêtes et aggravent l’impunité :

Each week at least two people are being killed for taking a stand against environmental destruction. Some are shot by police during protests, others gunned down by hired assassins. As companies go in search of new land to exploit, increasingly people are paying the ultimate price for standing in their way.

We found that at least 116 environmental activists were murdered in 2014 – that's almost double the number of journalists killed in the same period. A shocking 40 % of victims were indigenous, with most people dying amid disputes over hydropower, mining and agri-business. Nearly three-quarters of the deaths we found information on were in Central and South America.

Globally, it’s likely that the true death toll is higher. Many of the murders we know about occurred in remote villages or deep within the jungle, where communities lack access to communications and the media. It’s likely many more killings are escaping public records.

Chaque semaine au moins deux personnes sont tuées pour avoir pris position contre la destruction écologique. Certaines sont assassinées par balle par la police pendant les manifestations, d'autres par des tueurs à gages. Alors que les compagnies cherchent des nouvelles terres pour exploiter, de plus de plus de personnes souffrent les conséquences de s’y opposer.

Nous trouvons qu’au moins 116 militants écologistes ont été assassinés en 2014 – ce qui est presque deux fois le nombre de journalistes tués pendant la même période. Une choquante proportion de 40% des victimes étaient indigènes, et la majorité de ces personnes sont mortes à cause des disputes sur l’énergie hydroélectrique, les mines, et les affaires illégales liées à l’agriculture. Près de trois quarts des meurtres sur lesquels nous avons trouvé des informations ont eu lieu en Amérique Centrale et du Sud.

Le vrai chiffre est probablement plus élevé. Beaucoup des meurtres dont nous avons connaissance se sont produits dans des villages isolés ou en plein jungle, où les communautés manquent d’accès aux communications et aux médias. De plus, il est probable qu’il y ait beaucoup d’autres meurtres qui restent inconnus du public.

Dans son rapport « Terreno peligroso [24] », 185 meurtres au total sont documentés pour l’année 2015, 60% de plus qu’en 2014. Parmi ceux-ci, 66% (122) ont eu lieu en Amérique Latine.

Entre-temps, d'autres organisations [26] comme l’Organisation des Nations Unies et l’Union Européenne [27], ainsi que des individus sur les réseaux sociaux [28], continuent de s’exprimer, alors que les Honduriens se demandent : que faut-il pour finalement en finir avec ce fléau ?