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Une dérive, les ‘dégâts collatéraux’ des révélations de WikiLeaks

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Amérique du Nord, Arabie Saoudite, Etats-Unis, Turquie, Cyber-activisme, Droits humains, LGBTQI+, Média et journalisme, Médias citoyens, Technologie
Wikileaks Van on Capitol Hill [1]

Photo d'une ‘unité mobile de collecte d'informations’ de WikiLeaks via Flickr (CC BY 2.0)

Quand WikiLeaks [2] a publié récemment plus de 61 000 fichiers du ministère saoudien des Affaires étrangères, il a rendu publiques des communications et des informations confidentielles éclairantes, qui permettent de découvrir le fonctionnement interne de la diplomatie saoudienne. Il a également publié au moins 124 dossiers médicaux confidentiels et d'autres informations personnelles de simples citoyens, selon une dépêche du 23 aout de l'agence Associated Press [3].

Deux des rapports médicaux révèlent l'identité de deux mineures victimes de viol. Un autre fichier révèle l'identité d'un citoyen saoudien déjà arrêté pour homosexualité, L'agence AP qualifie de “décision incroyable” de la part de WikiLeaks la publication de ces informations sur un ressortissant d'un pays où les homosexuels sont exclus, emprisonnés, torturés [4] et même assassinés [5].

De nombreux internautes ont immédiatement exprimé leur indignation sur les réseaux sociaux. Joey Ayoub [6], éditeur de Global Voices pour la région Moyen Orient-Afrique du Nord, rappelle que les ‘fuites’ peuvent être littéralement mortelles pour certains.

Ces fuites peuvent couter la vie à certains. Vraiment répugnant. “Des vies privées ont été rendues publiques quand @WikiLeaks [2] a déversé ses secrets”

L'historienne et archéologue Sara E. Palmer [9] appelle l'incident un cas de doxxing [10], c'est-à dire la publication des informations personnelles d'une personne (son adresse, son numéro de téléphone, son numéro de carte d'identité) sans son autorisation, et souvent avec l'intention de nuire.

On n'en est plus au combat pour la liberté, c'est juste du doxxing, du mauvais doxxing.

WikiLeaks est entré dans l'actualité en avril 2010 en rendant publiques des vidéos de deux hélicoptères américains Apache lors d'une frappe aérienne sur Bagdad, le 12 juillet 2007. La frappe avait fait douze morts (estimation) dont deux journalistes de l'agence Reuters [13]. Une vidéo était intitulée  : “Collateral Murder [14]“. Elle a immédiatement fait scandale, et fait connaitre Wikileaks dans le monde entier.

La mission de WikiLeaks – révéler les abus de pouvoir, se battre pour la transparence de l'information – lui a valu un ample mouvement de sympathie. Par le passé, un porte-parole de l'organisation avait insisté sur le fait que WikiLeaks faisait tout pour protéger les simples citoyens d'éventuelles conséquences de la publication de documents secrets.

“Nous avons une politique de réduction des risques,” avait déclaré Julian Assange lors d'un séminaire [3] à Oxford, en juillet 2010. “Il y a des secrets légitimes. Votre dossier médical chez votre médecin, c'est un secret légitime.”

Mais soumis à des pressions toujours plus fortes, et à un succès médiatique toujours plus grand, WikiLeaks a multiplié les violations d'informations confidentielles de personnes qui ne sont pas des personnalités publiques.

Donc, maintenant, WikiLeaks publie les dossiers médicaux des gens. Et ils haussent les épaules. Est-ce que quelqu'un pense encore que c'est une bonne chose ?

Le 22 juillet 2016, WikiLeaks a publié des milliers de mails [17] subtilisés des serveurs de la Convention nationale démocrate aux Etats-Unis. Ils exposaient au grand jour les manœuvres pour saper la campagne électorale de Bernie Sanders et orienter la primaire en faveur de Hillary Clinton. Mais les mails révélaient aussi [18]  l'identité complète, les adresses, les numéros de téléphone, les numéros de passeport et les numéros de sécurité sociale de certains donateurs du parti démocrate. Deux des personnes dont l'identité a été publiée ont déclaré à l'agence AP qu'elles avaient par la suite été victimes de vol d'identité.

Dans une autre affaire, WikiLeaks a rendu publics des centaines de mails du parti AKP [19] en Turquie, le parti de l'actuel président Recep Tayyip Erdoğan. Les mails ont été passés au peigne fin par des journalistes et des activistes en Turquie. Selon eux, ils sont pour la plupart sans intérêt pour l'investigation. [20] La chercheuse turque sur les nouveaux médias, Zeynep Tufekci [21], a écrit :

WikiLeaks also posted links on social media to its millions of followers via multiple channels to a set of leaked massive databases containing sensitive and private information of millions of ordinary people, including a special database of almost all adult women in Turkey.

WikiLeaks a aussi publié des liens sur les réseaux sociaux pour ses millions de followers, sur de multiples plateformes, vers une série de bases de données piratées, qui contiennent des informations sensibles et privées de millions de citoyens ordinaires, dont une base de donnée où se troue les identités de presque toutes les femmes adultes turques. Dossiers médicaux, dettes, informations personnelles…WikiLeaks traite la sécurité et la vie privée des gens ordinaires comme des dégâts collatéraux.

Il faut ajouter, comme l'avait relevé le site Advox de Global Voices, l'an dernier [24], que certains fichiers diffusés par Wikileaks contenaient des pièces jointes infectées. Les ‘fuites’ du parti APK et de la ‘Hacking Team’, publiées en 2015, contenaient des virus.

Les livraisons chaotiques de WikiLeaks dévoilent des informations personnelles sensibles qui peuvent permettre d'identifier les personnes, et maintenant, des virus.

Des associations de défense des droits l'homme ont demandé des explications à WikiLeaks. Après la diffusion du Afghan War Diary [27] sur la guerre en Afghanistan, Amnesty International et d'autres associations  [28]avaient déjà demandé que les noms des civils afghans qui travaillaient comme informateurs de l'armée américaine soient supprimés, pour les protéger de représailles.

La réponse de Julian Assange avait été :  “Je suis très occupé et je n'ai pas de temps à perdre avec des gens qui ne font rien, à part protéger leurs arrières.” Le nombre de personnes menacées par la publication non anonymisée de documents secrets augmente. On ne sait pas si Julian Assange saisit la sombre ironie de cette déclaration. Ce qui est clair, c'est que WikiLeaks a perdu le large soutien populaire qu'il avait eu à une époque.