Burundi : Le journaliste Jean Bigirimana toujours porté disparu et la crise politique demeure

OU EST JEAN BIGIRIMANA IWACU FRONT PAGE

La première page du journal Iwacu (n°385, 29/07/2016) : « Où est Jean ? »

Jean Bigirimana, journaliste burundais au journal Iwacu, est porté disparu depuis le 22 Juillet 2016. D’après ses investigations, Iwacu croit qu’il a été détenu par des agents de sécurité, ce qui est nié par les autorités.

Iwacu, une lueur d’espoir dans une situation très difficile pour les médias burundais, a mis son site web en noir et blanc toute la semaine dernière pour rendre hommage à son collaborateur disparu.

Cette crise a commencé lorsque le Président Pierre Nkurunziza a brigué un troisième mandat l’année dernière, suscitant des manifestations et des campagnes citoyennesDes témoins, des victimes ainsi que des militants locaux et des organisations des  droits de l'homme ont tous fourni des cas documentés de détention arbitraire, de torture systématique et de meurtres d’opposants, malgré les dénégations des représentants du gouvernement.

Le paysage médiatique du pays, autrefois dynamique, a subi un coup dur avec la réaction militarisée à l'opposition au troisième mandat du président, en particulier en dehors de Bujumbura. Les journalistes burundais et internationaux ont été accusés de parti-pris contre le gouvernement ou d'incitations à l'insurrection, ce qui en a fait des cibles des violences. Le directeur d’Iwacu, Antoine Kaburahe, est actuellement en exil en Belgique.

Avant son rôle au sein d’Iwacu, Jean, 37 ans, a travaillé avec Rema FM. Iwacu rapporte lorsqu’il était au Rwanda il avait écrit sur les vies des journalistes burundais en exil. Le Rwanda et le Burundi ont une histoire des tensions politiques, récemment exacerbées par la crise.

Le 22 juillet 2016, Jean est sorti de chez lui à la suite d’un appel venant d’une source dans le Service National de Renseignement (SNR). Il est porté disparu depuis ce jour-là. Son épouse, Godeberthe, a lancé un appel émouvant à sa libération, et certains médias ont essayé d'enquêter et d’attirer l’attention publique sur ce cas, en partageant largement des images en ligne.

Iwacu se dit déterminé à continuer ses recherches pour Jean. Ses journalistes ont commencé leur propre enquête, publiée en ligne, et espèrent porter plainte au tribunal. Pourtant, ceci pourrait s’avérer difficile au vu de la crise et des nombreux autres cas de mort et disparition qui restent sans enquête. L’organisation burundaise des droits humains, l'APRODH, a récemment rapporté que des sources policières et militaires, opposées à la situation actuelle, ont identifié 14 fosses communes, où se trouvent probablement certains des disparus.

Pendant leur enquête, deux corps torturés ont été trouvés, et finalement récupérés par la police. Après qu’elle a vu les deux corps, l’épouse de Jean a dit que son mari n’y était pas. Pourtant, ils ont été par la suite enterrés sans identification.

Choc rude pour les efforts de @iwacuinfo pour trouver Jean : nos rivières sont jonchées de corps de disparus

Le porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye, a déclaré que Jean n’était pas parmi les corps :

Cette nouvelle a suscité des inquiétudes, pas seulement pour Jean, mais aussi pour les autres corps inconnus possibles. Un internaute, Thierry Uwamahoro, a posé la question :

Si l’équipe de recherche de Jean ne s'était pas lancée sur sa piste, nous n’aurions rien su de ces 2 corps. Alors, combien d’autres corps y a-t-il ? #Burundi

Onze jours après la disparition du journaliste, Iwacu a critiqué le « silence assourdissant » de la police nationale et le manque apparent d’enquête. Iwacu a tenté de suivre la piste d’Abel Ahishakiye, avec qui Jean avait parlé par téléphone avant sa disparition, mais lui aussi, apparemment, a disparu.

Au début d’août, les collègues de Jean ont reçu des informations qu’il avait été détenu en secret dans la province de Muramvya. Le porte-parole de la police, Pierre Nkurikiye, l’a nié, et la Commission Nationale Indépendante des Droits de l'Homme a dit, le 6 août, qu’elle n’a trouvé aucune trace du journaliste dans la résidence du chef du SNR.

D’autres reporters ont été ciblés de façon similaire. Julien Barinzigo, journaliste au sein d’Oximity, a été arrêté le 17 juin et puis mis en liberté provisoire le 5 août. Gisa Steve Irakoze de Radio Buja FM a été arrêté par le SNR au début d’août, avant d’être libéré le 25 août.

Quelques-uns ne sont jamais revenus. La militante Marie-Claudette Kwizera, de l’organisation des droits humains Ligue Iteka, n’a pas été vue depuis décembre 2015, quand elle a été apparemment arrêtée par des agents de sécurité. Le président de l’APRODH, Pierre-Claver Mbonimpa, est en exil après avoir survécu à un attentat l’année dernière ; de plus, des membres de sa famille ont depuis été assassinés.

Le risque d’attaque a même suivi les reporters jusqu’en exil. Boaz Ntaconayigize, journaliste de Bonesha en exil à Kampala, a été poignardé le 31 juillet. Selon lui, des agents de sécurité étaient venus de Bujumbura pour infiltrer la communauté de refugiés et suivre les journalistes et militants. Boaz a aussi été interrogé par la police ougandaise.

Puisque beaucoup ont été portés disparus ou trouvés morts après leur arrestation, le déni officiel que Jean est en détention inquiète ses proches et collègues qui craignent que les autorités puissent cacher des informations sur sa localisation ou son décès. Le 25 août, la rédaction d’Iwacu a publié une “Lettre à Jean” qui exprime l’espoir de lui trouver mais leur peur du pire.

Cher Jean nous sommes tellement impuissants face à ceux qui ont fait de la mort leur spécialité.
(…)
Aujourd’hui nous n’avons que des mots.
Mais les mots sont plus forts que la mort.
Jean, ils ne gagneront pas !

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