“Nos ancêtres les Gaulois” revu par les historiens et les Antilles

Astérix et Obélix , gaulois via Aimer Béthune - domaine public

Astérix et Obélix , Gaulois via Aimer Béthune – domaine public

Nicolas Sarkozy a commencé sa campagne présidentielle et il n'est pas avare de déclarations surprenantes.

A la chasse aux votes sur l'aile droite de son parti politique, sa dernière  déclaration qui pose questions affirme que “dès que l'on devient Français, nos ancêtres sont Gaulois“. La déclaration est assez saugrenue à la base car il semble assez difficile de modifier son arbre généalogique en cours de route. Mais au delà de cette lecture littérale de la déclaration du candidat LR aux élections 2017,  la phrase “Nos ancêtres les Gaulois” a un historique et une signification qui est voulue par l'ancien président dans un contexte qui est déjà prône au clivage inter-communautaire et renforce l'impression d'un pays à deux vitesses.

Alors d'où vient la phrase “Nos ancêtres les Gaulois” et comment la comprendre ?

La phrase a été intégrée dans les livres d'histoire de la Troisième République (peu après 1870) sous l'impulsion d'Ernest Lavisse qui explique le choix ainsi:

Il y a dans le passé le plus lointain une poésie qu'il faut verser dans les jeunes âmes pour y fortifier le sentiment patriotique. Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Godefroi de Bouillon à Jérusalem, Jeanne d'Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes car c'est un malheur que nos légendes s'oublient

Le problème cependant, c'est que cette affirmation distillée dans les livres d'histoires jusqu’ aux années 80 est inexacte comme l’explique Suzanne Citron auteure du livre, Le Mythe national. L'histoire de France revisitée: 

Cette lecture du passé français à travers la grille d’une Gaule qui préfigurerait la ‘nation’ est obsolète et non sans effets pervers. D’une part elle conditionne spatialement le passé autour du seul Hexagone, excluant de ce passé tout ce qui géographiquement lui est extérieur, comme les Antilles ou même la Corse.

Elle confère à la durée de la présence sur le sol hexagonal présumé ‘gaulois’ une vertu quasi-magique au nom d’une antériorité généalogique qui serait synonyme de supériorité. D’autre part, et c’est le plus grave, l’idée d’une souche gauloise ethnicise fantasmatiquement la ‘véritable’ nation et nie la diversité raciale et culturelle qui a constamment accompagné la création historique de la France.

La Gaule celtique via contreculture - domaine public

La Gaule celtique via contreculture – domaine public

Mathilde Larrere, historienne des révolutions et de la citoyenneté, met en avant l'obsolescence de la phrase (déjà) durant la période coloniale:

Sarkozy se défend de la controverse grandissante en argumentant que :

Ça veut dire qu'il y a un roman national, que ce roman national ce n'est pas forcément la vérité historique dans son détail mais c'est un roman national peuplé de héros qui ont fait la France, et quand on est fils d'un hongrois ou fils d'un algérien et que vous arrivez en France, on ne vous apprend pas l'histoire de la Hongrie ou de l'Algérie, on vous apprend l'histoire de France. Le nivellement de la pensée unique sur le droit à la différence ça suffit.

Sarkozy place donc l'acceptation de cette histoire Gauloise pour tous comme une étape nécessaire à l'assimilation à la nation française. Alors justement, comment cette phrase de Nicolas Sarkozy est perçue par les Français qui n'ont aucun doute sur le fait que leurs ancêtres ne sont pas Gaulois ?

Dessin sur les ancêtres gaulois via Aimer Béthune - Domaine public

Dessin sur les ancêtres gaulois via Aimer Béthune – Domaine public

Thomas Snégaroff, professeur d'histoire,  cite le poète Martiniquais Aimé Césaire sur le sujet des “nos ancêtres les Gaulois”:

Quand vous lisez à 6 ans que vos ancêtres étaient des Gaulois, qu'ils étaient blonds aux yeux bleus…Et l'instituteur et nous mêmes nous rigolions. Nous étions avant tout des nègres et créolophones.

 Josette Borel-Lincertin, présidente du Conseil départemental de la Guadeloupe, dénonce de son côté une « vision étriquée de la France »:

La République que nous défendons c'est précisément celle qui parvient à célébrer l'unité dans la diversité et certainement pas celle qui imposerait une vision étriquée de la France, de son identité et de son histoire. Je regrette cette escalade verbale de candidats qui, dans leur course effrénée derrière les électeurs du Front national, arrivent à en adopter les thèses plus éculées, les plus rétrogrades et les plus ineptes du point de vue historique.

Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, évoque aussi les Français issus des anciennes colonies:

 dont les parents et les grands-parents se sont battus pour que nous soyons aujourd'hui un pays libre.  C’est une fiction scientifique, le peuple gaulois n’existait pas. C’est la composition de plein de peuples. La définition du citoyen français c’est de partager les valeurs de la France de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité.

Enfin, Myriam Cottias, responsable du premier Centre international français de recherche sur les esclavages explique pourquoi cette phrase est si lourde de sens caché aux Antilles lors d'une conférence sur l'esclavage:

(..) a choisi pour cette conférence le titre Nos ancêtres les Gaulois… La France et l’esclavage aujourd’hui. Pour les Antillais, cela fait sens. Je ne sais si tel est le cas au-delà des Antilles, mais la formule soulève une question très importante : la possibilité de resituer, dans un parcours historique, la relation des Antilles avec l’Hexagone pour essayer de penser une relation qui ne serait pas prise dans la relation coloniale. La traduction concrète [de nos ancêtres les Gaulois] est la suivante : les anciens esclaves deviennent des Français à part entière.  Voilà pourquoi « nos ancêtres les Gaulois », le mythe fondateur français, sera enseigné dans les colonies. Les Antilles sont devenues françaises et se sont structurées localement sur la base de l’oubli de l’esclavage. Il ne peut être qu’un mot d’ordre politique car c’est un oubli impossible, surtout lorsque les structures de travail demeurent les mêmes, que la hiérarchie raciale héritée de l’esclavage demeure la même. Ce qui n’avait pas été prévu, à mon sens, c’est que le discours universaliste, égalitariste de la République allait produire un tel oubli.

 

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