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Une infirmière australienne parle de son engagement pour les réfugiés en Grèce

Catégories: Océanie, Australie, Grèce, Macédoine, Népal, Philippines, Action humanitaire, Catastrophe naturelle/attentat, Médias citoyens, Migrations & immigrés
Helen Zahos with lifejackets on Lesbos [1]

Helen Zahos au milieu des gilets de sauvetage sur Lesbos. Photo reproduite avec l'aimable autorisation de Aussie Volunteers Helping Refugees in Greece (page Facebook)

Améliorer la vie des autres, c'est possible au niveau de chacun : pour preuve, le travail humanitaire d'Helen Zahos de bénévole au service des réfugiés. Infirmière aux urgences et ambulancière, elle est née en 1977 à Darwin, la capitale du Territoire du Nord australien. Elle a grandi sur Groote Eylandt dans le golfe de Carpentaria, où ses parents, des migrants grecs, travaillaient pour la compagnie minière de cette île.

C'est à Darwin qu'elle a fait ses éudes secondaires, obtenu son baccalauréat en sciences infirmières et fait ses études paramédicales. Helen est infirmière diplômée depuis 1999 et ambulancière depuis 2000. Elle se passionne pour la santé indigène et a travaillé dans les communautés aborigènes isolées du territoire des A.P.Y. [Anangu Pitjantjatjara Yankunytjatjara, en Australie-Méridionale] [2] de 2006 à 2009.

Helen a une vaste expérience de volontaire. En novembre 2013 elle a été envoyée aux Philippines dans le cadre de la réponse-post catastrophe après le typhon Haiyan [3]. L'année 2014 a vu les priorités d'Helen se déplacer vers la santé et la défense des réfugiés lors de son travail sur l’île Christmas [4] au centre de détention australien des demandeurs d'asile. Helen a ensuite mis à profit ses vacances pour être bénévole en Grèce avec Médecins du Monde durant la crise financière, donnant des soins médicaux aux retraités et aux personnes démunies. Elle a également travaillé au centre de détention de demandeurs d'asile de Nauru [5].

En avril 2015 Helen a contribué à l'intervention après le tremblement de terre au Népal avec la Non-Nepalese Residence Association, accédant aux zones isolées de Ghorka et Ahrket. En août 2015 quand les images de réfugiés inondaient les médias sociaux, Helen a fait campagne pour lever des fonds finançant du matériel médical, avant de s'envoler en septembre pour du volontariat avec Médecins du Monde Grèce [6] sur l'île de Lesbos. Là, elle a vu les milliers de réfugiés fuyant la Syrie et les pays à l'entour, et a contribué au travail médical. Le magazine australien Neos Kosmos [7] a publié en octobre 2015 un reportage sur les activités d'Helen :

L'infirmière bénévole grecque-australienne Helen Zahos témoigne sur la crise des migrants à Lesbos

Puis Helen a déplacé son activité sur la frontière entre la Macédoine (FYROM) [11] et la Grèce, et a assisté à la première fermeture de frontière et aux scènes d'émeutes qui lui ont rapidement succédé.

Depuis son retour en Australie, Helen a levé des fonds pour expédier des équipements d'urgence à Lesbos, donnés par l'organisation Ambulance Victoria. Actuellement, elle travaille comme infirmière aux urgences dans un hôpital de Gold Coast au Queensland.

Après une longue et extensive conversation sur vidéo, Helen a bien voulu répondre à quelques questions écrites sur ses expériences.

Kevin Rennie (KR): Racontez-nous votre enfance dans le Territoire du Nord. En quoi vos années de formation, notamment celles sur Groote Island, vous ont-elles préparée à votre travail de volontaire humanitaire ?

Helen Zahos (HZ): Groote Eylandt était, à la fin des années 70 et dans les années 80, un endroit formidable pour vivre son enfance. C'était une petite communauté avec un esprit collectif chaleureux, et j'ai grandi en faisant partie intégrante de cette ambiance de collectivité. Des organisations comme le Lions club et les Guides Jeunes Filles étaient très actives sur l'île, et il y avait toujours des collectes d'une sorte ou d'une autre auxquelles je participais. La compagnie minière de Groote Eylandt était le principal employeur de l'île, et attirait une nombreuse main d'oeuvre de divers horizons, depuis les habitants originels de l'île jusqu'aux migrants du monde entier. Mes camarades de classe à l'école locale d'Alyangula étaient tous de différentes origines et cultures.

KR: Dans une de vos interviews vidéo, vous dites que “les réfugiés sont des êtres humains… comme vous et moi”. Racontez-nous quelques-unes de vos rencontres qui illustrent cela.

HZ: J'ai fait tellement de rencontres dont j'ai pensé que cela aurait pu être moi, ou ma mère ou mon père.

J'ai parlé à des professeurs qui avaient fui sous la menace d'une arme, et qui espéraient se réinstaller en Allemagne et enseigner à nouveau un jour la gymnastique. Il y a eu ce professeur d'université qui m'a aidée un jour dans la tente-hôpital où nous avons examiné des centaines de gens. Comme notre interprète était malade ce jour-là, il l'a remplacé et était honteux et gêné de porter les mêmes habits et de ne pas avoir changé de chaussettes depuis trois semaines.

J'ai parlé avec une maman qui était enseignante, son mari avocat, elle était enceinte et accompagnée d'un garçonnet de 4 ans. Elle avait laissé son mari derrière elle.

J'ai aidé une dame qui avait emporté sa propre chimiothérapie, après avoir vu son père subir des chimiothérapies jusqu'à sa mort. Je n'arrivais pas à croire que nous la mettions en oeuvre dans une tente sale et poussiéreuse, sans machinerie ou équipement de monitoring, sans couvertures ou tasses de thé pour rendre plus confortable la thérapie de cette femme. Quelle cruauté… chacun avait son histoire et chacun touchait une corde sensible.

KR: Vous parlez du sentiment de trahison de certains Grecs qui voient dans votre travail avec les réfugiés une menace. Quels seraient les moyens de combler ce fossé ?

HZ: Il y a beaucoup de raisons qui font que des Grecs sur place voient les réfugiés comme une menace et je pense que c'est la peur qui en est le plus grand catalyseur. J'ai entendu beaucoup de propos du genre ‘pourquoi elle les aide (les réfugiés) au lieu des Grecs qui souffrent de la crise financière ?’ Souvent ceux qui disent cela oublient que j'ai été bénévole en particulier pour les Grecs de là-bas dans une policlinique où les retraités et les défavorisés pouvaient accéder aux soins et aux médicaments. J'ai envoyé du matériel et aidé des dispensaires locaux qui sont au service des Grecs.

Je crois que la situation en ce moment est catastrophique en ce que les réfugiés piégés en Grèce par les fermetures de frontières ne veulent pas être en Grèce. Leur but était d'aller dans d'autres pays d'Europe avec de meilleures perspectives de travail et d'enseignements que ce que peut offrir la Grèce et de retrouver des membres de leur famille. De nombreux Grecs dans le pays ne veulent pas des réfugiés parce qu'ils craignent les pertes d'emploi, l'accroissement de la criminalité et des dépenses publiques pour loger, nourrir et soigner, dans un pays qui croule déjà sous ses propres difficultés financières.

Tant qu'il n'y aura pas de réponses plus définitives sur ce qui va se passer pour les plus de 80.000 réfugiés coincés en Grèce, les opinions des gens du cru ne changeront pas. Beaucoup de Grecs se rappellent la guerre, quand c'étaient les Grecs qui arrivaient en bateaux par milliers, c'est pour cette raison que beaucoup de Grecs plus âgés sont tolérants et compréhensifs, et montrent de l'empathie pour les réfugiés syriens.

KR: De quelles façons le temps que vous avez passé dans les centres de détention de demandeurs d'asile de l'île Christmas et de Nauru influe-t-il sue votre décision de volontariat ?

HZ: Ma période de travail à l'île Christmas et à Nauru m'a pemis de parler avec les réfugiés et les demandeurs d'asile, d'entendre leurs histoires et d'acquérir une notion de ce qu'ils ont fui. Sans ce temps passé dans les centres de détention, je ne pense pas que j'aurais pleinement saisi les effets de ce qui se passait. J'ai eu une vision et une connaissance des ressources et procédures en action sur l'île Christmas surtout quand un petit esquif est arrivé avec des demandeurs d'asile. A voir les images des milliers arrivant sur les îles grecques en un exode de masse, j'ai su qu'une aide en personnels était une nécessité urgente.

KR: Comment avez-vous trouvé l'ONG française Médecins du Monde et pourquoi avez-vous choisi de travailler avec eux ? Quelles sont les particularités de leur communauté ?

HZ: Quand je travaillais sur l'ile Christmas en 2014 et que je m'apprêtais à des vacances en Grèce, j'ai ressenti le besoin d'utiliser mes compétences car Ies articles faisaient état des souffrances des Grecs (et surtout des retraités) dans la crise financière grecque. Ma conscience était mal à l'aise de passer des vacances en Grèce quand les gens y souffraient. Aussi ai-je simplement cherché les organisations de bénévoles à la recherche d'infirmières. Je les ai contactés par e-mail, c'était aussi simple que ça. Je suis passée par leur procédure détaillée de candidature.

KR: Que vous ont appris sur vous-même et les autres ces challenges ?

HZ: J'ai appris que tout le monde n'est pas aussi attentionné ; que le mot ‘réfugié’ est une étiquette salissante qui dépouille les personnes de leur identité. J'ai appris que lorsqu'une catastrophe naturelle se produit le monde entier débarque pour aider à plein régime, comme après le tremblement de terre au Népal ou le typhon Hyan, mais quand la catastrophe résulte de la guerre, il n'y a personne à part les volontaires civils et les organisations non gouvernementales.

J'ai appris sur les bénévoles spontanés et Ieur impact négatif sur l'action des équipes sur le terrain, quand ils étaient pleins de bonne volonté mais pas coordonnés.

J'ai appris que la crise des réfugiés est politique et que l'opinion australienne est extrêment éloignée de la situation. J'ai appris que l'Australie est un pays tellement grand, et pourtant incapable d'accueiliir un millier de réfugiés bloqués dans des centres de détention offshore, un pays qui utilise ces gens comme des pions politiques dans un jeu sur lequel ces innocents n'ont aucune prise.

Je me suis brusquement transformée en défenseur. On nous a appris, en tant qu'infirmiers à être des défenseurs des patients, et d'un seul coup je me suis trouvée dans une situation où ces gens avaient besoin de soutien et où il fallait faire prendre conscience au public de ce qui se passait.

J'ai appris à regarder en face de moi la personne dont je m'occupe comme un individu, au lieu des cinq ou dix mille, car on serait impuissant. J'ai aussi appris que des tas de gens choisissent de ne pas se sentir concernés et de ne rien voir.

Je repense maintenant à ce moment où, couchée sur mon lit, je regardais ces images sur les médias sociaux et je me disais ‘je peux faire quelque chose, je peux y aller et être bénévole’. Maintenant que je suis rentrée je m'aperçois de l'impact de la situation sur moi, et que l'on peut trouver une idée et aller au bout, et avoir un impact positif sur les gens. Qu'on n'a pas besoin pour cela d'être extraordinaire ou qualifié. Il suffit d'être passionné et attentif et les choses se mettent en place d'elles-même, et en avant, accrochez-vous !

KR: Quel est votre conseil à ceux qui veulent changer la façon dont le monde traite les réfugiés en quête de sécurité et de vie meilleure ?

HZ: A tous ceux qui soutiennent les réfugiés et veulent les aider à avoir la vie meilleure qu'ils méritent, je dis, restez forts et restez fidèles à vous-mêmes. Il y a tellement d'histoires de haine et de politiciens qui distillent les peurs. C'est facile d'être blessé par des mots prononcés, ou d'avoir envie de baisser les bras, mais alors vous croiserez une histoire ou une personne avec une formidable histoire de courage et cela vous rappelera pourquoi vous voulez aussi passionnément aider les réfugiés.

Vous pouvez en savoir plus sur le travail bénévole d'Helen grâce à un grand nombre de vidéos. Antony Shows [12] a publié l'entretien ci-dessous en avril 2016, ainsi qu'un clip en grec [13].

La web-télé Meraki TV [14] a aussi interviewé Helen en août 2016. L'entretien démarre à 16'45.

Helen a rencontré dernièrement des propriétaires d'un café de Darwin qui avaient collecté des fonds et l'ont aidée quand elle est partie en Grèce. Ils voulaient refaire une collecte afin qu'elle y retourne dépenser l'argent recueilli dans les camps qui en ont besoin.

Elle a aussi ouvert une page Facebook à l'intention de ceux désirant aider : Aussie Volunteers helping Refugees in Greece [15] [Volontaires australiens à l'aide des réfugiés en Grèce].

Merci à Asteris Masouras [16] de Global Voices, depuis Thessalonique en Grèce, pour nous avoir mis en contact.