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USA – Russie : Quand l'ours sort de son hibernation, c'est la glaciation bilatérale

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Etats-Unis, Russie, Guerre/Conflit, Humour, Médias citoyens, Relations internationales, RuNet Echo
Photo: Flickr / Jim Nix / Edited by Kevin Rothrock [1]

Photo: Flickr / Jim Nix / montage de Kevin Rothrock

Au débat électoral américain des vice-présidents la semaine dernière, entre leçons de morale et coupures de parole, le candidat républicain Mike Pence a poursuivi la tendance inusitée de cette campagne : parler de la Russie. M. Pence a ânnoné à l'auditoire ce qu'il a présenté comme un “vieux proverbe” : “L'ours russe ne meurt jamais, il ne fait qu'hiberner”. Le dicton se prétendait une image de la menace latente qu'est la Russie pour les Etats-Unis.

Aussi saisissant qu'ait pu sonner ce proverbe à des oreilles américaines vierges, il est en réalité absent [2] de la culture russe. De fait, il n'est apparu qu'une fois : dans un entretien accordé par M. Pence à la National Review en 2014. “L'Histoire montre que les ambitions de l'ours russe ne meurent jamais : elles entrent seulement en hibernation” déclarait-il au journaliste John Fund.

Quoi qu'il en soit, s'il y a quelque chose que l'Internet russe adore, ce sont les erreurs, malentendus et les gens qui disent des bêtises. Peu après le débat, la porte-parole du Ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, s'est payé la tête [3] de Pence sur sa page Facebook. Mme Zakharova, qui ne dédaigne pas partager ses poèmes patriotiques sur Facebook, s'est même donné la peine d'écrire en anglais :

“Contrairement au grizzly” a ajouté Maria Zakharova
Votre attention s'il vous plaît ! Aujourd'hui je fais mon coming out !
Bonjour tout le monde ! Je suis l'éternel ours russe qui ne meurt jamais mais hiberne de temps à autre. Je ne suis pas seul. Il y a des tas d'ours russes comme moi. Je suis même marié à une congénère et nous avons une petite oursonne velue. Je mange du miel et j'essaie de faire rire.
Et je vous aime de tout mon coeur d'ours russe !

Si le “proverbe russe” semble être l'invention de Pence, il n'en reflète pas moins les tensions toujours montantes entre Washington et Moscou. Après la confusion initiale fin septembre sur qui avait bombardé un convoi de l'ONU livrant de l'aide humanitaire à la ville syrienne assiégée d'Alep, les responsables publics occidentaux disent que les preuves mettent en cause les forces armées russes.

Les 20 morts confirmés et les nombreux volontaires et civils grièvement blessés ont fait dire [4] dire au représentant de l'ONU Jens Laerke que cet acte pouvait être considéré comme un crime de guerre. Un coordinateur de l'équipe de Secours d'Urgence de l'ONU a confirmé que l'attaque serait qualifiée crime de guerre s'il pouvait être établi que les travailleurs humanitaires avaient été ciblés délibérément.

Depuis cette attaque, tous les convois d'aide de l'ONU pour la Syrie sont suspendus.

Dans les semaines qui ont suivi la frappe aérienne, Moscou a nié avec véhémence son implication, allant jusqu'à accuser les USA de l'avoir menée, en affirmant que le renseignement russe avait détecté un drone Predator américain à Alep dans les minutes précédant l'attaque.

L'équipe d'enquête open-source “Bellingcat” a pourtant publié de nouvelles preuves [5] indiquant l'implication russe. Dans les décombres, des sauveteurs ont découvert les restes d'un OFAB-250-270, une bombe sans guidage de fabrication russe. Selon Bellingcat, “L'usage de cette bombe par les aviations syrienne et russe est largement documentée dans les frappes aériennes en Syrie. Ces bombes ne sont pas utilisées par l'aviation de l'OTAN, en particulier les drones de type Predator”.

Tandis que les responsables à Washington parlaient ouvertement d'ouvrir une enquête contre la Russie et la Syrie pour crimes de guerre, le Président Vladimir Poutine suspendait un traité sur l'élimination du plutonium signé il y a plus d'une décennie. Avant d'annuler, le 5 octobre, un autre accord nucléaire avec les USA sur la coopération dans la recherche et développement scientifique sur le nucléaire dans l'énergie.

Le Kremlin se dit prêt à reprendre les accords de coopération nucléaire si les Etats-Unis consentent à une série de conditions, qui sont : la fin des sanctions économiques contre la Russie en raison de son intervention militaire en Ukraine, le paiement d'indemnités pour les dommages causés par les sanctions aux entreprises russes, et la réduction de la présence militaire américaine dans les pays de l'OTAN frontaliers de la Russie.

Selon Moscou, la suspension de ces accords était une riposte nécessaire aux “actes inamicaux” des Etats-Unis. Le Kremlin a remisé le premier accord nucléaire à peine quelques heures avant l'annonce par la Maison Blanche de la rupture des discussions de cessez-le-feu avec la Russie dans la guerre en Syrie. Les USA et la Russie continueront cependant à communiquer à propos des frappes aériennes visant les positions de l'EI dans la région, pour éviter toute interférence ou accident.

“L'administration Obama a fait tout ce qui était en son pouvoir pour détruire le climat de confiance qui aurait pu encourager la coopération”, a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères dans un communiqué officiel après la suspension du traité. “Nous voulons que Washington comprenne qu'on ne peut pas, d'une part introduire des sanctions contre nous là où elles sont indolores pour les Américains, et de l'autre poursuivre une coopération sélective dans les domaines qui leur conviennent”.

Alexeï Pouchkov, un sénateur de l'Assemblée de la Fédération de Russie et ancien président de la Commission des Affaires étrangères à la Douma d'Etat, a écrit sur Twitter que la confiance dans les Etats-Unis était épuisée depuis longtemps :

Hier, à l'antenne, j'ai proposé que nous n'abordions plus jamais les “bonnes intentions” et l'innocence supposée des USA. Elle est perdue depuis longtemps et irrécupérable.

Les opposants au Kremlin, qui à leur habitude critiquent leur gouvernement qui fait des Etats-Unis le bouc émissaire des problèmes intérieurs, s'amusent de ce que Moscou réclame maintenant des dédommagements pour des sanctions occidentales dont les responsables s'échinent depuis des années à expliquer qu'elles sont en réalité une aubaine pour l'économie russe.

Alexeï Navalny, l'activiste anti-corruption qui a monté une impressionnante campagne pour sa candidature à la mairie de Moscou il y a trois ans, a incendié les exigences du Kremlin :

Poutine exige des dédommagements pour les pertes dues aux sanctions et contre-sanctions. Etonnant : deux ans que les experts disent à la télévision qu'elles n'ont rapporté que des avantages

Le journaliste d'opposition et ancien combattant de la guerre de Tchétchénie Arkadi Babtchenko a aussi ironisé, en rappelant la mode depuis deux ans des T-shirts illustrés d'images de matériel militaire russe avec le slogan “Sanctions ? Ne fais pas rire mes [missiles] Iskander !” Au vu des efforts tout neufs de Moscou pour récupérer les pertes des sanctions supposées “risibles”, ce sont plutôt les T-shirts qui le sont devenus.

Poutine exige des USA une indemnisation des préjudices résultant des sanctions, y compris “les pertes dues à l'introduction de nécessaires contre-sanctions.”
Vous avez bien rigolé ?
Bonne nuit.