Le Pakistan mettra-t-il à exécution sa menace d'expulser deux millions et demi de réfugiés afghans ?

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Des réfugiés afghans de retour attendent leur enregistrement dans un centre du Haut Commissariat aux Réfugiés de l'ONU (UNHCR) dans un faubourg de Kaboul. Photo : page Facebook du Khaleej Times.

Pendant que l'attention de la planète est captée par les millions de migrants laissés dans les limbes aux frontières de l'Europe, une crise de dimension plus modeste mais tout aussi inquiétante couve en Asie du Sud.

Cet été, les plus de 2,5 millions de réfugiés afghans vivant au Pakistan se sont entendu dire qu'ils devraient quitter ce pays et rentrer en Afghanistan. Le Pakistan a invoqué des motifs sécuritaires et économiques et fixé l'échéance de l'exode à mars 2017.

La décision d'Islamabad a été critiquée par les défenseurs des droits humains, qui l'ont appelée “l'un des plus vastes renvois forcés de réfugiés de l'histoire moderne”. La détérioration de jour en jour de l'environnement sécuritaire en Afghanistan rend imprévisible l'état du pays que retrouveront les réfugiés à leur retour.

Les réfugiés afghans vivent au Pakistan depuis le début des années 1980s, début de l'invasion de l'Afghanistan par les Soviétiques. En 2002, le Pakistan a signé un accord avec le Haut Commissaire aux Réfugiés de l'ONU (UNCHR) et l'Afghanistan s'engageant à un “rapatriement basé sur le volontariat et la dignité” des réfugiés afghans.

Le Pakistan a à maintes reprises fixé et reporté les dates limites du départ des réfugiés afghans. Malgré cela, le gouvernement pakistanais a déclaré que cette fois, pour des raisons de sécurité nationale, il n'y aura plus de prolongation et que les Afghans devront partir.

La police mène la vie dure aux réfugiés

Les organisations de défense des droits humains avertissent que la police pakistanaise et les autorités provinciales, par des mesures coercitives et des mauvais traitements, mettent déjà la pression sur les réfugiés afghans au Pakistan pour leur faire quitter le pays. Les signalements de ces mesures ont accru les tensions entre le Pakistan et l'Afghanistan.

Selon Human Rights Watch, près de 90.000 réfugiés afghans sont déjà rentrés chez eux en 2016 à cause :

des difficultés économiques au Pakistan (liées à la perte d'accès aux marchés de l'emploi du fait d'une détérioration de la liberté de circulation), du harcèlement et de l'intimidation, des arrestations arbitraires, des extorsions et de la corruption.

La police pakistanaise harcèle et détient ces réfugiés, leurs propriétaires ont révoqué leurs contrats de location, leurs comptes bancaires ont été clôturés et leurs cartes sim annulées, et l'accès à l'école et aux soins médicaux leur est refusé. Ce déplacement de population de fait n'a aucune base juridique.

Le Dr. Abdullah Abdullah, Chef de l'Exécutif Afghan, a demandé au gouvernmement pakistanais de permettre aux réfugiés de rentrer volontairement au pays .

Nous demandons au Pakistan et à l'Iran d'accompagner ce processus de retour des réfugiés. Le rapatriement doit être volontaire et non pas forcé.

Human Rights Watch a appelé Islamabad à cesser “les mesures coercitives et autres mauvais traitements qui chassent des dizaines de milliers de réfugiés afghans du Pakistan”.

De son côté, le Pakistan se sent injustement singularisé par les critiques. Dans son discours devant le Sommet sur les Réfugiés de l'Assemblée Générale des Nations Unies le 19 septembre, le Premier Ministre Pakistanais Nawaz Sharif a rappelé à la communauté internationale son manque de soutien financier aux réfugiés :

Le soutien financier de la communauté internationale décline, mais pas l'hospitalité du Pakistan.

Relations délicates

Beaucoup en Afghanistan voyaient dans l'hébergement de longue durée des réfugiés par le Pakistan un moment inusité de bonne volonté de leur incommode voisin.

Dans une réflexion sur ces relations épineuses, lors de la signature en septembre d'un accord trilatéral avec l'Iran et l'Inde, le Président afghan Ashraf Ghani a fustigé les antécédents pakistanais d'hébergement de terroristes qui vont ensuite commettre des attentats en Afghanistan :

Il y a des pays qui n'exportent que du terrorisme. Nos exportations trilatérales sont la confiance en soi, la coopération, et l'exploitation à fond des opportunités que nous donne notre région d'apporter à notre pays bien-être et stabilité.

Au début de son mandat, le Pésident Ashraf Ghani avait fait des ouvertures au Pakistan pour améliorer leurs relations, mais elles n'ont guère abouti. Tout récemment, l'Afghanistan a décidé de bouder le sommet de l'Association sud-asiatique pour la coopération régionale (acronyme anglais SAARC) tenu au Pakistan.

Bilal A. Nikyar, un auteur undépendant d'Afghanistan a écrit en juin sur son blog que le Pakistan joue des réfugiés comme d'une “carte” dans ses relations avec son voisin plus pauvre :

Depuis l'accord sur le barrage de Chabahar, pas un instant où le Pakistan n'ait sali, dénigré et pris pour boucs émissaires les réfugiés afghans de tout ce qui va mal dans le pays. Et en même temps ils en faisaient l'exemple parfait de la bonne volonté du Pakistan envers l'Afghanistan. On dirait que c'est la seule carte qui leur reste à jouer pour faire levier sur l'Afghanistan.

[…]

Nous serons éternellement reconnaissants pour la générosité du Pakistan vis-à-vis des réfugiés afghans. C'est un fait. Mais c'est aussi un fait que le Pakistan a reçu des millions de dollars d'aide au cours des années […] à cause de ces réfugiés, et c'est aussi un fait que les institutions pakistanaises n'ont pas cessé d'user et d'abuser pendant des années de ces pauvres réfugiés.

D'autres estiment que le Pakistan brandit l'imminence d'une crise de réfugiés comme appât dans ses négociations avec les USA après la frappe du drone américain qui a tué l'ex-chef des talibans, le mollah Akhtar Mansour dans la province du Baloutchistan, face au refus du Congrès des Etats-Unis de voter le financement de l'acquisition souhaitée par Islamabad d'avions de combat.

Derrière la politique il y a la logistique. L'Afghanistan peut-il gérer un aussi grand nombre de retours ? Des millions d'Afghans sont déjà rentrés depuis la chute du régime taliban en 2001. L'insurrection des talibans n'a fait que se renforcer ces dernières années, aggravant l'insécurité et la stagnation économique qui plombent le pays.

Un conseiller au Ministère afghan des Réfugiés et du rapatriement à Kaboul l'a souligné :

L'Afghanistan n'est pas préparé aujourd'hui à s'ouvrir à une vaste arrivée d'immigrants afghans depuis les pays voisins, vu les problèmes de sécurité et le manque de ressources.

La récente conférence internationale des donateurs le 5 octobre à Bruxelles a réuni les dirigeants des différents pays et ONG pour examiner les réalisations et le projet du gouvernement afghan, et renouveler les engagements en faveur de ce pays. Le Pakistan, à son tour, s'y est engagé pour 500 millions de dollars d'aide.

Cela peut aplanir dans une certaine mesure les tensions croissantes entre les deux pays, mais n'aura que peu d'effet si Islamabad tient sa promesse d'expulser les 2,5 millions de refugiés (équivalant à 8 % de la population actuelle de l'Afghanistan) vivant toujours sur son territoire.

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