Jihad Diyab aura besoin de béquilles pour le reste de sa vie— un rappel régulier de la torture qu'il a subi durant 12 ans, 8 mois et 7 jours en tant que prisonnier au camp de Guantánamo, un centre de détention où l'armée américaine retient en captivité de manière indéfinie des personnes suspectes d'avoir commis des crimes de guerre et ce sans passer par un procès.
Âgé de quarante trois ans, Diyab a souffert de séquelles permanentes au niveau de son dos alors qu'il était aux mains du gouvernement américain. Dans une interview qu'il a accordée cette année en Uruguay, il a avoué à un journaliste argentin que Guantánamo hante même les prisonniers qui ont eu la chance d'en sortir. D'après lui, ceux qui'en réchappent sont “toujours des prisonniers américains à l’intérieur“.
Diyab fait partie des six prisonniers (quatre Syriens, un Palestinien et un Tunisien) qui ont été libérés de Guantánamo et accueilli par l'Uruguay en décembre 2014 dans le cadre d'un accord entre le président américain Barack Obama et le président uruguayen José “Pepe” Mujica.
Suite à l'échec d'une campagne censée réunir Diyab avec sa famille qui avait réussi à fuir depuis la Syrie en Turquie, ce dernier a commencé une grève de la faim mi-août. Le 15 septembre, il a affirmé à la BBC qu'il tenait responsable les gouvernements des USA et de l'Uruguay pour sa situation.
Mi situación de salud está muy precaria, estoy mal, mi energía está muy baja y yo responsabilizo personalmente al gobierno de EE.UU. y también al de Uruguay si yo muero.
Mon état de santé est précaire. Je suis malade, mon énergie est très faible et je tiens personnellement l'Amérique ainsi que le gouvernement uruguayen coupable en cas de ma mort.
À la fin du mois de septembre, après qu'on lui a garanti la sécurité de sa famille en Turquie, il reprend un régime liquide.
En juin, Diyab fait la “une” quand il quitte clandestinement l'Uruguay par la voie de la frontière brésilienne. Les médias uruguayens le qualifient d'”ingrat” et “rebelle” pour avoir fui le pays qui l'avait accueilli après sa captivité . Après un mois d'incertitudes concernant la localisation de Diyab, ce dernier apparaît à Caracas, Venezuela où il est détenu pendant 17 jours puis expulsé à Montevideo.
Les circonstances de la déportation de Diyab demeurent incertaines. Bien que les autorités confirment que les ex-détenus sont maintenant “des hommes libres”, il en va tout autrement dans la réalité.
Selon le journal Brecha, l'Uruguay aurait apparemment accepté que les prisonniers libérés restent dans le pays pendant une durée de deux ans avant de pouvoir voyager à l'étranger. Cependant, des responsables gouvernementaux uruguayen hauts placés ont initialement nié avoir accepté cette condition.
Quel que soit l'accord entre l'Uruguay et Washington, le fait est que les prisonniers libérés de Guantánamo n'ont reçu que des cartes de citoyenneté uruguayennes qui ne leurs permettent pas de voyager à l'étranger.
Aujourd'hui, l'opinion publique au sujet des ex-détenus a tellement changé que le président de l'Uruguay qui avait négocié la libération des prisonniers, a révélé que l'accord qu'il avait passé était simplement le prix que son pays devait payer afin de “vendre des oranges aux États-Unis” ainsi que maintenir de bonnes relations.
Manifestation des Prisonniers
Cinq mois après être arrivé en Uruguay, quatre des six ex-détenus ont protesté devant l'ambassade américaine à Montevideo. Diyab était absent. Les hommes se sont rassemblés après avoir appris que Washington avait refusé de leur fournir des aides financières.
Les hommes ont écrit sur un blog qu'ils ont été abandonnés dans un pays étranger sans travail ni famille ou même une connaissance de la langue locale. Ils ont affirmé en avril que cette situation, ainsi que les 13 années qu'ils ont passé en détention sans inculpation leur donnaient le droit d'être aidé par le gouvernement responsable:
Ils [les États-Unis] doivent nous fournir les moyens par lesquels nous pourrons vivre normalement. Ils ne peuvent pas tout simplement rejeter leurs fautes sur les autres. Ils doivent nous fournir des maisons ainsi que de l'aide financière. Nous ne leurs demandons pas l'impossible puisqu'ils nous ont détenus durant 13 ans et auront à nous aider pour les années à venir. Nous pensons que c'est le moins qu'ils puissent faire et le moins que l'on puisse demander.
Dans un documentaire relatant la vie de Diyab en Uruguay, le magazine Anfibia affirme que le marché qui a conduit à sa libération n'était en fait qu'un accord “informel” avec les États-Unis. En d'autres termes, il n'y a aucun document officiel qui puisse déterminer les droits des ex-détenus. Le seul papier officiel concernant les prisonniers est une lettre signée par le secrétaire d'État des États-Unis John Kerry qui liste les noms des six prisonniers et ajoute “il n'y a aucune information qu'ils étaient impliqués ou qu'ils avaient mené des activités terroristes contre les États-Unis ou leurs alliés.”
Le documentaire d'Anfibia se penche aussi sur la vie d'autres ex-détenus du Guantánamo qui se sont installés en Europe et en Afrique, là où plusieurs d'entre eux ont fait face à des problèmes similaires. L'un de ces hommes, vivant maintenant en Slovaquie, a déclaré au magazine, “Ceci n'est pas de la liberté. Nous sommes toujours détenus. J'ai quitté Guantánamo, mais je le sens toujours en moi— tout le temps.” Dans le film, un autre prisonnier a qualifié sa vie après la prison comme “un second Guantánamo.”
Depuis le mois d'avril, et à l'exception de Diyab, l'ensemble des ex-détenus résidant en Uruguay ont signé un accord avec le Service Œcuménique pour la Dignité Humaine (SEDHU en Espagnol) afin de recevoir du soutien financier. Diyab refuse de signer et déclare qu'il n'est pas d'accord avec les termes incluant du logement et de l'argent pendant deux ans. Diyab indique que sa blessure au dos ne lui permet pas de travailler et allègue que l'aide financière offerte ne peut soutenir ni lui ni sa famille.
Diyab est le seul à être entré à Guantánamo avec une femme et des enfants. Il est aussi le seul membre du groupe à vouloir quitter l'Uruguay pour un pays arabe où il espère s'installer avec sa famille.
Où aller maintenant ?
Le prochain défi que Diyab doit relever est celui de trouver un nouveau domicile. Dans une interview avec le journal indépendant La Diaria, la Sénatrice Lucía Topolansky—qui était emprisonnée lors de la dictature uruguayenne— a promis que le gouvernement est en train de chercher une solution :
Lo que hay que hacer es buscar un país que lo quiera. Y ese no es un problema de Uruguay ni tampoco de él, es un problema del mundo.
Nous devons trouver un pays qui l'accepte. Ceci n'est pas seulement son problème ou celui de l'Uruguay— c'est aussi un problème mondial.
En septembre, le gouvernement uruguayen a publié un message confirmant être bel et bien en train de chercher un pays souhaitant accueillir Diyab et sa famille. Les responsables affirment qu'ils font tout ce qui est en leur pouvoir afin de dissuader Diyab de sa grève de la faim “pour respecter le principe de la vie.”
Cependant, les négociations ont peu progressé.
Selon les fichiers Guantánamo publiés par WikiLeaks, Diyab— fils d'un père syrien et d'une mère argentine—a longtemps gagné sa vie en tant que camionneur en Syrie. Lorsqu'il a été arrêté à Lahore par la police pakistanaise en 2002, il résidait dans l'appartement d'un taliban alors qu'il vendait du miel pour subvenir aux besoins de sa famille.
Les fichiers relient Diyab à certains membres d’al-Qaida, l'identifiant comme “haut risque,” “détenant des informations importantes” et “une menace aux États-Unis.” On présume qu'il était responsable de la production de documents et passeports contrefaits pour l'organisation terroriste. Bien qu'il ait été détenu une dizaine d'années, il n'a été officialement chargé d'aucun crime. Diyab nie toutes ces accusations.
Des sympathisants de Diyab gèrent une page Facebook ainsi qu'une pétition Avaaz demandant au gouvernement de “prendre des mesures immédiates afin de le réunir avec les membres de sa famille dans un pays pouvant assurer cette réunification familiale.” Entre-temps, Diyab ne peut qu'attendre, chose qu'il a faite pendant les 13 ans qu'il a passés en prison. Dans une interview avec CNN, il déclare:
Yo no quería hacer esta huelga de hambre pero me cerraron las puertas y me dejaron sin solución y es el único camino que encontré.
Je n'ai pas souhaité faire une grève de la faim, mais c'est la seule issue à laquelle je pouvais recourir vu qu'ils ne m'ont laissé aucun choix.
Cette semaine, et après 54 jours de grève de la faim, Diyab a été diagnostiqué d'un “coma superficiel”. D'après le journal La Diaria, il a signé un document où il refusait tout intervention médicale, “même si sa vie était en danger,” cependant il a plus tard accepté une alimentation par voie intraveineuse. Le docteur s'occupant de Diyab a annoncé que son état de santé actuelle est “critique” et “ qu'il risque une mort soudaine.” Son état de santé se détériore, et son médiateur avec le gouvernement uruguayen vient juste d'abandonner son affaire.
Néanmoins, la grève de faim continue alors que Diyab attend une réponse à sa requête.