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Sri Lanka : le tourisme renoue avec la croissance, au profit de l'armée

Catégories: Asie du Sud, Sri Lanka, Droits humains, Economie et entreprises, Gouvernance, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique
Pêche sur échasses au crépuscule - attraction touristique unique au Sri Lanka. Photo de Thomas Keller sur Flickr. BY-NC-ND 2.0 [1]

Pêche sur échasses au crépuscule – attraction touristique unique au Sri Lanka. Photo de Thomas Keller sur Flickr. BY-NC-ND 2.0

Pendant des siècles, le Sri Lanka a été une destination touristique [2] prisée. Le tourisme représentait la principale source de revenu du pays et était le moteur de l'économie locale. Puis le secteur a stagné, le tourisme ayant beaucoup souffert de la guerre civile du Sri Lanka [3], qui a duré plus de 25 ans, avant de prendre fin en 2009.

Le tourisme connait une progression rapide [4] depuis la fin de la guerre. Le gouvernement sri lankais investit dans le développement de nouvelles infrastructures, comme la construction d'un important projet de développement touristique [5] de plus de 1600 hectares à Kalpitiya [6], situé à 175 kilomètres au nord de la capitale Colombo. Cette région est reconnue pour la beauté de ses paysages.

Selon l'article de Raisa Wickrematunge [7] publié dans Groundviews, plus d'un million [8] de touristes ont visité le Sri Lanka entre les mois de janvier et août de cette année. L'industrie du tourisme procure ainsi du travail à des milliers de personnes, directement ou indirectement.

Cependant, il existe des preuves attestant qu'une partie de la population locale se voit systématiquement refuser l'accès aux emplois dans le secteur touristique. Wickrematunge a rencontré [9] plusieurs habitants qui prétendent ne pas avoir été autorisés à travailler pour les compagnies proposant des excursions. Certaines personnes n'ont même pas pu obtenir l'autorisation d'offrir leurs services directement aux touristes, par exemple en leur proposant des promenades en bateau ou de l'accueil. En effet, de nombreux hôtels, qu'ils soient privés ou gérés par les forces armées, refusent d’embaucher des travailleurs locaux.

L'armée sri lankaise investit massivement dans le tourisme [10]. Les forces armées possèdent plusieurs hôtels et stations touristiques, de nombreux restaurants et cafés, ainsi que diverses installations touristiques.

Infographie : gracieusement mise à disposition par Sri Lanka Campaign For Peace And Justice [11]

Infographie : gracieusement mise à disposition par Sri Lanka Campaign For Peace And Justice

Selon [12] un récent rapport publié par Global Risk Insights, les employés recrutés par l'armée pour travailler dans les stations touristiques et les centres de loisirs qu'elle possède sont des soldats enrôlés de force via le système de la presse [13], et qui reçoivent un salaire de misère. Un autre rapport, de Society for Threatened Peoples, intitulé “Dark Clouds Over The Sunshine Paradise [14] [‘Nuages noirs sur le paradis du soleil’] ” met en évidence le fait qu'employer des militaires dans le secteur du tourisme permet à l'armée de s'assurer des revenus supplémentaires conséquents, et lui permet ainsi de proposer des prix bien inférieurs à ceux de ses concurrents du secteur privé.

Une part importante des dollars [15] dépensés par les touristes au Sri Lanka sert à financer une armée, qui, selon les critiques, a atteint une taille démesurée et n'a plus de raison d'être depuis la fin de la guerre civile. Au lieu d'avoir été démilitarisée, la région du Nord, majoritairement peuplée de Tamouls, compte encore 200 000 militaires – ce qui représente environ un soldat pour dix civils [10].

Panneau indiquant la zone de développement touristique à Kuchchaveli. Photo de Groundviews. [16]

Panneau indiquant la zone de développement touristique à Kuchchaveli. Photo de Groundviews.

La croissance rapide du tourisme génère d'autres problèmes. En raison des nouvelles initiatives touristiques de l'armée et des compagnies privées, de nombreuses populations locales se voient dépossédées de leur terres traditionnelles, ce qui n'est pas sans effet sur la vie communautaire et les cultures, comme par exemple à Kuchchaveli, Passikudah, Kalpitiya, Jaffna (dans la province du Nord) et Panama (dans le district Ampara de la province de l'Est).

Yves Bowie [16] de Groundviews partage quelques-unes des histoires de ces communautés locales :

Kuchchaveli est un petit village de pêcheurs situé au nord-est du Sri Lanka. La plupart de ses habitants vivent de la pêche ou de l'agriculture. Lorsque la guerre a pris fin, les terres de Kuchchaveli étaient largement occupées par la marine sri lankaise. Les villageois avaient dû quitter leur maison, leur ferme, et leur zone de pêche. Après la fin de la guerre, ils ont voulu retourner sur leurs terres mais la marine était toujours là.

Les villageois de la région de Passikudah sont principalement des pêcheurs et leur famille. Ils pêchaient dans cette zone depuis des générations. Avec la construction des hôtels, nombreux sont ceux qui ont dû abandonner leur lieu de travail. Les pêcheurs sur embarcation ont été déplacés vers une toute petite zone dans un coin de la baie, et il leur faudra peut-être aussi bientôt la quitter. Ils risquent de perdre leur gagne-pain.

Toujours sur Groundviews, Ruki Fernanda and Herman Kumar [17] écrit :

Il faut que le tourisme soit axé sur les populations locales et les victimes de la guerre. Il est crucial que ces personnes soient consultées si l'on veut que le tourisme agisse comme catalyseur de paix, de réconciliation et de développement. Les projets touristiques devraient tenir compte de leurs souffrances et de leurs aspirations, et soutenir, avec tact, leur lutte pour la vérité, la justice et le développement économique.

Le tourisme ne doit par détruire ou endommager les pratiques socio-économiques-culturelles des communautés locales, ni les déraciner de leurs terres traditionnelles et de leurs moyens de subsistance. Ils ne devraient pas être marginalisés, ni empêchés d'accéder aux opportunités économiques qui se présentent. [..]

Le gouvernement et l'armée ne doivent pas utiliser le tourisme comme un moyen de promouvoir leurs programmes politiques et leur propagande. Il faut que les mémoriaux et autres projets de commémoration initiés par les communautés locales soient valorisés et que le gouvernement instaure des monuments et des commémorations consacrés aux civils et à toutes les personnes touchées.

Groundviews [18], site de journalisme citoyen primé du Sri Lanka, est un partenaire de partage de contenu de Global Voices.