Les ivoiriens ont largement voté en faveur d’une nouvelle constitution, malgré les appels au boycott de l’opposition. Le nouveau texte modernise les institutions ivoiriennes, et fait le pari du vivre ensemble – un pari qui reste cependant tributaire de l’opposition, dans un pays encore divisé par des rivalités ethniques et religieuses.
Dimanche 30 octobre, 6,3 millions d'électeurs ivoiriens étaient appelés aux urnes afin de se prononcer sur la réforme de la constitution proposée par le Président fraichement réélu, Alassane Ouattara. Lors de sa campagne, ce dernier avait fait de la proposition d’une réforme de la loi fondamentale du pays une des principales promesses électorales. Un engagement réitéré en novembre lors de son investiture : « Les modifications que nous comptons apporter vont tenir compte de notre histoire, notre culture et des valeurs que nous voulons promouvoir pour la Côte d’Ivoire nouvelle ». Au terme d’une élection bien organisée et largement apaisée, pas moins de 93,42% de suffrages ont été exprimés en faveur du projet. Le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Bakayoko, a officialisé la victoire prévisible du « oui », le 1er novembre dernier. C’est désormais à la Cour constitutionnelle qu’il revient de valider le texte, afin d’ouvrir la voie à la 3ème république ivoirienne.
Si l’adoption du texte voulu par le président Ouattara ne faisait que peu de doutes, c’est le taux de participation qui était le principal enjeu de ce scrutin. L’opposition avait en effet appelé à boycotter ce vote – une stratégie adoptée après la réélection de Ouattara pour un second mandat avec pas moins de 83,66 % des suffrages. Il était effectivement très improbable qu’un vote si proche du plébiscite présidentiel donne tort au chef d’état ivoirien. L’idée était donc de saper la portée de ce texte, en en faisant une victoire de la majorité et non de la nation. Avec un taux de participation qui s'élève à 42% – avec les taux les plus bas dans le sud du pays – on peut dire que le boycott est un échec. Rappelons que traditionnellement, la participation est peu élevée en Côte d’Ivoire, et que pour la présidentielle, elle avait été de 54,63 %. A voir l’écart, on est loin du désaveu national planifié par l’opposition. Joël N’Guessan, porte-parole du Rassemblement des républicains (RDR), le parti du Président a d’ailleurs estimé qu’il s’agissait d’un score « honorable ».
Mais cette victoire dans les urnes ne fera pas taire les opposants. Certains sont en effet très remontés. Pascal Afffi N’Guessan, président du Front populaire ivoirien (FPI – principal parti d’opposition) avait eu des propos très durs avant le vote : « En décidant de nous retirer, nous vidons cette Constitution de toute sa substance démocratique. Nous sonnons son échec en termes de procédure pour réconcilier les Ivoiriens, pour fonder des institutions démocratiques. » Considérant la tournure des évènements, ce dernier a perdu son pari, et n’a pas su instaurer ce soupçon d’illégitimité. Les 154 pages, que le Parlement a approuvé le 11 octobre dernier, ont également recueilli un soutien important lors du referendum, et toute opposition sérieuse au procédé d’adoption du texte devient difficile. Restent les attaques de fond, dont l’opposition ne s’est pas privée. « Cette constitution concrétise la colonisation d'une grande partie de notre pays par les gens qui viennent d'ailleurs », a ainsi déclaré mercredi Innocent Anaki Kobena, ministre de Laurent Gbagbo.
Et pourtant, ce texte tourne la page d’une décennie de divisions internes et de crises politiques, en mettant en œuvre les mesures préconisées par les accords de Linas-Marcoussis. Pour rappel, il s’agit du texte de sortie de crise rédigé par l’intégralité des forces politiques ivoiriennes, sous supervision de l’ONU et l’Union Africaine, au lendemain de la première guerre civile, en janvier 2003. Elles avaient été mises de côté par M Gbagbo, le prédécesseur d’Alassane Ouattara. Ainsi, la nouvelle constitution place l’éducation obligatoire et l'égalité entre hommes et femmes au centre des priorités nationales. Elle met aussi un terme au concept « d'ivoirité », mesure confligène posée par l’article 35 de l’actuelle constitution. Il dispose que sont exclus tous candidats à la présidentielle n’étant pas « ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine ». Cette disposition avait par le passé largement divisé les Ivoiriens, et orienté le débat vers des questions identitaires délicates dans un pays sortant d’une guerre civile.
La nouvelle constitution ivoirienne instaure aussi des changements structurels. Ainsi, elle crée un poste de vice-président. Ce dernier sera élu avec le président de la République, sur un bulletin bicéphale, et assurera un double rôle de continuité de l’exécutif. Ce nouveau poste vise, d’une part, à renforcer la séparation des pouvoirs entre le législatif et l’exécutif, avec la rupture de la succession provisoire, en cas de vacance de la présidence de la République, par le président de l’Assemblée nationale.
La nouvelle constitution prévoit également la création d’un Sénat. La « chambre basse » ainsi instituée doit accueillir les représentants de la société civile, des ensembles régionaux, des partis politiques, de la Chefferie traditionnelle, des guides religieux, des femmes, des jeunes, ect. Le Sénat serait alors la voix des minorités dont la visibilité est réduite à l’assemblée, où la majorité fait loi – un choix de laïcité intéressant dans un pays où de profondes divisions religieuses persistent. L’objectif affiché est de faire entendre une voix alternative afin d’enrichir le débat législatif, tout en assurant que le dernier mot soit une prérogative de l’Assemblée Nationale, car elle est l’émanation directe du peuple ivoirien dans son ensemble. « Toutes ces réformes ont pour but ultime de doter la Côte d’Ivoire d’une Constitution moderne et de mettre en place des Institutions cohérentes, fortes, respectueuses de la diversité et protectrices des libertés », expliquait Alassane Ouattara en amont du vote. Un pari de vivre ensemble, donc, qui ne sera cependant possible qu’avec l’aval – et la bonne foi – de l’opposition.