Des militants russes ‘doxent’ un directeur de camp pénitentiaire qui aurait fait torturer des détenus

Photo taken in Shlissel'burg, Leningrad Oblast. Flickr: CC 2.0

Photo prise à Schlüsselburg, oblast de Léningrad. Flickr: CC 2.0

Le militant Ildar Dadine, incarcéré dans dans la colonie de redressement numéro 7 de la ville de Segueja, en Carélie, a fait savoir fin octobre qu'il avait été victime d'actes de torture et de cruauté.

Selon ses dires, Dadine, condamné en décembre dernier à trois ans de détention aux termes d'une nouvelle loi russe qui punit «les infractions répétées à la réglementation des rassemblements en public», a dicté une lettre à son avocat et l'a adressée à sa femme. Cette lettre a été publiée  [avertissement: elle contient des descriptions de scènes de violence] le 1er novembre 2016 par le site d'informations indépendant Meduza.

La lettre décrit les actes de torture et les atteintes à la dignité systématiques que subissent les détenus sous la direction du major Sergueï Kossiev. Lors de sa première semaine dans le camp numéro 7 (où a séjourné l'ancien oligarque Mikhaïl Khodorkovski), raconte Dadine, il a été roué de coups par une douzaine de personnes, suspendu par des menottes pendant une demi-heure, menacé de viol, et on lui a promis la mort s'il en parlait à quiconque à l'extérieur.

Ces mauvais traitements envers les détenus sont familiers à qui a lu les classiques de la littérature concentrationnaire de l'époque soviétique — dont les plus connus sont «l'Archipel du Goulag» d'Alexandre Soljénitsyne, «les Récits de la Kolymna» de Varlam Chalamov ou «Tout passe» de Vassili Grossman — qui font le récit de la vie dans les camps soviétiques. Si les Soviétiques devaient recourir à des samizdats [publications clandestines] pour lire ces récits, les militants russes disposent aujourd'hui des réseaux sociaux pour diffuser ce type d'informations.

Certains utilisent même les nouvelles technologies pour, d'une certaine façon, se saisir eux-mêmes de cette question. Le militant politique russe Vladislav Zdolnikov, proche de la formation d'opposition «le Parti du Progrès» et de la chaîne Newscaster.TV, a organisé, à l'aide des réseaux sociaux, une attaque visant directement le directeur du camp.

Après la publication de la lettre de Dadine, Zdolnikov s'est mis à diffuser sur Twitter des informations sur le major Kossiev, que Dadine dénonce comme étant l'un de ses tortionnaires. Il dirige également les usagers de Twitter vers la page VKontakte de Kossiev»:

Voilà l'ordure qui dirige les tortures et passages à tabac sur Dadine et d'autres détenus. [tweet 2] Il s'agit bien apparemment de la page VK authentique du directeur de la colonie IK-7
Faisons savoir à ce porc ce qui l'attend dès que le pouvoir aura changé de mains.

Le leader d'opposition Alexeï Navalny a lui aussi partagé le profil VK de Kossiev, en juxtaposant des photos de lui dans des situations de la vie quotidienne — en vacances ou à la plage en famille — et un passage de la lettre de Dadine où il raconte que Kossiev reconnaît pratiquer la torture sur le détenu.

Voici le VK du bourreau Kossiev

Zdolnikov a rendu publiques les identités des membres de la famille de Kossiev, de sa femme et de ses enfants, et met en lien leurs pages sur les réseaux sociaux. Il appelle ses followers à les contacter pour leur raconter quel «porc» est Kossiev.

[En réponse au tweet d'un internaute qui lui demande «s'il se croit meilleur que le bourreau et s'il est prêt à écrire à ses petits-enfants»] Bien sûr que je me crois meilleur. Ecrire à la famille que leur mari ou père est un porc, c'est ça la chose à faire.

Aric Toler de «RuNet Echo» s'est entretenu avec Vladislav Zdolnikov et lui a demandé quels résultats il escompte en diffusant des informations personnelles sur Sergueï Kossiev.

RuNet Echo: Pourquoi avoir décidé d'attirer l'attention sur Kossiev et sa famille via les réseaux sociaux ?

Владислав Здольников: В ситуации, когда речь идёт о массовом насилии над заключенными, которое, очевидно, организовано администрацией колонии, одним из немногих способов повлиять на это, является как можно более широкая огласка происходящего.

Я считаю, что в рамках этой огласки, очень важно донести эту информацию до близких кругов тех, под чьим руководством совершается беззаконие: среди их друзей и родственников. Они должны знать, чем занимается на работе человек, с которым они живут или общаются.

Таким образом, мы переводим то, чем занимаются эти люди, из разряда исключительно рабочего в разряд личного. Я уверен, что этот человек, приходя домой, не говорит: “я сегодня пытал заключенного, подвешивая его наручниками за решетку”, он никогда не скажет своей жене “я сегодня угрожал изнасилованием заключённому”, потому что понимания, очевидно, он не найдёт.

Считаю, что такое моральное давление должно положительно повлиять на ситуацию с Дадиным.

При этом, я должен уточнить, что не считаю, что родные должны отвечать за действия этого человека или как-то от них страдать. Я ни в коем случае не призываю “травить” их, или любым другим способом выражать негатив в их сторону.

Vladislav Zdolnikov: Dans le cas où les violences de masse exercées envers les détenus sont manifestement organisées par l'administration pénitentiaire, l'un des seuls moyens d'action dont on dispose est de faire connaître les faits le plus largement possible.

J'estime que dans ce cadre, il est très important de faire parvenir ces informations aux proches de ceux sous le commandement de qui se commettent des crimes ; à leurs parents et amis. Il faut qu'ils sachent ce que celui avec qui ils vivent et sont en relation fabrique à son travail.

Nous faisons donc remonter ce que l'on sait des activités de ces gens-là de la sphère strictement professionnelle à la sphère privée. Je suis convaincu que cet homme ne dit pas, en arrivant chez lui: «Aujourd'hui, j'ai torturé un détenu en le suspendant à la grille avec des menottes», pas plus qu'il ne dira à sa femme «Aujourd'hui, j'ai menacé un détenu de viol», parce qu'il se doute bien qu'elle ne va pas l'approuver.

Je pense que cette pression morale peut avoir un impact positif sur le sort de Dadine.

Je tiens à préciser aussi que je ne tiens pas la famille pour responsable des actes de cet individu ; ses proches n'ont pas à en souffrir de quelque façon que ce soit. Je n'appelle en aucun cas à leur «pourrir la vie» ou à leur causer du tort d'une manière ou d'une autre.

RuNet Echo: La lecture de vos tweets et les pages De Kossiev sur les réseaux sociaux, parallèlement à la lettre de Dadine, m'ont fait penser à la «banalité du mal». Quel impact cette analogie peut-elle avoir sur le Russe moyen, sur l'opinion publique et sur la situation dans les colonies pénitentiaires ?

Владислав Здольников: Я думаю, что это безусловно влияет на отношение аудитории к этому человеку. Они осознают, что человек, который пытает людей на работе, может отдыхать рядом с ними на пляже. Это, как минимум, заставляет задуматься.

Соцсети дают возможности для действий в ситуациях, когда, казалось бы, мы сделать нчиего не можем. У нас нет никакой надежды на реальную проверку со стороны прокуратуры с увольнениями и наказанием виновных. Когда испытываешь эмпатию к происходящему, когда очень сильно переживаешь, это заставляет придумывать действия, которые могут как-то помочь человеку. Я знаю Дадина лично, и я особенно остро переживаю всё то, о чём он написал в своём письме. Поэтому приходится придумывать что-то, в результате получилась такая акция, не знаю, как лучше это назвать.

Vladislav Zdolnikov: Je pense que cela aura forcément un effet sur la relation entre cet individu et sa famille. Ses proches apprennent que cet homme qui se fait bronzer à leurs côtés à la plage pratique la torture à son travail. Au minimum, ça fait réfléchir.

Les réseaux sociaux donnent la possibilité d'agir dans des situations où il semble qu'il n'y a rien à faire. Nous n'avons aucun espoir d'une vraie enquête qui aboutirait à révoquer ou châtier les coupables. Quand on ressent de l'empathie envers une victime, quand on compatit fortement à ce qui lui arrive, on est obligé de réfléchir aux façons possibles de l'aider. Je connais Dadine personnellement, et tout ce qu'il raconte dans sa lettre fait que je m'inquiète à son sujet. C'est pourquoi il m'a fallu imaginer quelque chose ; ce fut cette action, je ne sais pas comment l'appeler autrement.

RuNet Echo: L'Occident a pris connaissance des camps soviétiques avec la littérature de cette période. Par contre, on ne sait rien des camps actuels, si ce n'est à travers ce qui est arrivé aux Pussy Riot. Que diriez-vous au public occidental de la situation actuelle dans les colonies pénitentiaires russes, et par quel biais peut-on, en Occident toujours, en savoir plus ?

Владислав Здольников: Ситуация, о которой сегодня узнали из письма Дадина, абсолютно привычна для большинства российских исправительных учреждений. К заключенным не относятся, как к людям, их держат в постоянном страхе, чтобы подчинить и подавить силу воли.

Мы узнали о ситуации с Ильдаром Дадиным только благодаря тому, что он и его жена имеют некую известность в оппозиционных кругах. Это позволило быстро распространить текст письма.

Несложное гугление выдаёт нам сотни подобных историй, как происходит с Ильдаром. Вот, например, письмо заключённого от 2012 года из той же ИК-7.. Там описываются ровно те же пытки, что в письме Ильдара.

Vladislav Zdolnikov: La situation dont nous informe la lettre de Dadine est parfaitement habituelle dans la plupart des établissements pénitentiaires russes. Les détenus ne sont pas traités comme des êtres humains, ils ont maintenus dans un état de peur permanente, pour soumettre et briser leur volonté par la force.

Si nous sommes au courant de la situation d'Ildar Dadine, c'est uniquement parce que sa femme et lui sont un peu connus dans les milieux d'opposition. C'est ce qui a permis de diffuser rapidement le texte de la lettre.

Avec une simple recherche sur Google, vous obtiendrez des centaines d'histoires similaires à celle de Dadine. Voici, par exemple, une lettre de détenu qui date de 2012, dans la même colonie IK-7. Elle décrit exactement les mêmes pratiques de torture que la lettre de Dadine.

Moins de 24 heures après la publication de la lettre d'Ildar Dadine par le site d'informations Meduza, apparaissaient déjà les premiers résultats. Des militants et des manifestants se sont rassemblés à proximité du bâtiment du Service fédéral d'application des peines pour une action de soutien à Dadine et à une réforme des prisons.

Action contre les actes de tortures sur Ildar Dadine à côté du bâtiment du FSIN. (@Romenskiy), le 1er novembre 2016.

Le 1er novembre toujours, la chaîne REN-TV a diffusé une photo de Dadine, soi-disant prise le jour même, qui ne montre aucune trace ou séquelle de violences. Selon la femme de Dadine, Anastasia Zotova, les maltraitances dont son mari a été victime remontent à mi-septembre, ses blessures ont donc eu le temps de guérir.

Le FSIN a promis d'autoriser des «médecins spécialistes indépendants» à accéder au détenu pour confirmer la version du gouvernement selon laquelle il n'a subi aucune forme de violence physique.

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