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Et si on se réappropriait Twitter ?

Catégories: Cyber-activisme, Economie et entreprises, Média et journalisme, Médias citoyens, The Bridge
Screengrab from the We Are Twitter campaign video

Capture d'écran de la vidéo de la  campagne Nous Sommes Twitter

Pour un grand nombre d'entre nous, Twitter est le moyen le plus rapide et le plus aisé de savoir et de partager ce qui se passe autour de nous. Twitter génère des discussions pressantes, diffuse des informations vitales, dynamise les mouvements à travers le monde.

Et pourtant l'entreprise Twitter SA. est sous la sérieuse menace d’être vendue [1] et ses utilisateurs bradés. Wall Street estime que l'entreprise est un échec parce qu'elle n'engrange pas assez de bénéfices pour ses actionnaires. Les sociétés riches qu'on aurait pu penser intéressées par son rachat—Google, Salesforce, Disney, Microsoft—ont décliné.

Cette triste perspective fait grossir un mouvement  mondial [2] exhortant la société Twitter à collaborer avec ses usagers (nous) pour trouver un moyen d’acheter l'entreprise et la transformer en plate-forme coopérative appartenant à ses utilisateurs. Au lieu d'une vente au plus offrant, ce mouvement veut que la société mette son avenir en commun avec ceux dont la participation fait toute sa valeur : ses usagers.

Déclenchée en septembre par un article [3] dans le Guardian de Nathan Schneider, journaliste et universitaire en résidence à l'Université du Colorado à Boulder, une campagne [4] pour cela a commencé. Elle repose sur une pétition multilingue [4] qui, au moment du présent article, compte un peu plus de 2.900 signatures, avec les hashtags #WeAreTwitter [5] [Nous sommes Twitter] et #BuyTwitter [6] [Acheter Twitter]. Il existe aussi un groupe ouvert Loomio [7] où sont prises les décisions pour les prochaines étapes, et un groupe Slack [8] pour les discussions plus approfondies et la coordination de projets ad hoc.

Un outil crucial pour l'actualité

Twitter est le couteau suisse de l'activisme numérique et de la conversation mondiale. Pour les médias indépendants c'est une source d'informations particulièrement importante qui a contribué à de profonds changements dans le traitement de l'actualité à travers le monde — et dans qui contrôle l'information.

Global Voices a été pionnier dans l'utilisation de Twitter pour la collecte de l'information, en y suivant et couvrant les événéménts [9] d'abord mentionnés par les activistes locaux comme, par exemple, pendant les printemps arabes de 2011 [10] (voir aussi ici [11]). Ce qui a donné naissance à un réseau complexe de relations et de connexions entre les utilisateurs qui tweetaient et retweetaient du contenu [12]. La plate-forme est ainsi elle-même devenue un outil efficace de développement communautaire.

Dans le même sens, Andy Carvin [13]—alors le stratège médias sociaux de NPR, la radio publique américaine—a commencé à utiliser Twitter de façon innovante, pas seulement pour la collecte/diffusion de l'info et la vérification des faits, en temps réel, mais aussi pour déterrer les histoires personnelles [14] des personnes qui luttent pour la liberté dans la rue et sur l'internet.

Dans les deux cas, Twitter offrait une voie nouvelle et novatrice pour amener les nouvelles directement depuis le terrain malgré l'absence de correspondants locaux ou face à la censure gouvernementale, un récit qui a été largement—trop dans certains cas—exploité par les médias occidentaux traditionnels.

Le réseau de nouvelles du peuple ?

Autre événement façonné par Twitter [15] en plusieurs sens, l'élection présidentielle américaine qui vient de se conclure. Depuis août dernier, les utilisateurs ont produit plus d'un milliard de tweets, et les comptes des deux candidats ont généré un flux constant de messages, du meilleur au pire, souvent battus en brèche par du fact-checking en temps réel, et d'incidents générateurs de mèmes.

Ce paysage contrasté a donné de la substance à une récente déclaration du PDG de Twitter Jack Dorsey, qui a appelé la plate-forme “le réseau de nouvelles du peuple” ; la campagne pour la propriété coopérative de Twitter cherche à se construire là-dessus. Le manifeste de la campagne [16] interpelle Twitter comme une personne, et demande :

“Et si tu étais vraiment au peuple ? À la place [de la mise sur le marché], pourquoi est-ce qu’on ne trouve pas une façon de t’acheter nous-mêmes ?

Nous voulons être entendus dans les systèmes qui façonnent nos vies et nos communautés. Nous voulons trouver des manières de créer de la valeur ensemble, et nous voulons que cette valeur renforce le bien commun que nous créons, plutôt que d’être vendue aux enchères sur Wall Street.

Nous aimerions conclure une affaire qui assurera que tu continues d’être super. Encore mieux, que les grandes choses que nous accomplissons ensemble soient ta véritable raison d’être, plutôt que de simplement nourrir le portefeuille d’un investisseur quelconque. Nous croyons qu’ensemble, nous pouvons construire une entreprise qui fonctionne, prospère, et innove de façon merveilleuse.

Voici la situation. Un groupe se forme qui désire organiser une coopérative pour rassembler les usagers Twitter dans l’espoir de pouvoir conclure une affaire. Une affaire juste, une affaire qui récompenserait de manière équitable les gens qui ont aidé à créer le Twitter que nous aimons (même avec ses défauts auxquels remédier, les discours de haine, bots et tapage)”.

Un long chemin, mais…

Est-ce une idée complètement dingue ? Peut-être. Notamment parce que transformer Twitter en coopérative propriété des usagers impliquerait un rachat à ses administrateurs et actionnaires. Donc des décisions difficiles et beaucoup d'argent. Pour l'instant, la discussion porte sur les aspects techniques [17] d'une telle transaction. Plus important, cette “idée dingue” a allumé un débat nouveau sur les modèles alternatifs de propriété [18] pour les entreprises de médias sociaux et d'internet.

La tendance monte pour construire un internet plus participatif et coopératif, dans le cadre du mouvement plus large d'économie sociale et solidaire [18] qui attire individus, entreprises et villes dans le monde entier. Il y a de la place sur le web pour d'autres modes de fonctionnement que ceux de Google ou Facebook. Décentralisation et participation des utilisateurs seraient les traits fondateurs d'un internet du futur – un internet du peuple, par le peuple, pour le peuple.