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A certains Iraniens qui suivent les élections américaines, la démocratie rappelle House of Cards

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Etats-Unis, Iran, Élections, Médias citoyens, Politique, The Bridge
Dessin de Mana Neyestani pour IranWire.

Dessin de Mana Neyestani pour IranWire.

[Article d'origine publié en anglais le 7 novembre] Frank Underwood, le personnage principal de la série House of Cards [1] de Netflix TV, tient ce discours tristement célèbre : “La démocratie, c'est tellement surfait.” Ce slogan souvent cité, particulièrement depuis le lancement de la série en Iran, est devenu un enjeu poignant pour tous les Iraniens s'intéressant à l'élection présidentielle américaine car il est le reflet des luttes pour la démocratie qui déchirent la sphère politique de leur propre pays.

Le deuxième débat qui opposa Donald Trump et Hillary Clinton a été décrit comme étant le pire de l'histoire américaine [2]. Les scandales et les affronts ont dominé cette élection, au point que beaucoup craignent que de tels comportements deviennent la nouvelle norme. L'élection américaine laisse une impression de déjà-vu aux Iraniens ayant vécu les deux mandats du président populiste Mahmoud Ahmadinejad [3] (2005-2013). Après avoir vu le mouvement vert s'élevant contre la réélection d'Ahmadinejad en 2009 et la répression menée par le gouvernement à l'encontre des manifestants, ces Iraniens ne peuvent espérer qu'une chose : que la démocratie ne soit pas aussi surfaite que le prétend Underwood.

L’Ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique, a récemment fait part de son admiration [4] pour le franc-parler de Trump, une caractéristique [5] reconnue également chez Ahmadinejad. Quelque temps auparavant, Khamenei avait exprimé ses craintes face à une possible présidence Trump et aux conséquences que cela pourrait avoir pour l’accord sur le programme nucléaire iranien [6]. Ce revirement a suscité la controverse dans les médias sociaux, les Iraniens faisant un parallèle avec le soutien que Khamenei a apporté à Ahmadinejad pendant et après les élections de 2009.

Quand il affirmait que l'élection était truquée, Trump n'apparaissait pratiquement pas dans les programmes télévisés. Mais il est devenu le nouvel Ahmadinejad après avoir reçu le soutien de Khamanei. On le voit partout à la télévision.

Toutefois, l'establishment appréciait déjà le spectacle politique américain bien avant que Khamenei n'exprime son soutien à Trump. Les débats présidentiels étaient retransmis en direct et la première saison de la série House of Cards de Netflix était diffusée.

Alors que l'Amérique se prépare à voter mardi, il est intéressant d'étudier quelques-uns des thèmes abordés à la fois par Ahmadinejad et par Trump, et les implications que pourraient avoir les discours démagogues pour la diplomatie américaine.

Discréditer les opposants

A l'élection présidentielle de 2009, Ahmadinejad briguait un second mandat. Son principal adversaire, Mir Hossein Moussavi [8], était revenu à la politique après des années d'absence. Moussavi contestait les élections et voulait combattre la corruption omniprésente et les politiques délirantes, qui selon lui, s'étaient emparées du pays. En guise de réponse, Ahmadinejad participa notamment à un débat diffusé sur la télévision nationale, apportant avec lui d’épais dossiers [9] censés contenir les preuves attestant de la corruption généralisée de plusieurs fonctionnaires soit disant partisans de Moussavi.

Sept ans plus tard, Trump traite régulièrement ses opposants, y compris républicains, de toutes sortes de noms comme “petit Marco”, “Fiorina la laide” et bien sûr “Hillary la véreuse”, devenu depuis lors un hashtag populaire pour Trump et ses partisans. Bien qu’Ahmadinejad ait été tristement célèbre pour son trash-talking, il n'a jamais insulté les caractéristiques physiques de ses opposants, hormis peut-être lorsqu'il a traité les manifestants du mouvement vert de “tas de poussière et d'ordures [10]“.

Discours antisémite

Ahmadinejad a attiré le feu des projecteurs par son déni sans complexe de la Shoah et un commentaire monstrueux selon lequel “Israël devrait être rayé de la carte [11]“. À l'occasion du 60ème anniversaire de la fondation d'Israël, Ahmadinejad a dit [12] : “Ceux qui croient pouvoir faire renaître le cadavre puant du régime usurpateur et factice israélien en faisant une fête d'anniversaire se trompent complètement.” À diverses reprises, il a refusé de reconnaître la Shoah [13], ce qui lui a valu d'être qualifié de négationniste [14], voire de “nouvel Hitler” de la part des hommes politiques et des médias occidentaux.

La limite mince qui sépare les mensonges de Trump et, disons, le déni d'Ahmadinejad de la Shoah va diminuer. C'est aussi inquiétant que ça.

Plus de dix ans plus tard, le candidat républicain à la présidentielle en fait sourciller plus d'un avec ses commentaires stéréotypes sur les Juifs et son montage d'Hillary Clinton apparaissant à côté d'une étoile de David [16] et d'un tas de billets de banque. Ces choix ont déclenché une tempête d'insultes et d'attaques antisémites à l'encontre des journalistes juifs ayant critiqué la campagne de Trump – attaques qui n'ont pas été catégoriquement condamnées [17]. Au contraire, le compte Twitter de Trump a régulièrement retweeté [18] des membres de groupes se réclamant de la suprématie blanche, ce qui a contribué à diffuser plus largement la haine antisémite. Les organisations de la communauté juive ont riposté en publiant une déclaration [19] dans laquelle elles dénoncent le racisme et la xénophobie. L'impact fut minime cependant, et quelques mois plus tard, Pepe la grenouille était devenu un symbole du camp nationaliste blanc Alt-right et classé comme symbole de haine raciale par la Ligue anti-diffamation [20] américaine. Le public a réagi avec le hashtag #WeveSeenThisBefore, rappelant que la rhétorique de Trump fait écho aux démagogues du passé [21].

Litt. “Vous ne pouvez pas coller le Trump”

Sexisme et misogynie

Au cours de ses deux mandats, Ahmadinejad a régulièrement proposé des mesures perçues comme étant misogynes. Après son élection, le président Ahmadinejad a changé le nom [29] du Centre pour la participation des femmes en Centre pour les femmes et les affaires familiales. Peu après, les employées femmes du gouvernement ont reçu l'ordre de travailler uniquement pendant les heures du jour. Un de ses derniers héritages a été la proposition de loi visant à réduire le temps de travail des femmes actives. Pour beaucoup, ces propositions tendent à réduire le rôle des femmes à celui de femmes au foyer et de mères. En dehors de la politique nationale, Ahmadinejad a également fait un commentaire narquois en 2008 au sujet de l'éventuelle nomination d'Hillary Clinton pour la présidentielle, déclarant [30] : “Il est peu vraisemblable qu'une femme devienne présidente dans un pays qui se glorifie de ses hommes armés.”

Donald Trump est connu pour avoir maltraité les femmes pendant des décennies, au moins depuis les années 1980 [31]. Le Parti républicain a de tout temps été critiqué pour ses positions sur les droits des femmes en matière de procréation mais le dénigrement assumé [32] de Trump envers les femmes fait passer le bilan du parti à un niveau jamais atteint.

Et cela ne s'arrête pas là. Trump et Ahmadinejad ont tous deux adopté des positions controversées sur l'immigration, les groupes terroristes au Moyen-Orient, l'homosexualité et même sur des affaires de plagiat présumé par leurs équipes. Cependant, leur tendance à dénoncer l'élite et l’establishment de leur pays respectif leur procure un attrait incroyable sur leurs partisans.

La présidence d'Ahmadinejad s'est soldée [33], entre autre, par une stagflation [34] historique, un enlisement des relations extérieures, des milliards de dollars de pertes en raison des sanctions économiques, et une chute drastique de l'Indice de perception de la corruption, qui est passé de 88 en 2005 [35] à 144 en 2013 [36].

Cet article n'est en aucun cas une comparaison exhaustive des contextes, des économies et du système électoral de l'Iran et des États-Unis. Cependant, il est presque certain que la démagogie qui a assombri la campagne électorale de 2016 pourrait représenter une menace sérieuse à l'encontre de la démocratie américaine, tout comme cela a été le cas envers la transition fragile de l'Iran vers la réforme et la démocratie. Les retards et l'instabilité économique devraient être le dernier soucis des citoyens. Ces dessins [37] sont peut-être ceux qui illustrent le mieux les conséquences possibles, et il faut espérer que les électeurs indécis les voient avant de se rendre à leur bureau de vote demain.