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Alors que la crise s'aggrave, les Russes remplacent la vodka par la bière et l'alcool maison

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Russie, Economie et entreprises, Médias citoyens, Santé, RuNet Echo
Russian lubok about alcoholism. Source: paukrus, Flickr. CC 2.0

Estampe russe sur l'alcoolisme. Source : paukrus, Flickr. CC 2.0

La crise économique qui sévit dans le pays fait préférer la bière à la vodka à de nombreux Russes, comme le décrit un article [1] publié sur le site d'actualités Gazeta.ru à la fin du mois d'octobre.

Selon les experts de l'Académie présidentielle russe de l'économie nationale et de l'administration publique auprès du président de la Fédération de Russie (RANEPA), les ventes de vodka ont chuté de 13,4% par rapport à la même période de l'an dernier. Une tendance qui s'observe depuis déjà pas mal de temps : les ventes d'alcool fort ont atteint un pic en 2007, après quoi elles ont commencé à reculer. Les ventes de vodka au détail sont passées de 53% du volume total des ventes d'alcool (basées sur la teneur en alcool absolu) dans les années 2007–2009 à 39% en 2015. Sur la même période, la part de la bière est passée de 31% à 43% du volume global.

Pour Alexandra Boudriak, la doyenne des collaborateurs scientifiques de la RANEPA et l'une des auteurs de l'étude, il s'agirait d'une tendance générationnelle : « Les goûts des Russes nés à partir de 1985 se sont formés sous l'influence occidentale, et en premier lieu européenne : ils préfèrent désormais largement le vin, la bière et autres boissons alcoolisées plus légères. »

Les Russes ont leurs propres explications à ce phénomène de chute des ventes de vodka. Selon l'hypothèse la plus optimiste, cette chute est liée à l'amélioration générale du niveau et des modes de vie en Russie.

Lioudmila Ermolaëiva écrit [2] sur Facebook :

Сужу по своему окружению, друзьям, родственникам, знакомым: все пить стали гораздо меньше. Моя семья последние 10 лет не пьет крепкие напитки совсем, только вино и иногда пиво.

Si j'en juge d'après mon entourage, amis, famille, relations : tout le monde boit beaucoup moins. Depuis une décennie, chez moi on ne consomme plus du tout d'alcools forts, seulement du vin et de temps en temps de la bière.

Certains utilisateurs de Facebook, parmi lesquels Alexandre Bondar [3], ont noté plusieurs tendances dans les données de l'étude, par exemple le caractère saisonnier de la consommation d'alcool :

Летом пиво, зимой водка, закон природы..

Bière en été, vodka en hiver: les lois de la nature…

Mais d'autres ont réagi à cette nouvelle en poussant un cri de guerre appelant à éradiquer cette menace qui pèse actuellement sur la société russe :

[En réponse au tweet d'un site d'information : La crise part en tire-bouchon. Les Russes boivent plus de vin et de bière, et moins de vodka.] Le lobby de la bière fait pression sur la Russie !

Dans la section des commentaires sous l'article, sur le site Gazeta.ru, beaucoup de réactions sont intéressantes. Par exemple, Piotr Ivanov fait de l'humour :

Пить меньше – это непорядок. Такое поведение граждан подрывает основы экономики. Надо объявить иностранными агентами и лишить социальных прав всех, кто выпивает меньше четырех бутылок водки в месяц на каждого члена семьи.

Boire moins amène le désordre. Une telle attitude des citoyens sape les fondements de l'économie. Il faut déclarer agents de l'étranger et priver de leurs droits sociaux tous ceux qui boivent moins de quatre bouteilles de vodka par mois et par membre du foyer.

Cependant, la majorité a fait remarquer que les chiffres de la vente d'alcool au détail masquaient la consommation de samogon, ou alcool fait maison. Au début de la crise, les experts avaient prévenu que la hausse de la consommation de samogon pouvait être dangereuse [7] [en anglais] et potentiellement mortelle. Pour autant, la préparation du samogon reste généralement une tradition populaire dans les datchas russes et relativement inoffensive, et beaucoup y voient justement une explication à la chute des ventes de vodka. Les Russes boivent toujours de l'alcool fort, c'est juste qu'ils cherchent à l'obtenir par des moyens plus créatifs. Alissa Neonova écrit [8] sur Facebook:

Посмотрели бы они статистику продаж самогонных аппаратов – та же кривая только ввысь….не думаю, что пить стали меньше, скорее больше – тут уже нет ограничений в виде финансов – сколько нагонишь- все твоё…

[Tweet du haut : Les Russes qui boiraient moins ?! Non, ils distillent plus !] S'ils avaient regardé les chiffres de la vente des alambics, ils auraient vu que la courbe ne cesse de grimper… je ne crois pas que les gens boivent moins, plutôt plus, et là il n'y a pas de limites financières : tout ce que tu distilles est à toi…

La hausse de la demande se confirme !

Alexandre Kotchemassov, un lecteur [12] de Gazeta.ru, confirme:

Смешно. Как Вы думаете что начинает в кризис делать русский мужик. При этом пиво он сам делать не умеет. Ну конечно ставить брагу и гнать самогон. Даже Москва начинает подсаживаться на самогон, но только собственного изготовления.

C'est marrant. Que va faire un Russe en temps de crise ? Surtout qu'il ne sait pas fabriquer lui-même la bière. Bien sûr qu'il va se mettre à la braga [sorte de bière fabriquée à la maison] et faire du samogon. Même Moscou se met au samogon, mais seulement de fabrication personnelle.

Les Russes n'achètent pas de vodka, vu qu'il y a des usines d'alcool partout. Comme on dit, acheter de l'alcool, c'est pas un problème.

Peu importe ce qui se cache derrière cette tendance et si la bière devance effectivement la vodka; la plupart s'accordent pour dire que ce n'est pas la crise qui va changer quelque chose pour ceux qui, en Russie, ont envie de boire un peu (ou beaucoup).