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“Le Sommet de la francophonie écarte l’âme de Madagascar: sa population”

Catégories: Afrique Sub-Saharienne, Madagascar, Action humanitaire, Cyber-activisme, Droits humains, Gouvernance, Manifestations, Médias citoyens, Relations internationales, Le français, une langue en pleine expansion
Rassemblement du collectif citoyen Wake up Madagascar via Facebook Wake Up Madagascar [1]

Rassemblement du collectif citoyen Wake up Madagascar via Facebook Wake Up Madagascar

Le 16ème sommet de la Francophonie aura lieu les 24 et 25 novembre à Antananarivo, Madagascar. Les Sommets de la francophonie sont des rencontres des chefs d’État et de gouvernement des pays membres de l’Organisation internationale de la francophonie qui se tiennent tous les deux ans depuis 1986. Lors de ces sommets, les chefs d’État ou de gouvernement discutent de politique internationale, d’économie mondiale, de coopération francophone, de droits humains, d’éducation, de culture et de démocratie. Pour préparer l'arrivée des nombreux chef d'états, le gouvernement malgache a tenu à assainir la capitale malgache et la montrer sous son meilleur jour à ses nombreux invités étrangers.

Pour se faire, l'administration malgache a pris des mesures drastiques: construire de nouvelles routes mais aussi déplacer les nombreux sans-abris qui se trouvent dans la capitale. Felaniaina Diamante a publié de nombreuses photos montrant les sans-abris déplacés pendant la nuit en amont du Sommet. Elle écrit: [2]

Afindra monina vonjy maika(…) aloha ireo”mahantratsika”fa manimba mason'ny vahiny@frankofonia…Noraofina t@camion ben'ny CUA.

On deplace urgement (..) nos indigents parce que leurs présences pourraient choquer les invités de la francophonie. Un camion-benne de la mairie les a transportés.

 

Emsemble de photos montrant l'evacuation des sans abris a Antananarivo, madagascar [2]

Emsemble de photos montrant l'evacuation des sans abris a Antananarivo, madagascar

Pamela habite à Antananarivo et témoigne aussi dans ce sens: [3]

J'étais outrée de voir comment ces personnes ont été transportées en pleine nuit, entassées dans un camion. Les SDF ne pouvaient pas vraiment refuser l’offre faite, les policiers leur ont proposé des vivres et des couvertures. Mais dès le lendemain matin, quelques-uns sont revenus à la case départ expliquant que le lieu ne leur convenait pas. Pourquoi a-t-on laissé le nombre de SDF s'accroître dans ce quartier, pour subitement décider de les embarquer, quelques jours avant ce sommet ?

Le mouvement citoyen Wake Up Madagascar a tenu à faire connaître la réalité du quotidien des malgaches. Le mouvement a organisé un “sit-in” sur une place de la capitale pour interpeller les dirigeants [4]qui vont assister au Sommet et décrit l'objectif de cette manifestation dans une lettre ouverte à la Secretaire Générale de la Francophonie:

Madame La Secrétaire Générale,
Nous, citoyens malgaches, sommes honorés d’être les hôtes du 16e Sommet de la Francophonie, bien que l’organisation de l’événement et les mesures prises pour son déroulement sont loin d’avoir acquis l’adhésion de tous. Nous vous souhaitons la bienvenue dans notre humble pays.
Malheureusement, ce Sommet qui se veut fédérateur écarte l’âme même de Madagascar qu’est sa population. Les mesures prises au nom du confort et de la sécurité des prestigieux invités ne servent qu’à cacher la réalité du Malgache de 2016 et pour certains d’entre nous, alourdissent la précarité quotidienne durant la semaine consacrée à la Francophonie.
Par ailleurs, un budget faramineux a été mis à disposition de l’Etat pour l’organisation de l’événement. Cependant, les dépenses occasionnées dans la préparation du Sommet restent opaques et les détails, jalousement gardés par l’Administration. Malgré les incessantes demandes de la société civile et de simples citoyens, le budget y affecté et ses sources sont volontairement laissés flous, laissant planer des doutes et des inquiétudes légitimes.
La lettre ajoute:
Dans le quotidien malgache, nos citoyens meurent chaque jour dans des cambriolages, dans des attaques à main armée, dans des attaques de dahalo. L’Etat, qui se plie en quatre pour recevoir le sommet francophone, n’agit pas pour les administrés.
Nous nous sentons exclus de notre propre vie, de notre propre ville, de notre propre pays. Et c’est injuste !
Quelle est notre réalité, en 2016 :
- 92% des malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté. Un chiffre terrible qui s”illustre par la difficulté du Malgache lambda à trouver quotidiennement son besoin le plus basique : la nourriture.
- 1.400.000 personnes sont en état d'insécurité alimentaire dans le Sud, dont 840.000 personnes au plus haut niveau d'insécurité alimentaire
- Une insécurité galopante en milieu urbain et en milieu rural
- 7 personnes sur 10 n'ont pas accès à l'eau potable
- Les coupures d'eau et d’électricité sont quotidiennes sur tout le territoire, pour ceux qui y ont accès.
Lors du sit-in, de nombreux messages ont été affichés par les manifestants, comme celui-ci, porté par Jentilisa, contributeur à Global Voices:
"Je suis lq liberté d’expression bafouée" par Jentilisa [5]

“Je suis la liberté d’expression bafouée” par Jentilisa

Ketakandriana Rafitoson, porte-parole du collectif, explique à RFI le pourquoi le sit-in et les messages [4] portés par les participants:

Et quand il y a un sommet où il s’agit d’inviter des étrangers, l’Etat se plie en quatre pour les accueillir. Mais nous, alors qu’on demande des services publics de base, -par exemple des problèmes d’électricité, de délestage qu’on a au quotidien, l’eau boueuse, les routes qui ne sont pas réparées-, personne ne nous écoute.(La teneur des messages?) : « Je suis les milliers de sans-abris », « Je suis celui qui n’a pas de travail », « Je suis les 1 400 000 Malgaches qui souffrent d’insécurité alimentaire dans le sud ». Les dirigeants veulent jeter de la poudre aux yeux à la communauté internationale tandis que le peuple se meurt.

Aucun chiffre officiel n’a été communiqué non plus sur le coût des dépenses relevées à ce jour. Cette opacité fait partie des réalités malgaches que le mouvement souhaite faire savoir aux  visiteurs de la Francophonie.