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Démystifier la censure des médias sociaux — en anglais, en arabe et en espagnol

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Israël, Palestine, Tunisie, Turquie, Censure, Cyber-activisme, Droits humains, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Advox

Images d'un résumé hebdomadaire d'OnlineCensorship.org.; [1]

Images d'un résumé hebdomadaire d'OnlineCensorship.org.
De gauche à droite et de haut en bas :

Censuré : Dénonçant la concentration du pouvoir aux mains de quelques-uns sur Internet, Peter Sunde, cofondateur de The Pirate Bay,  a déclaré que Mark Zuckerberg était le « dictateur [… de] la plus grande nation du monde ».
Discours : Facebook, YouTube et Twitter ont signé un code de conduite relatif aux incitations à la haine établi par la Commission européenne, ce que les groupes de défense des droits critiquent.
NSFW (soit not safe for work pour les contenus à éviter au bureau) : YouTube a supprimé une vidéo pour « contenu sexuel » alors qu'elle n'en contenait pas, du moins rien de ce que l'on entend normalement par là. Il s'agissait d'une version éditée spécialement pour YouTube d'un film pornographique.
404 : Le site d'informations de la radio NPR, Marketplace, s'est penché sur la censure des réseaux sociaux dans le monde, notamment au Vietnam, en Iran et au Bangladesh.

Tandis que Facebook bannit  [2]les photos de poitrines de femmes de son site (si l'on peut voir les tétons), YouTube interdit [3] les contenus qu'il considère comme violents : les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la mesure où ils décident des types de discours les plus fréquents sur Internet.

Comme d'autres réseaux sociaux populaires, leurs conditions générales d'utilisation restreignent certains types de contenus comme la nudité, l'incitation à la haine et la violence. Mais ces règles, difficiles à définir, sont toujours sujettes à interprétation.

Les atteintes portées à la liberté d'expression se sont multipliées suite à la mise en œuvre plus que zélée de ces conditions par les réseaux sociaux. L'an dernier, Twitter a suspendu [4] par erreur le compte de l'activiste et utilisateur Iyad el-Baghdadi, car les modérateurs du site pensaient que son compte pouvait appartenir au chef de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi. Autre exemple de la région arabophone, plus tôt cette année, Facebook a effacé [5] une photo du photographe tunisien Karim Kammoun qui montrait des ecchymoses sur le corps nu d'une femme victime de violence domestique.

Les réseaux sociaux effacent également des publications d'utilisateurs à la demande des gouvernements. Ceux-ci leur demandent parfois d'effacer du contenu dans l'objectif parfaitement clair et légitime de protéger les enfants de l'exploitation sexuelle ou de lutter contre la propagande extrémiste violente. Mais on sait également qu'ils instrumentalisent ces politiques pour faire pression sur les réseaux sociaux afin qu'ils effacent des contenus normalement protégés par des traités portant sur les droits humains, comme le Pacte international relatif aux droits civils et politiques [6] (PIDCP) ou la Convention européenne des droits de l'homme [7] (CEDH).

Article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

2. Toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

3. L'exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :

a) Au respect des droits ou de la réputation d'autrui ;

b) A la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

Article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Le gouvernement turc reste de loin celui qui use et abuse le plus de ces politiques, occupant la première place sur la liste des gouvernements ayant effectué des demandes de retrait de contenu à Twitter au cours du premier semestre 2016, avec 2 493 demandes. En outre, au deuxième semestre 2015, Facebook a restreint l'accès à 2 078 contenus en réponse à des demandes effectuées par les autorités turques en vertu de la loi numéro 5651 qui prévoit un recours contre les violations des droits personnels et interdit la diffamation du fondateur de la république turque, Mustafa Kemal Atatürk.

Selon les activistes turcs, leur gouvernement se sert aussi de ces règles pour empêcher ses citoyens de critiquer les autorités, de diffuser des informations liées à la cause kurde et même pour étouffer la couverture des événements politiques qui intéressent le public. Par exemple, en mars 2014, Twitter, appliquant sa politique de retrait de contenu par pays [8], a restreint l'accès au compte de l'utilisateur @oyyokhirsiza [9] à l'intérieur de la Turquie, parce qu'il avait publié des tweets accusant un ex-membre du gouvernement de corruption.

Le mois dernier, Facebook a désactivé [10] plusieurs comptes et pages de journalistes et sites d'informations palestiniens. Cela s'est produit seulement quelques semaines après l'annonce par le gouvernement israélien d'un accord avec la société pour supprimer les contenus qualifiés « [d’]incitatifs ». Même si Facebook a par la suite présenté ses excuses pour ces actes, les activistes de la Palestine et de la région restent sceptiques quant à l'engagement du site en faveur de la transparence et de l'impartialité lorsqu'il met en œuvre ses politiques de suppression de contenus.

Cette imbrication des intérêts et politiques publics et privés est difficile à comprendre du point de vue des utilisateurs des réseaux sociaux : les entreprises publient certaines informations concernant ce qu'elles censurent ou non mais la plupart du temps, celles-ci n'arrivent jamais aux yeux du public.

Onlinecensorship.org est un projet de The Electronic Frontier Foundation [11] et de Visualizing Impact [12] (que Global Voices suit avec intérêt), qui vise à changer cela en centralisant par un système de crowd-sourcing les suppressions de contenus et suspensions de compte signalés par les utilisateurs concernés sur YouTube, Facebook, Twitter, Flickr, Google+ et Instagram.

Les utilisateurs peuvent signaler [13] toute suppression de leurs publications ou suspension de leur compte par un réseau social grâce à l'outil de signalement de onlinecensorship.org. Le site explique [14] aussi aux utilisateurs comment contester la suppression de leur publication ou la suspension de leur compte auprès de Facebook, Twitter, Youtube, Instagram, Flickr et Google+.

onlinecensorship.org [15]

Capture d'écran de la page À propos de onlinecensorship.org.
Onlinecensorhip.org se donne pour mission d'encourager les entreprises à faire preuve de plus de transparence et à rendre des comptes à leurs utilisateurs lorsqu'elles prennent des décisions en matière de liberté d'expression. Nous savons qu'elles sont avides de données, c'est pourquoi nous collectons les signalements de leurs utilisateurs afin de mettre en évidence les types de contenus supprimés, les raisons pour lesquelles elles prennent ces décisions et les effets des suppressions de contenus sur les utilisateurs dans le monde.
Nous ne collectons pas ces signalements simplement pour dégager des tendances. Nous examinons également le contexte et nous cherchons à comprendre l'effet de la suppression des contenus sur la vie des utilisateurs. Souvent, les groupes les plus touchés par la censure en ligne sont déjà les plus marginalisés, ce qui veut dire que les personnes censurées sont aussi celles que l'on a le moins de chances d'entendre. Nous voulons amplifier ces voix et les aider à réclamer un changement.

Le mois dernier, le groupe a lancé une version en arabe de son site web, onlinecensorship.org. [16] Jillian York, directrice d'EFF, l'une des cofondatrices du site (et membre du conseil d'administration de Gloval Voices), a expliqué que la récente série de censure de contenus en provenance de Palestine les a poussés à accélérer le déploiement de la version en arabe.

Sur Onlinecensorship.org, Facebook est le réseau social qui fait l'objet du plus grand nombre de signalements [17]. Si la plupart des signalements proviennent des États-Unis, suivis du Canada, Jillian York espère que la traduction du site dans d'autres langues permettra « [d’]accroître la diversité des données [et de] comparer entre pays et régions du monde, pour voir à quoi ressemble la censure exercée par les réseaux sociaux ».

Note de GV en français : En attendant une version française du site, nous souhaitons longue vie à cette initiative essentielle pour la liberté d'expression sur Internet.