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Le dilemme des Vénézuéliens : rester ou partir ?

Catégories: Amérique latine, Venezuela, Médias citoyens, Migrations & immigrés
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“Le coeur brisé n'est pas même un début d'explication. Je vis à Berlin, mais la situation de mon pays perturbe ma petite bulle de confort ici dans le premier monde”. Image du graphiste vénézuélien Leonardo González, utilisée avec autorisation.

Le Venezuela connaît en ce moment le taux d'inflation le plus élevé [2] du monde, assorti de pénuries alimentaires et médicales chroniques. Pendant que le gouvernement et l'opposition se rejettent mutuellement la responsabilité de l'état catastrophique de l'économie, les Vénézuéliens de la diaspora s'adressent par les médias sociaux à leurs compatriotes au pays pour leur dire qu'il y a une vie hors de leur patrie assommée par la crise.

Cette crise, à laquelle les médias internationaux identifient désormais le Venezuela, s'est aggravée ces dernières années et a, par ricochet, ouvert la voie à d’alarmantes violations des droits fondamentaux [3], qui résonnent tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays. [4]

En réaction, un nombre croissant de Vénézuéliens réfléchissent s'ils doivent rester dans leur pays, ou le quitter pour chercher des opportunités ailleurs. Le média en ligne indépendant Efecto Cocuyo publie des chiffres [5] avec le raisonnement qui les sous-tend, commentés par des spécialistes au Venezuela :

[…] Los momentos de migración en Venezuela en los últimos 15 años pueden ser divididos en tres períodos. En el primero, fue la élite venezolana la que emigró entre 1999 y 2003 debido a los cambios de carácter político que trajo la llegada del presidente Hugo Chávez […] En el segundo, comprendido entre 2004 y 2009, fueron los talentos y saberes los que abandonaron el país. Ahora, desde 2010 hasta la actualidad, los jóvenes y la clase media son quienes se despiden en [el aeropuerto internacional de] Maiquetía [debido a] las condiciones políticas, sociales y económicas de Venezuela.

Les moments de migration des 15 dernières années au Venezuela peuvent être divisés en trois périodes. Dans la première, c'est l'élite qui a émigré entre 1999 et 2003 à cause des changements politiques amenés par l'arrivée du président Hugo Chavez […] Avec la deuxième, entre 2004 et 2009, ce sont les talents et les savoirs qui ont abandonné le pays. A présent, depuis 2010, ce sont les jeunes et la classe moyenne qui font leurs adieux à l'aéroport international de Maiquetía [à cause des] conditions politiques, sociales et économiques au Venezuela.

Pourquoi c'est dur

Les voix de ceux qui sont partis sont très présentes sur les médias sociaux, et expriment les différentes façons dont les migrations ont été difficiles à vivre pour les Vénézuéliens. L’acceptation par la collectivité [6], les incompatibilités culturelles et la connexion à la crise politique du pays imprègnent les discussions et témoignages sur internet, des thèmes partagés sur le blog collectif Caracas Chronicles sous le mot-dièse #TheCrisisAndMe [7] (La crise et moi) :

Juan Cristobal Nigel, qui écrit depuis le Chili, décrit comment la mésentente au Venezuela blesse quand elle contraste avec ce qui semble en comparaison une vie sans histoire :

Mon coeur est en plomb, alourdi par l'impossibilité de mettre le Venezuela derrière moi.

Chaque jour, la scène se répète cinq, six fois. Que ce soit pendant une réunion de travail, une phrase d'un étudiant au restaurant universitaire, ou l'appel d'un ami, les questions des gens sont toujours les mêmes : “c'est affreux, qu'est-ce qui va se passer ?” L'autre jour j'ai adressé la parole à un clochard. Il m'a demandé d'où j'étais. “Du Venezuela ? Noon !, là-bas ça va maaal…” Et de me regarder avec commisération.

J'ai la même réaction. Quand j'en parle, je suis parti pour une demi-heure de gueule de bois émotionnelle persistante.

Je suis reconnaissant aux gens de leur inquiétude, mais je ne peux réfréner un peu de jalousie. Leur vie continue. Ils ne se sentent pas coupables chaque fois qu'ils vont au supermarché. Ils n'ont pas à dépenser des centaines de milliers de pesos en médicaments à envoyer à leurs proches au pays. Ils ne passent pas des heures et des heures loin de leurs familles à écrire sur la crise au Venezuela.

Nous sommes chanceux. Nous ne vivons pas directement cette crise. Mais un tout petit peu quand même.

Dans un autre billet, Alejandro Machado raconte [8] comment il ressent que sa famille reste connectée grâce à la technologie, bien que cela ne lui suffise pas à les sentir proches :

Nous restons informés, mais pas vraiment en contact. Nous sommes divertis, mais pas vraiment comblés. Ma famille est maintenant éclatée sur plusieurs continents, avec les tchats de groupe et les appels vidéo comme seuls outils pour maintenir notre communication importante. J'apprécie ces ponts précaires que permet de garder la technologie numérique, mais quand on a connu la vraie vie, ils ne la valent pas.

Nous sommes partis parce que la crise est devenue trop terrible, les opportunités ont surgi ailleurs, et nous les avons saisies. Nous avons énormément de chance d'être nés dans une famille aimante et de ne pas avoir été victimes des tragédies réelles qui atteignent les Vénézuéliens chaque jour.

Hélas, la crise a fait de ma famille une famille virtuelle, et ça fait mal.

“La plupart du temps, nous réussissons malgré notre nationalité plutôt qu'à cause d'elle”.

Le vécu est souvent chargé de colère, mais s'accompagne aussi de questionnements sur les notions de pays, nation et identité. Hector médite là-dessus dans un article partagé sur Medium [9] où il explique ses raisons de quitter le pays et la colère provoquée par le système et le conflit politique :

Pienso que hay que desechar esa tontería de sentirse orgulloso del país en donde uno nació sólo por eso. O sentir orgullo por los logros de connacionales excepcionales que se destacan alrededor del mundo en las distintas disciplinas. Si más bien dichos logros es porque se desprendieron de esa prisión moral y social que es atarse a una nacionalidad y actuar acorde a ella y a sus expectativas. No es casualidad que los grandes escritores o pensadores venezolanos cargaran sus obras con tanta crítica social hacia la identidad nacional, porque muchas veces los logros no son por el gentilicio sino a pesar de él.

Je pense qu'il faut chasser cette bêtise d'être fier du pays où on est né rien que parce qu'on y est né. Ou de se sentir fier des réussites de compatriotes exceptionnels qui se démarquent à travers le monde dans différentes disciplines. Ces succès sont dus au fait qu'ils se sont défaits de cette prison morale et sociale qu'est l'attachement à une nationalité et l'action conforme à elle et à ses attentes. Ce n'est pas un hasard si les grands écrivains ou penseurs vénézuéliens ont chargé leurs oeuvres de tant de critique sociale de l'identité nationale, parce que maintes fois ces réussites ne se font pas grâce à la nationalité mais malgré elle.

Guides de survie pour les Vénézuéliens à l'étranger

De nombreux autres usagers de réseaux sociaux ne se contentent pas de parler de ce qu'ils vivent et de partager des histoires de nostalgie. Ils donnent aussi des conseils à ceux qui voudraient comme eux s'expatrier. Il leur semble souvent que les Vénéuéliens vivent ce que de nombreuses communautés ont traversé au 20ème siècle en Amérique Latine et en Europe, et le choc engendre à la fois empathie et réflexion. Comme toujours, les récits sont variés, comme on peut le voir sur la chaîne YouTube Diáspora Venezolana:

Uno siempre piensa que su país es el mejor, que su cultura es la mejor, la verdad es que todas las culturas son muy bonitas. No somos de ninguna parte, sino que somos del mundo. La gente tiene que atreverse, a viajar. Yo pienso que la vida es conocer, ir a otros lados, conocer otras personas, conocer otras culturas. Ver el mundo.

On pense toujours que son pays est le meilleur, la vérité est que toutes les cultures sont très belles. Nous ne sommes pas d'un seul lieu, nous sommes du monde. Il faut oser, voyager. Pour moi, la vie c'est connaître, aller ailleurs, connaître d'autres gens, connaître d'autres cultures, voir le monde.