Chine : Un héros populaire de la résistance aux expropriations exécuté pour meurtre

Jia Jinglong (1985-2016) via RFI

Jia Jinglong (1985-2016) via RFI

Jia Jinglong a été exécuté le 15 novembre 2016 pour le meurtre du chef de village, He Jianhua, à l'aide d'un pistolet à clou en février 2015.

Le meurtre était un acte de vengeance suite à la démolition forcée de la maison nouvellement rénovée de Jia, qu’il avait préparée pour son mariage en 2013. La démolition a détruit son projet de mariage et sa fiancée l’a quitté peu de temps après.

L’homme de 30 ans a été déclaré coupable et condamné à mort par le tribunal intermédiaire de Shijiazhuang en novembre et la sentence d'exécution fut approuvée par la haute cour du peuple de la province de Hebei en mai 2016.

Bien que l’affaire concerne un meurtre prémédité, Jia a gagné la sympathie du public en étant perçu comme une victime de la confiscation de terres au nom des opérations immobilières. Par ailleurs, il a avoué son crime aux policiers peu de temps après son arrestation. Il n’est pas rare que que le tribunal suspende la peine de mort d’un condamné coopératif. Même le quotidien d'Etat China Daily a reconnu la situation désespérée de Jia dans son analyse lorsque le journal a rapporté l’appel de la famille de Jia devant la Cour suprême du peuple pour que sa sentence soit suspendue :

Comme dans de nombreux cas similaires, Jia était un citoyen ordinaire essayant de vivre une vie normale […] Comme d’autres qui ont sombré dans le désespoir, le ressentiment et qui ont fait du mal à eux-même et aux autres pour que leurs injustices soient reconnues, Jia n’aurait probablement pas agi de la sorte si son préjudice avait été pris en charge comme il le faut.

Mais l’appel de la famille fut rejeté. La veille de l’exécution de Jia, le 14 novembre, une  douzaine de juristes et d’avocats ont mis en place une instance d’appel ouvert devant la Cour suprême du peuple comme dernier ressort pour sauver la vie de cet homme. La lettre ouverte plaide que la Cour devrait considérer Jia comme une victime.

Le dernier appel a toutefois été vain. La vie de Jia fut ôtée le matin suivant. Ses derniers mots pour le monde furent sous la forme d’un poème intitulé « Farewell » (NdT, Adieu) :

Jia's farewell poem written in jail. Via Twitter

Jia's farewell poem written in jail. Via Twitter

 

今当刑离,半梦消断,一往无前。
纵万般洒脱,玉石莹莹,清白颠覆,自有堪堪。
绛河澄澈,皓月婵娟,思凝眸。
哀空残月,待憔悴,或余日无多,肝胆涅槃。
世间何其涟滟,常愁余放风倚阑看,念香花幽草,犹忆偏爱,蛐鸣蝶舞,览尽风姿。
一任孤掷,贾在高营,惟是泯仇愧泽酬。但已矣,恨有幸人来,泪与君别。

Séparés par la peine de mort aujourd’hui. Le rêve doit s’interrompre à mi-chemin. Tout s’achève sans futur.
Mais insouciant et pur. La subversion est claire comme du cristal. L’histoire derrière est pipée.
Une lune lumineuse sur la rivière claire. Ton regard me manque.
Une lune vide et solitaire. Désir pâle et hagard. Aucun jour restant. La passion et la rage se reposent dans le Nirvana.
La vie, des vagues colorées. Penché sur la barrière, regarder avec tristesse le vent passer. La fragrance des fleurs et de l’herbe me manquent. Le chant des criquets et la danse du papillon sont mes souvenirs préférés. Les belles manières d'abord.
Tout capricieusement jeté. Jia à Gaoyin [la ville natale de Jia]. Mais la vengeance n’est pas récompensée. Tout est fini. Je voudrais que mon amour vienne. Mes larmes vous disent adieu.

Beaucoup d’internautes se sont demandé pourquoi la Cour avait refusé de suspendre la peine de mort. Les histoires de gens ordinaires tenant tête aux propriétaires et aux malfrats à la campagne sont valorisées dans l’éducation communiste chinoise, et l’histoire de Jia rentre dans ce cadre. Comme un internaute l’a fait remarquer :

贾敬龙跟陈胜吴广没什么区别,当一个传统中国人,连自己的家园都无法照顾作为一个中国男人,他不是罪犯,更加不该被核罪为死刑,他只是在执行自己作为男人守护家园的使命,为什么推土机一直扰乱中国人的家园

Jia Jinglong n’est pas si différent de la révolte paysanne de Chen Shen Wu Kuang sous l’Empire Qin. Tout homme chinois traditionnel doit se battre pour protéger son foyer. Il n’est pas un criminel et ne devrait pas être condamné à mort. Il remplissait juste son rôle d’homme et défendait sa famille. Les pelleteuses ont détruit bien des maisons en Chine…

Beaucoup ont rappelé la peine de mort suspendue pour Gu Kailai, qui avait assassiné l’homme d’affaire britannique Neil Heywood. La plupart des discussions sur le réseau social Weibo ont été effacées, mais des billets similaires ont pu être retrouvés sur Twitter, comme :

Gu Kailai a assassiné l’homme d’affaire britannique Neil Heywood et elle a eu sa peine de mort suspendue. Jia Jinglong défendait ses droits, il a tué un scélérat et a été condamné à mort. La première est membre de la famille Zhao [surnom de l’élite], le dernier n’est pas un Zhao et il a tué l’un des chiens des Zhao. La loi des Zhao défend évidemment les intérêts de la famille Zhao. Il n’y a aucune justice dans la loi de la famille Zhao, n’est-ce pas évident ?

D’autres ont indiqué que les gens ordinaires ont été dépossédés par ce violent modèle de développement qui pratique la saisie des terres et les démolitions forcées. Le commentaire de l’écrivain chinois Xin Ke sur la décision de la Cour de ne pas suspendre la sentence de Ji a beaucoup été reprise :

为什么贾敬龙会死,道理很简单,我告诉你,其实跟法律(死刑存废)没多大关系,也没有太深刻的政治含义。原因只有一个,以后还搞不搞强拆?如果不搞了,那实在没必要杀掉他,让人骂,何苦呢 […] 如果继续搞,那他大概非死不可,否则谁以后还敢强拆呢?如果你找到了以后他们要不要继续强拆的答案,自然会得出他会不会死的答案。

Pourquoi Jia Jinglong est-il mort ? La raison est très simple. Je vais vous le dire. Ça a très peu de rapport avec la loi et très peu d’implication politique. Il n’y a qu’un seul motif : la démolition forcée restera-t-elle permise ou non à l’avenir ? Si elle n’est pas permise, il n’y a aucune raison de le tuer. Ils n’ont pas besoin de se faire reprocher sa mort. Si la démolition forcée continue, il doit mourir, ou personne n’osera plus poursuivre la tâche. Si vous connaissez la réponse concernant les politiques de démolition forcée, vous avez la réponse sur la vie de Jia.

Un autre auteur chinois continental, Shishusi, s’est penché sur le problème avec un ton un peu plus positif sur Weibo :

用射钉枪打死村支书的贾敬龙终于被执行死刑。之所以引起强烈社会反响,背后承载了多少人对拆迁的意见和对基层组织的不满情绪,却足以引起更深的关切[…] 枪毙贾敬龙甚易,但平复这样常年累积的情绪却非朝夕可就。加油,中国的改革,法治和平等。打捞沉默的声音永不迟到。

Jia Jinglong, qui a utilisé un pistolet à clous pour tuer le chef du village, a été exécuté. Le fait que cet incident ait tant attiré l’attention du public vient du mécontentement généralisé concernant les destructions forcées et les organisations locales du parti. En fait, c’est un problème plus important qui doit être traité. […] Il est facile de fusiller Jia Jinglong. Mais il est difficile de traiter le sentiment public [concernant les destructions forcées]. Ajoutez de l'huile, la réforme chinoise, état de droit et égalité. Il n’est jamais trop tard pour écouter la voix de la majorité silencieuse.

Bien que positif, le commentaire de Shishusi a été retiré de Weibo. Peu après la publication de l’appel des juristes, le 14 novembre, la propagande de l’Etat chinois a considéré toute opinion publique autour du dossier de Jia Jinglong comme un affront à l’autorité des juges et les censeurs du web ont commencé à effacer toutes les discussions en ligne s'y rapportant.

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