Fidel Castro, le révolutionnaire qui a présidé aux destinées politiques, économiques et sociales de Cuba pendant près de soixante ans, est mort le 25 novembre 2016 à l'âge de 90 ans.
Fidel Castro était un colosse dans le paysage politique de la région, respecté et en bons termes depuis des décennies avec les chefs d'Etat de la Caraïbe, peut-être le plus avec celui de la Grenade Maurice Bishop, dont le gouvernement gauchiste a fait un proche de Cuba.
A Trinidad, la militante Tillah Willah a rendu hommage en publiant une photo des deux dirigeants côte à côte :
Pour de nombreux utilisateurs de médias sociaux à travers l'archipel caraïbe, Castro était l'ultime ‘lider maximo’ : une figure irrésistible et romantique, fortement admiré pour sa posture face aux stratégies d'intimidation des Etats-Unis – qui ont placé la région en bonne place pendant la guerre froide – son charisme et son talent oratoire électrisant.
Aux yeux de beaucoup dans la région, Castro était aussi synonyme de résistance au colonialisme : Cuba a soutenu la guerre d'indépendance en Angola, a aidé à la lutte de l'African National Congress contre l'apartheid en Afrique du Sud et envoyé des troupes d'infanterie se battre dans l'invasion de la Grenade menée par les USA en 1983.
L'importance de ce thème pour les territoires de la région n'a pas échappé à ce diplômé jamaïcain de l'University of the West Indies, qui a tweeté :
One thing Castro (and Manley) got right imo, your country has to be self-sufficient. You must repel neo-colonialism to survive
— Furious Styles (@gunnerbeeks) November 26, 2016
Une des choses sur lesquelles Castro (et Manley) ont eu raison, à mon avis, est que votre pays doit être auto-suffisant. Il faut repousser le néo-colonialisme pour survivre.
D'autres réactions à sa mort n'ont pas tardé à submerger les médias sociaux. L'éditorialiste et blogueur Gordon Robinson a noté :
Self reliance; education; leading from the front&by example, those were the simple qualities that made Fidel such an enduring&successful Ldr
— Gordon Robinson (@TheTerribleTout) November 26, 2016
Indépendance ; éducation ; direction depuis le front et par l'exemple, telles étaient les qualités simples qui ont fait de Fidel un dirigeant aussi durable et victorieux
Sur Facebook, le militant social et maître de conférences à l'University of the West Indies Gab Souldeya Hosein, a synthétisé les émotions ressenties par beaucoup :
Impossible de mentir. L'histoire pèse lourd sur mon coeur ce matin. Je pleure la fin d'une ère décisive de farouche espoir collectif caraïbe. Je sais que la tâche est entre nos mains. Mais à l'instant nous avons perdu la force de notre allure et on a l'impression que chaque pas en avant dans la région est menacé. Il faut de l'engagement, du courage et de la lutte, mais d'abord il y a la perte. Ma génération de militants reste à l'écart de l'Etat au lieu de s'en saisir pour notre souveraineté nationale. Nous gardons le cap, mais devons risquer plus pour aller plus loin et construire des mouvements qui fassent évoluer notre mandat. Nous devons créer les Bishop et les Fidel de notre futur. Nous devons faire de nous de nouveaux symboles d'autonomie et d'auto-détermination. Mais d'abord, avant de nous dresser en géants, voici le temps de la mémoire et des larmes.
L'acteur trinidadien Michael Cherrie se souvient de Castro comme du “dernier des grands révolutionnaires… survivant envers et contre tout”.
Dans la même note, la voix de la jeunesse jamaïcaine Godiva Golding a reconnu :
@CallTyrone_W Fidel isn't blameless. He took hard stances; most of which were right. But it wasn't free. His people paid for that.
— Godiva Golding (@GodivaGolding) November 26, 2016
Fidel n'est pas sans reproche. Il a pris des positions dures, dont la plupart étaient justes. Mais cela a eu un prix, et c'est son peuple qui a payé.
Si certains Facebookers auraient aimé être à Cuba pour assister à ce moment historique, d'autres se sont demandé si sa mort changerait quelque chose :
Je regarde les infos de Floride…
Un Américain d'origine cubaine de 24 ans dit qu'il a attendu toute sa vie la mort de Castro ?
Un homme de 90 ans et loin du pouvoir depuis des années.
Quel impact aura sa mort sur la géopolitique mondiale actuelle ?
Le temps continuera à faire apparaître les qualités/défauts de son pouvoir.
La Jamaïcaine Tanya Stephens a fait part de son point de vue :
Il était bon ou mauvais selon à qui on parle. Je suis tombée amoureuse du portrait romantique de la révolution cubaine en cours d'histoire au lycée. Je ne pouvais pas le dire à la maison. Par la suite, j'ai pris plus de détails en considération et j'ai perdu une partie de mon amour pour l'homme tout en ressentant de l'empathie pour les nombreux réfugiés qui fuyaient le pays pour chercher ailleurs des conditions socio-économiques plus favorables. Puis je suis allée à Cuba et mon amour s'est renoué. Aucun humain sur cette planète ne peut recevoir une note parfaite de tous les autres humains. Ce que j'ai vu, c'était un enseignement qui fonctionnait, des soins médicaux qui fonctionnaient, une sécurité nationale qui fonctionnait. Nous séjournions dans une pension dans un ‘ghetto’ à la Havane même si nous aurions pu facilement nous offrir une chambre dans le meilleur hôtel, mais nous voulions être au milieu des gens. J'allais à pied dans ce ‘ghetto’ après minuit, et les seuls contacts que nous attirions de gens du cru étaient les propositions de (littéralement) partager le pain avec nous et des invitations à entrer chez eux et bavarder. Je rêve d'une Jamaïque proche de ça. Je voyais aussi que c'était une sécurité artificielle née de la peur, mais je préfère quelqu'un qui a peur des répercussions de commettre un crime à quelqu'un qui a peur des criminels CHAQUE jour.
A tous ceux dont il a touché négativement les vies, j'espère qu'eux et leurs descendants pourront d'une manière ou d'une autre trouver la paix qu'il est désormais incapable de leur donner. […]A tous les autres chefs de gouvernement caraïbes, prenez une page du livre de sa vie. Une des bonnes pages. Construisez nos systèmes éducatif et de santé comme si vous aviez VRAIMENT notre intérêt dans un coin de vos coeurs corrompus. […]
A Fidel, j'espère que tu trouveras enfin la véritable paix !
Evoquer Fidel Castro et parler de son héritage est indubitablement une tâche malaisée. Pour une grande partie de la Caraïbe anglophone, il était un héros raté — comme l'a expliqué un internaute sur les réseaux sociaux, le parfait exemple du révolutionnaire transformé en cela-même qu'il hait. Castro a pris le pouvoir à Cuba en défiant la dictature de Fulgencio Batista. Après presque 60 ans de gouvernement — de totalitarisme, diront certains — la diaspora cubaine n'hésite pas à dire de Castro qu'il est lui-même un dictateur.
Ecrivant aux Etats-Unis, Johennys Leiva a publié :
Ne faites pas semblant de ne pas comprendre ce qui s'est passé sur cette île. […]
Castro n'a pas pris d'assaut un côté de l'île puis sur un coup d'Etat foudroyant s'est assis à son couronnement.
Ç'a été graduel.
Il a plu au début aux jeunes, aux pauvres et aux non-éduqués, avec son discours de ‘partage de la richesse’, que ‘les riches n'ont pas besoin d'autant’ de comment il garantirait que ‘chacun serait vraiment égal’. Les gens des campagnes ne sachant ni lire ni écrire ont eu les premiers le coup de foudre pour ce battage.
Il a augmenté ses auditoires sur la lancée.
Ceux qui étaient contre étaient exécutés, au pied levé.
Quand il l'a finalement emporté, les armes ont toutes été retirées. Son endoctrinement ou lavage de cerveau divisait littéralement les familles. Il avait des mouchards pour voir si quelqu'un avait trop d’ ‘invités’ et s'ils prévenaient les autorités, un simple soupçon vous envoyait en prison. […]Nous n'avons pas eu d'autre insurrection parce qu'il ne s'agissait pas simplement d'aller se battre. On ne savait pas qui au juste était son ennemi. […] Il était lourdement gardé, lourdement protégé, et bien que haï pour ses actes abominables, c'est la ténacité que l'on respectait. Nous savions qu'il ne se souciait pas de qui il tuait pour se maintenir. Nous comprenions qu'il n'y avait pas de bienveillance ou de faiblesse par où attaquer.
Le journaliste carabéien indépendant Wesley Gibbings s'est montré plus mesuré :
Personne n'est mon ‘comandante’, indépendamment de ma position philosophique sur la justice sociale et les droits. La culture du caudillo restera toujours rejetée.
Honorer les droits sociaux et culturels ne veut pas dire diminuer les droits civils et politiques. Ce n'est pas une affaire de l'un ou l'autre. Cela ne se met pas en équations binaires.
Et aimer quelqu'un ne signifie pas nécessairement qu'il faut les haïr.
Conformément à la culture dans la Caraïbe, des utilisateurs de médias sociaux ont injecté une dose d'humour à froid dans leurs commentaires. Sur Facebook, Laura Dowrich-Phillips, broyée par les morts cette année de tant d’icônes, qu'elles soient internationes ou régionales, a eu cette boutade : “Plus qu'un mois en 2016, calme-toi.”
Les plaisanteries ont continué, avec Justin Phelps écrivant “Fidel déclare la victoire et meurt de 'causes naturelles’.” D'autres internautes ont abondamment partagé mèmes et caricatures résumant la rouerie et la longévité de Fidel Castro :
Mais essentiellement, ce fut un temps pour la réflexion. La blogueuse de la Jamaïque Annie Paul a ainsi décrit le décès de Castro : comme si “une montagne est morte et que les mots ne suffisent pas à décrire la perte, le trou dans l'univers en forme de Fidel avec lequel nous devons vivre désormais” ; tandis que la chef d'entreprise et éditrice Latoya West-Blackwood tweetait :
2016 feels like the end of an era and the beginning of a new and uncertain future. What a time to be alive.
— L.A. West-Blackwood (@garveygirl) November 26, 2016
2016 ressemble à la fin d'une ère et au début d'un futur neuf et incertain. Quelle époque pour vivre.