Les entreprises japonaises devront désormais offrir une évaluation du stress à leurs employés

Workers wait for the train home.

Un travailleur japonais attend son train pour rentrer après une longue journée au bureau. Photo de tokyoform sur Flickr.

Dans le contexte de la progression des problèmes de santé mentale liés au travail, le gouvernement japonais a révisé sa loi pour forcer les entreprises à offrir une « évaluation du stress » annuelle à leurs employés. Cette évaluation optionnelle s’ajoutera aux visites médicales annuelles que les entreprises sont déjà dans l’obligation de fournir.

L’évaluation du stress arrivera sous la forme d’un questionnaire à choix multiples de 57 questions. Il inclut des propositions telles que « J’ai une grande quantité de travail à faire » et « Je suis épuisé. » Ceux qui passeront l’évaluation ont le choix entre quatre réponses allant de « tout à fait » à « pas du tout. » Les employés sont encouragés à passer le test, bien que ce ne soit pas obligatoire.

Le but de l’évaluation

Comme l’a rapporté Yahoo News Japan, les évaluations du stress ont été introduites en réponse à la récente poussée des problèmes de santé mentale, dans le but de prévenir des maladies comme la dépression.

 うつ病の患者数も00年以降、大幅に増加している。[厚生労働省]は労働安全衛生法の一部を改正して企業にストレスチェックを義務付けた。50人以上の事業所では15年12月から毎年1回、医師や保健師による検査の実施が必要になった。ストレスが高い場合は医師の面接を受けて助言してもらうなど、メンタルヘルス不調を未然に防止する仕組みだ。

Le nombre de cas de dépression a sévèrement augmenté depuis 2000. Le ministère de la santé et de la sécurité sociale a révisé la loi sur la sécurité et la santé au travail pour forcer les entreprises de plus de 50 employés à offrir une évaluation annuelle du stress, qui devra être conduite par des médecins ou des infirmières de santé au travail à compter de décembre 2015. En faisant parler les employés au médecin, l’initiative vise à prévenir les problèmes de santé mentale au plus tôt.

A salaryman crosses the street

Un salarié traverse la rue. Photo de tokyoform sur Flickr.

Entreprises prises au dépourvu

Alors que la fin du mois de novembre marque la date limite pour la première évaluation annuelle, beaucoup d’entreprises restent à la traîne. TBS News rapporte :

 最初の期限は今月末までで、厚労省はパソコン用の無料ソフトを提供していますが、従業員1000人未満の企業で実施した割合は3割前後にとどまっているという民間の調査結果も出ています。

Avec la date limite à la fin du mois se rapprochant de plus en plus, le ministère de la santé a fourni aux entreprises des logiciels gratuits pour les aider à instaurer les évaluations du stress, mais d’après une étude conduite par une organisation privée, seules 30% des entreprises de moins de 1000 employés ont instauré ces évaluations à ce jour.

Les évaluations du stress serviront-elles à quelque chose ?

Car celles-ci n'étant pas obligatoires, certains employés pourraient être réticents à se soumettre aux évaluations, et même si les médecins conduisant les entretiens peuvent donner à l’employeur des conseils inspirés des résultats (qui restent confidentiels), il ne tient qu’aux entreprises de créer de meilleurs environnements de travail.

Certains utilisateurs de Twitter se sont même plaints que, assez paradoxalement, le test en lui-même était stressant.

Je ne peux écrire nulle part : « Je me sens stressé après cette évaluation du stress. »

Travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?

L’équilibre vie-travail est un concept un peu inhabituel au Japon, là où la loyauté envers son entreprise vient souvent en premier. Alors que les données de l’OCDE indiquent qu’en moyenne, les Japonais travaillent un nombre d’heures comparable à celui de leurs homologues dans d’autres pays développés, les États-Unis et Israël affichant davantage d’heures que le Japon en 2014, ces statistiques peuvent être trompeuses pour de nombreuses raisons.

D’abord, la majorité de la main d’œuvre au Japon est constituée de travailleurs à temps partiel. La libéralisation du marché du travail au Japon a amené un nombre croissant de femmes, de jeunes et de retraités à avoir un travail à temps partiel. Ces travailleurs à temps partiel, qui ne sont pas supposés travailler le même nombre d’heures que les travailleurs dans des postes à plein temps plus représentatifs du « salaryman », ramène la moyenne vers le bas.

Les travailleurs à plein temps, d’un autre côté, travaillent pendant de longues heures éreintantes. Un livre blanc datant d’août rapporte que près d’un quart des entreprises avaient des employés faisant plus de 80 heures supplémentaires par mois.

Un autre facteur important est le nombre d’heures supplémentaires qui ne sont pas comptabilisées (et qui ne sont pas payées non plus). Alors que les lois imposent des limites au nombre d’heures qu’un employé est autorisé à faire pendant une semaine, les entreprises contournent ce problème en faisant travailler leurs employés en dehors des heures de travail. Les jeunes employés en particulier sont souvent forcés à faire des heures supplémentaires non payées pour parvenir à garder leur emploi et la charge de travail excessive laisse souvent l’employé sans autre choix que de faire des heures supplémentaires, même si elles ne sont pas rémunérées.

Morning commuters packed into a crowded train.

Les usagers du matin entassés dans un train bondé. Photo de tokyoform sur Flickr.

« Karoshi » : la mort par surmenage

La mort par surmenage est si commune au Japon qu’il y a même un mot pour cela : karoshi (過労死). Le terme se réfère à des morts liés à des problèmes de santé tel que les crises cardiaques et les AVC résultant de longues périodes de grands stress, ou les suicides d’employés en surmenage.

En 2015, 93 suicides et tentatives de suicide ont été officiellement reconnues comme mort par surmenage.

« J’ai perdu toute sensation, excepté l’envie de dormir. »

Un cas notable est celui de la diplômée de l’Université de Tokyo, Matsuri Takahashi, qui s’est donné la mort à 24 ans, le jour de Noël, l’année dernière après avoir été forcée à travailler de longues heures difficiles pour le géant de la publicité Dentsu. Ce cas fait écho à un autre jeune employé de Dentsu, un homme, de 24 ans aussi, dont la mort a été attribué par la Haute Cour du Japon à des conditions de travail effroyables.

Takahashi a documenté sa fatigue grandissante et les insultes qu’elle a subi de la part de son chef sur Twitter :

- Ils ont encore décidé de me faire travailler samedi et dimanche. Je voudrais vraiment mettre fin à tout ça.

- J’ai perdu toute sensation, excepté l’envie de dormir.

- Mon chef m’a dit que je n’étais pas féminine du tout. Même si c’était juste pour rire, je n’en peux plus.

An exhausted businessman sleeping in the train.

Un salaryman exténué dort dans le train. Image de tokyoform sur Flickr.

Vous vous demandez sûrement pourquoi les employés en surmenage ne démissionnent pas tout simplement. Après que le suicide de Takahashi fut officiellement classé comme un cas de karoshi, une BD donnant une idée de l’état d’esprit de ces travailleurs déprimés et au bout du rouleau par une illustratrice surnommée Kona Shiomachi a circulé sur Twitter :

Pourquoi je ne pouvais pas « simplement démissionner » [Partie 1 sur 2]

Mes expériences passées et ce qui me passait par la tête à cette époque. Partagez si vous voulez.

La fois où je me suis presque tuée sans faire exprès.
À cette époque, je travaillais 90-100 heures supplémentaires (moins que bien des collègues). Chaque jour, je me précipitais pour prendre le dernier train.
« Ouf ! J’ai réussi. »
À aucun moment je n’ai souhaité mourir.
Mais à ce moment, debout sur le quai vide, une idée m’a traversé l’esprit.
« Si je fais un pas en avant, je n’aurai plus à aller au travail demain ! »

« Quand on travaille plus de 100 heures supplémentaires, on n’a plus le temps d’être avec sa famille, ses amis, son amant-e… On commence à penser : […] « Je ne sais pas pourquoi je vis cette vie. » »

Shiomachi explique que quand les gens sont à ce point débordés de travail, ils ne sont plus capables de prendre des décisions rationnelles, y compris changer de travail. « C’est presque impossible pour les travailleurs de faire une pause ou de quitter l’entreprise. Quand on est exténué à ce point, l’esprit évite de penser à ça, » dit-elle.

Le surmenage peut mener à une sombre spirale de pensées négatives d’après Shiomachi : « Quand on travaille plus de 100 heures supplémentaires, on n’a plus le temps d’être avec sa famille, ses amis ou son amant, ou même de profiter de ses loisirs. Puis, on commence à penser : « Je ne sais plus pourquoi je travaille » et ensuite vient : « Je ne sais plus pourquoi je vis cette vie. » »

Commuters waiting for the train.

Des usagers attendent le train. Photo de tokyoform sur Flickr.

« Les entreprises noires »

La petite entreprise de publicité dans laquelle Shiomachi travaillait comme graphiste, et Dentsu, avec ses pratiques de management notoirement dures et ses longues heures supplémentaires, sont ce que certains appellent des « entreprises noires » ou burakku kigyou (ブラック企業). Le terme est généralement utilisé pour se référer à des entreprises ayant un système d’emploi basé sur l’exploitation extrême.

De nombreuses entreprises noires embauchent beaucoup de jeunes employés, tout juste diplômés de l’université, et les forcent à travailler dans de très mauvaises conditions. Heures supplémentaires excessives, injures et harcèlement sexuel ne sont pas rares dans les entreprises noires.

Le terme « entreprises noires » est né dans l’industrie de l’informatique dans les années 2000, et en 2012, un groupe de journalistes, d’activistes et de professeurs d’université ont formé un comité spécial pour créer les « Black Corporations Award » (NdT, Prix des entreprises noires) où le public peut voter pour l’entreprise la plus malfaisante de l’année. C’est maintenant un événement annuel. Les entreprises noires sont présentes dans divers secteurs ; les gagnants de l’édition 2015 comptaient une chaîne de supérettes, une entreprise de déménagement et une entreprise de gestion d’« école du soir ».

Il semble que le « Black Corporation Award » ait atteint son objectif d’éveiller les consciences aux pratiques déviantes des entreprises : le problème des entreprises noires reçoit de plus en plus d’attention ces dernières années.

Il y a même un compte sur Twitter, « Black Company Bot » (NdT, robot entreprise noire), qui génère des bon mots d’entreprises noires :

Je sais que c’est impossible, mais on te paie, alors fais-le.

C'est de sa faute s'il s'est effondré. Il ne prenait pas bien soin de lui-même.

C’est quoi le plus important pour toi : élever ton enfant ou ce travail ?

Bien que ces déclarations semblent déraisonnables et à la limite de la folie, elles reflètent de la vision du management dans certaines entreprises.

A frazzled salaryman doubled over on the floor of a train platform.

Un salaryman épuisé, recroquevillé par terre. Photo de Reuben Stanton sur Flickr.

On peut se féliciter que les pouvoirs publics essaient de mettre au pas les entreprises noires et d’endiguer dépressions liées au travail et karoshi avec des lois visant à réduire les heures supplémentaires et à introduire les évaluations du stress, mais ça ne fonctionnera que si les entreprises ont la volonté de changer. Avec un peu de chance, une plus grande prise de conscience apportera un progrès concret. Les vies de jeunes gens talentueux comme Matsuri Takahashi sont en jeu.

La cause numéro un du suicide est la dépression non soignée. La dépression peut être soignée et le suicide évité. Vous pouvez obtenir de l’aide grâce aux lignes téléphoniques d'aide anonyme pour les personnes suicidaires ou en crises émotionnelles. Visitez Befrienders.org pour trouver un N° de téléphone de prévention du suicide dans votre pays (pour la France voir ici).

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