S'attaquer aux racines du patriarcat en Inde, une vidéo et une conversation à la fois

Indian Kids on the street wtih a cycle. Often traditional gender roles are imposed on them (not in this case). Image from Flickr by Harini Calamur . BY-NC-ND 2.0

Enfants indiens sur un vélo. Les rôles traditionels leur sont souvent imposés (pas ici). Photographie par Harini Calamur sur Flickr. BY-NC-ND 2.0

Cet article a initialement été publié sur Video Volunteers, une organisation internationale primée, centrée sur les médias communautaires et basée en Inde. Une version éditée est publiée ci-dessous dans le cadre d'un accord de partage de contenu.

En Inde, les attitudes discriminatoires envers les femmes existent depuis des générations et sont toujours un problème de société majeur. Le schéma patriarcal traditionnel relègue les femmes à une position secondaire au travail et à la maison, affectant ainsi leur santé, leur éducation, leur indépendance et leur statut au sein de leur famille dès leur plus jeune âge. Dans une enquête sur la jeunesse menée cette année par Women Endangered [Femmes en danger, NdT], presque quatre-vingt sept pour cent des participants ont affirmé que l'Inde est toujours une société patriarcale. Biais et stéréotypes ne seront éliminés qu'avec une prise de conscience généralisée et des débats sur le sujet.

La campagne de Video Volunteers #DismantlePatriarchy, récemment achevée, a demandé aux participants de raconter leurs histoires et donner leurs suggestions par email ou sur Twitter pour “changer la donne” du patriarcat. Elle a récolté des récits de femmes et d'hommes en Inde, qui, avec le mot-clic #KhelBadal, ont expliqué comment ils négocient ou remettent en question le patriarcat dans leur vie quotidienne, à la maison, à l'école, dans les espaces publics et culturels.

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Pourquoi #KhelBadal ?

Pour renverser la mainmise du statu quo patriarcal dans notre société nous avons besoin d'une stratégie qui change (Badal) la donne (Khel). #KhelBadal, c'est avoir des conversations qui nous incluent tous, quel que soit notre genre, sexualité, classe et origine ethnique, pour nous faire réfléchir sur notre propre sexisme, intériorisé et subconscient, et pour le remettre en question.

La dernière fois que les femmes se sont montrées en grand nombre dans les rues indiennes date de décembre 2012, en protestation au viol de Jyoti Singh dans un bus de Delhi. Mais que dire des millions de façons anodines par lesquelles le patriarcat et la discrimination sexuelle s'insinuent dans leurs vies quotidiennes ? Des discussions à ce sujet ne surviennent qu'autour d'évènements violents et les nuances de la discrimination quotidienne sont rarement affrontées.

Clubs de discussion sur le genre dans les villages

Video Volunteers a formé soixante-trois correspondants à travers seize états, du Rajasthan au Bihar, de l'Odisha à l'Haryana, pour tourner des films qui capturent les nuances de la discrimination sexuelle normalisée et routinière, et pour animer des clubs de discussion sur le genre, où de vives conversations et introspections ont lieu.

Quelques exemples de ces conversations et des changements que ces clubs apportent sont présentés ci-dessous :

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Quand j'encourage des filles à étudier pour exercer un métier, leurs mères me disent que “toutes les filles n'ont pas une mentalité à foncer et atteindre un but”. Je leur réponds ceci : “Je ne suis pas née avec cette mentalité. J'ai travaillé dur pour changer mon point de vue et devenir une femme indépendante.”

 

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Ça fait sept ans que je suis militante féministe, mais je n'ai réalisé que récemment que nombre de rôles et de règles auxquels nous nous conformons sont, en fait, des normes patriarcales déguisées en traditions. Depuis, j'ai entamé le difficile chemin de changer ma mentalité. Je sais que si je ne pose pas de questions, personne autour de moi ne le fera.

Discussions en ligne

Video Volunteers a généré des discussions sur internet avec son personnel et ses abonnés de différentes façons, dont une discussion en direct sur Twitter le 29 novembre 2016. Le but de cette dernière était de combler l'écart numérique et permettre aux femmes urbaines et rurales d'échanger leurs expériences et d'apprendre les unes des autres :

Sangeeta a raconté son histoire de #KhelBadal. Maintenant c'est à votre tour, répondez ou écrivez à khelbadal@videovolunteers.org

[Texte de l'illustration : Quand j'avais six ans, on a dû écrire une rédaction sur le thème “Ma mère”. C'était les années quatre-vingt-dix et il était peu courant que la mère travaille. Alors que les autres enfants ont écrit une rédaction sur leurs mères au foyer, j'ai écrit la mienne sur ma mère ingénieure, gérante d'un moulin. L'instituteur a refusé ma rédaction en disant que “ce n'est pas ce que les mères font”. Il m'a demandé d'écrire sur ma mère, la femme au foyer.]

Pour changer la donne, j'essaie de montrer aux gens l'impact que le fait d'être une femme a sur chaque décision que je dois prendre.

Je me suis rebellée et refuse de cuisiner pour qui que ce soit car je me fiche bien de leur validation de ma féminité. Ironique car j'adore cuisiner.

Quel est le rôle habituel des femmes dans les foyers indiens ?

Pourquoi les aspirations des jeunes filles sont-elles traitées si différemment de celles des jeunes garçons ? Pourquoi les filles sont-elles formées aux tâches ménagères dès leur plus jeune âge, alors que les garçons ont le droit de jouer et étudier ? Cette vidéo de l'Uttar Pradesh souligne clairement ce fossé :

Alors que Khushboo, onze ans, commence sa journée à cinq heures du matin, son petit frère de huit ans mène en comparaison une vie insouciante. Chaque jour, elle fait la cuisine, le ménage et s'occupe de ses jeunes frères et soeurs avant d'aller à l'école. Le soir, ses nombreuses tâches ne lui laissent pas le temps de jouer. En revanche, la journée du garçon est simplement divisée entre l'école et le jeu. Comme son frère, Khushboo veut devenir médecin. Mais lui en donne-t-on même une chance ?

A moins de rendre notre sphère privée plus égalitaire aux deux sexes, nous ne nous débarrasserons jamais du sexisme et de la discrimination dans la sphère publique.

Désapprouver les rôles traditionnels

Selon le consensus, certaines tâches ménagères et professionnelles sont réparties selon le sexe. Alors quand Rohit, un adolescent de seize ans, s'est mis au ménage avec sa mère et sa soeur, il fut moqué et ridiculisé pour ce “travail indigne d'un homme”. Mais ce courageux jeune homme s'y était préparé : “Je réponds de façon appropriée et après ils ne disent plus rien”. Il fait la cuisine, le ménage, la lessive et aide ses deux jeunes frère et soeur à faire leurs devoirs.

Rohit démontre qu'il est facile de changer notre perception, mais que rester consistent avec ce changement est difficile. Il est temps de suivre son exemple et de nous demander dans quelle mesure nous perpétuons et normalisons les rôles patriarcaux dans nos vies quotidiennes.

Un autre rythme : devenir joueuse de tabla

Le domaine artistique est aussi sexiste que n'importe quel autre. Les hommes s'abstiennent de devenir danseurs alors que les femmes y sont encouragées. Les musiciens ont aussi ce genre de préjugés, selon lesquels certains instruments conviennent plutôt aux hommes.

Mithu Tikadara fait un choix inhabituel : le tabla. Celui-ci étant traditionnellement pratiqué par des hommes, Mithu est constamment discriminée. Le pire fut quand sa tante déclara à Mithu encore jeune qu'elle était une honte pour les femmes. Nullement découragée, la jeune fille choisit le tabla pour l'un de ses examens au lycée et en a fait sa carrière.

Depuis, Mithu a parcouru un long chemin. Elle est aujourd'hui financièrement indépendante et également la seule femme dalit [la caste la plus basse en Inde] à avoir passé les examens de musique nationaux qui l'autorise à enseigner à l'université, même si sa lutte contre les normes patriarcales continue.

Le rose est la couleur de la tenacité : l'histoire d'une mère célibataire déterminée

Après le brutal viol en réunion de Jyoti Singh à Delhi, les auto-rickshaw roses furent introduits à Ranchi en 2013 pour assurer une meilleure sécurité aux femmes dans les transports en public. Shanti Lakra, abandonnée par son mari et élevant ses enfants, ne fut pas découragée par le scepticisme quant à la capacité des femmes à conduire. Elle suivit une formation et est aujourd'hui l'une des trente-cinq conductrices d'auto-rickshaw qui transportent les femmes en ville dans leur véhicule rose.

Bien que ses proches ait exprimé leur scepticisme quant à sa capacité ou même l'utilité qu'une femme au foyer apprenne à conduire, Shanti a persévéré.

Aujourd'hui, sa détermination porte ses fruits. Elle envoie ses deux filles à l'école et espère les voir devenir des femmes prospères et indépendantes. Les auto-rickshaw n'ont pas seulement amélioré la sécurité des transports en public pour les femmes, ils ont également détruit les stéréotypes en poussant des individus comme Shanti vers ce qui était une profession essentiellement masculine.

Les correspondants communautaires de Video Volunteers sont originaires de communautés indiennes marginalisées et produisent des reportages sur des événements non-médiatisés. Ces reportages sont des “actualités racontées par leur protagonistes”. Ils offrent une vision ultra-locale des défis liés aux droits de l'homme et au développement mondial.

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