Au Paraguay, acheter une université est facile, y arriver au bout d'un cursus est difficile

“Huit étudiants universitaires sur dix sont, au Paraguay, dans des universités qui augmentant leurs tarifs et suppriment souvent des formations sans avertissement.” Photographie publiée par Kurtural et utilisée avec autorisation.

Cet article est une version réduite du travail réalisé par Kurtural et est publié sur Global Voices avec autorisation de ses auteurs. Il fait partie d'une série intitulée Des vaches qui s'envolent, des écoles qui s'effondrent, republiée par Global Voices Amérique Latine. La version originale de cet article inclut des témoignages plus extensifs et un commentaire du contexte historique et politique de la crise actuelle du système éducatif de ce pays.

A vendre université privée de premier ordre, en activité“. Cette annonce a été publiée sur Clasipar, un site paraguayen réputé de vente en ligne. Lorsque j'ai sollicité un entretien, l'interlocuteur qui m'a répondu m'a confirmé que l'offre était réelle. Nous avons convenu d'une rencontre.

Le représentant du propiétaire de cette université est un homme d'un âge assez avancé, à la moustache blanche et  broussailleuse, aux lunettes rustiques accrochées à son cou. Il dépose sur la table une sacoche bourrée de documents. Il me raconte qu'il est retraité, mais qu'il a ouvert une officine spécialisée pour ce type de transaction commerciale. Au lieu de s'assoir là tout seul sur un trottoir en attendant la mort, comme la pluspart des représentants de sa génération, Don Miguel a choisi de continuer à vivre en vendant des choses. En l'occurence une université.

Miguel ouvre sa sacoche pleine de papiers : copie de l'acte de création de l'université, nombre d'élèves, formations proposées, équilibre financier etc. etc.  « ce sont des données qui datent d'un ou deux ans mais cela permet de se faire une idée” me dit-il.

L'Université que Miguel  essaie de vendre pour presque 2 millions de dollars fonctionne actuellement dans un lieu unique loué, et selon les éléments qu'il présente aurait 365 étudiants et proposerait 27 cursus habilités en 2013. Elle a pour nom Université Centrale du Paraguay, UCP. Cette institution loue un local, une maison belle mais pas bien grande sur l'avenue Brasilia proche de l'université américaine, une autre université privée.

L'UCP est l'une des plus de 50 universités privées ouvertes dans le pays. Une enquête du périodique ABC Color révèle qu'elle est au départ une affaire lancée par un groupe de fonctionnaires du barrage hydroélectrique national d'Itaipú. Les actionnaires de cette université, anciens fonctionnaires publics, avaient eux mêmes de petites entreprises ne représentant en capital que quelques millions de guaranis (une cordonnerie, une mercerie…..) . Ils eurent pourtant la possibilité d'ouvrir une université affichant un capital (théorique) d'environ180.000 dollars U.S.

L'UCP a été crée officiellement par une loi du Congrès en 2006. Elle a été inscrite sur les régistres publics en mars de l'année suivante. Huit ans après cette inscription avant même de commencer à fonctionner elle recevait déjà son premier lot de bourses offertes par la centrale hydroélectrique Itaipú. On était alors dans les années de l'explosion du marché des universités privées au Paraguay.

Des universités où ce sont les pauvres qui paient

Au Paraguay les plus pauvres ne vont habituellement pas dans les institutions publiques d'enseignement supérieur. Ils doivent payer pour étudier dans les universités privées. Avoir accès à une université publique est difficile pour de multiples raisons. Par exemple l'offre est territorialement limitée, les droits d'inscription sont élevés. De plus les horaires des cours en particulier pour les formations d'ingénieurs ou de médecins interdisent un travail parallèle aux études, obligation absolue pour tous ceux qui doivent subvenir à leurs besoins.

Évidemment ce phénomène n'est pas exclusif du Paraguay. Une étude de l'Unicef montre que dans beaucoup de pays l'assignation de 20 % des ressources publiques dans les pays les plus riches est 18 fois supérieure à celle qui est attribuée à cet effet par les 20 % des pays les plus pauvres du monde. Le business des universités privées repose sur le manque d'implication de l'Etat et la nécessité dans laquelle se trouvent des centaines de milliers de familles pauvres d'assurer une éducation à leurs enfants. Pendant ce temps les établissements publics dédiés à l'éducation ne font que renforcer l'inégalité et le pouvoir des classes privilégiées du pays.

En 2007 le Congrès ( parlement) a créé université (privée) tous les 40 jours. Un total de neuf pendant cette année. En 2013 il existait 54 universités. Le “négoce” des universités privés est encore en expansion, bien que ce ne soit plus par la création de nouvelles universités incitées par les pouvoirs publics, mais par l'accentuation d'une méthode qui remplit un rôle identique : la vente de franchises. Gerardo Gómez Morales, alors qu'il était vice-ministre de l'éducation supérieur, a fait la déclaration suivante concernant la façon de créer des universités :

Eran personas que tenían un instituto técnico o una pequeña academia de informática las que compraban los derechos para usar el nombre de las universidades. Es igual a abrir un local de McDonald's; como franquicias de empresas, se abrían filiales de universidades e institutos superiores.

Des personnes possédant déjà un institut technique ou une petite académie d'informatique achètent les droits pour pouvoir utiliser le nom d'Université. C'est comme ouvrir un McDonanld, des filiales d'université et des instituts supérieurs de formation s'ouvrent  avec des franchises commerciales.

En 2012, le vice-ministre de l'éducation supérieur fit part, lors d'une déclaration, du dommage collatéral causé par ce modèle d'université privé : seulement un jeune sur dix qui commence une formation universitaire la termine. En 2006, 115.000 jeunes s'engagèrent dans une carrière orientée vers le tertiaire. Quatre ans après un peu moins de 13.000 seulement en sortirent diplômés. En dépit du fait que presque aucun jeune ne termine ses études, de plus en plus de nouvelles universités se sont crées et de plus en plus de jeunes se sont lancés à la recherche d'un rêve professionnel

En 2012 ils étaient déjà plus de 300 000 étudiants inscrits. Parmi eux huit étudiants sur dix étaient dans des institutions privées. Actuellement le gouvernement admet qu'il manque d’ informations sur la quantité réelle d'étudiants universitaires dans le pays.

Il est certain que quelques étudiants abandonnent à mi-chemin et que cette désertion peut se produire dans n'importe quelle formation. Mais il arrive souvent que les étudiants restants et souhaitant aller jusqu'au bout de la formation ne puissent le faire parce que l'institution ou le type de formation choisi ferme celle-ci, abandonnant les élèves à leur sort.

Une éducation supérieure qui cache un piège

Vanessa Lezcano avait décidé de ne pas quitter le pays bien qu'ayant des opportunités et des raisons de le faire. Elle vit à Choré, une petite ville de la région de San Pedro, un des départements les plus pauvres du pays. Elle avait commencé une formation commerciale dans une université technique de commerce et développement (UTCD). Au bout de deux ans cette formation a été supprimée du fait d'un nombre insuffisant d'étudiants : l'institution exigeait 10 élèves au minimum et au cinquième semestre ils n'atteignaient plus ce nombre. On lui a expliqué que si un groupe plus important pouvait se former par la suite on lui permettrait de faire le semestre qui lui manquait. Bien des années ont passé depuis cette promesse. Finalement elle a réussi à terminer sa formation à l'Université polytechnique et artistique du Paraguay, (UPAP) Elle attend seulement aujourd'hui une date pour présenter sa thèse. Ici également les effectifs avaient tendance à diminuer mais l'administration leur avait proposé d'augmenter leur participation financière, ceci permettant de compléter les salaires des professeurs. Elle et deux autres collègues avaient accepté cette proposition.

Aujourd'hui, Vanessa travaille sur un projet du gouvernement à durée limitée et à l'occasion enseigne comme “assistante honorifique” dans une de ces universités. Mais plusieurs de ses camarades et amis ne vivent déjà plus à Choré.

Dans le cadre de l'université centrale du Paraguay, le propriétaire et recteur de l'université – qui avait assumé des charges officielles et maintiendrait encore des liens étroits avec le gouvernement et des organisations commerciales  –  assume ici des rôles multiples. C'est une sorte de manager de la communauté. C'est ce que raconte Gabriela Lezcano, qui  y a étudié les Arts graphiques.

Quand elle a commencé la formation ils étaient plus de dix étudiants. Actuellement il sont trois et l'année dernière on ne leur a même pas permis de passer leurs examens du quatrième semestre bien qu'ils l'aient payé. Le cinquième semestre n'a jamais commencé. Sommée de répondre, l'institution a offert à tous les trois la possibilité de passer le reste de la formation en modules séparés. Le premier a commencé en avril dernier après quasiment six mois d'incertitude. Mais pendant deux mois ils n'eurent qu'à peine deux cours, les professeurs leur disant qu'il y avait également d'autres formations suspendues.

Gabriela Lezcano, au fil de mois de désespérance passés sans réponse, qualifia sur Facebook, bien avant qu'on lui offre l'option des modules, l'Université centrale du Paraguay, avec une note de un sur une échelle de cinq et rédigea ce mot aussi bref que décapant:

No recomiendo a nadie. Las carreras terminan al pedo y se quieren lavar las manos. Ni a mi peor enemigo le recomiendo.

Je ne la recommande à personne. Les formations ne valent pas un pet et ils s'en lavent les mains ensuite. Je ne la recommanderais pas à mon pire ennemi”

A sa grande surprise, elle reçu alors une réponse sur le profil Facebook de l'université au milieu de la nuit. Entre autres choses, on lui disait: “Eh bien maintenant, vous n'avez plus aucune option”. Après avoir beaucoup insisté, Lezcano réussi à parler à l'ingénieur, propriétaire et doyen de cette “université” dans son bureau. Il lui rappela la manière avec laquelle elle  s'était exprimé sur le profil Facebook. Le recteur lui rappela également que cette ‘université” était à lui, et qu'il pouvait donc en faire ce qu'il voulait, mettre sur sa page Facebook ce qu'il avait envie de mettre, que les commentaires qu'elle y avait mis le dégoûtaient, qu'il considérait cette institution comme son bébé. C'est pour cela qu'il avait réagi et écrit à cette heure tardive sur la page Facebook, en navigant depuis son smartphone.

Gabriela s'est résignée, elle assume aujourd'hui le fait qu'elle a perdu des années d'étude, d'effort et son argent. Comme elle progressait bien jusque là, elle envisage de passer un diplôme l'année prochaine, mais elle devra évidemment repartir à zéro dans une autre université.

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