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En Macédoine, les représailles du parti au pouvoir contre la société civile après des élections contestées

Catégories: Europe Centrale et de l'Est, Macédoine, Cyber-activisme, Droits humains, Élections, Liberté d'expression, Manifestations, Médias citoyens, Politique, Advox
Une banderole "Liberté pour les activistes !" lors de la manifestation du 25 avril à Skopje. Photo de Vančo Džambaski, CC BY-NC-SA. [1]

Une banderole “Liberté pour les activistes !” lors de la manifestation du 25 avril à Skopje. Photo de Vančo Džambaski, CC BY-NC-SA.

Les menaces contre la société civile macédonienne ont atteint des sommets depuis le 12 décembre, date à laquelle Zoran Zaev, le responsable du parti des Sociaux-Démocrates, a pris la décision de contester les résultats des élections anticipées.

Ces élections parlementaires spéciales se sont tenues après des négociations au sein de l'UE dans l'objectif de restabiliser le pays, englué dans une crise politique depuis les révélations, en 2015, de la mise en place d'écoutes illégales généralisées par le gouvernement de l'époque. Les deux partis les plus puissants du pays ont récolté 38,06 % (Sociaux-Démocrates) et 36,69 % (VMRO) des votes, pas assez pour que l'un d'entre eux aie la majorité au parlement. Le 20 décembre, un tribunal a décidé [2] qu'un nouveau vote se tiendrait dans un district concerné par de sérieuses allégations de fraudes. Le nouveau vote aura lieu le jour de Noël.

Depuis deux semaines, le parti au pouvoir VMRO-DPMNE, mené par l'ancien Premier Ministre Nikola Gruevski, profère des menaces contre les chefs de l'opposition et contre de nombreuses organisations de la société civile, en particulier celles ayant travaillé avec la Fondation Open Society [3] – Macédoine (Note de la rédaction : la Fondation Open Society soutient [4] Global Voices.)

Les défenseurs de la société civile et de l'opposition sur liste noire

Le 9 décembre, des prospectus contenant les noms de dizaines de militants de la société civile ont été distribués dans les boîtes aux lettres et sur les pare-brise des habitants de Skopje, la capitale de la Macédoine. Entre autres accusations fallacieuses, on y trouve des allégations selon lesquelles de l'argent “mercenaire” aurait été reçu par les militants de la société civile. Ces prospectus sont signés GDOM (Gragjansko dviženje za odbrana na Makedonija – Mouvement citoyen pour la défense de la Macédoine), une entité qui sert d'intermédiaire aux positions radicales du VMRO-DPMNE. On trouve également sur ces prospectus des articles diffamatoires sur certaines personnes mentionnées dans la liste noire, articles précédemment publiés dans le journal pro-gouvernement Republika.

La Direction pour la protection des données personnelles a confirmé que de tels documents étaient une violation de la Loi sur la protection des données personnelles. Un groupe de personnes visées par ces articles a intenté une action pénale avec l'aide du Comité d'Helsinki macédonien ; les institutions étatiques compétentes doivent encore se prononcer sur la suite qui lui sera donnée.

Des militants ont aussi reçu des menaces individuelles sur Twitter et sur d'autres réseaux sociaux. Plusieurs militants ayant participé à la Révolution des couleurs [5] ont été mentionnés dans plusieurs posts sur lesquels figure la photo d'une liste manuscrite [6] contenant leurs nom et adresse. Ces tweets ont été retweetés par de nombreux utilisateurs, dont des utilisateurs anonymes. Beaucoup de ces utilisateurs s'en sont pris à d'autres militants par le passé.

Les responsables publics nommés par le VMRO-DPMNE menacent eux aussi les membres de la société civile directement sur internet. Filip Petrovski, Directeur des archives d'Etat, a envoyé plusieurs menaces ciblées à des utilisateurs de Twitter, leur promettant que “Kjoseto frappera à [leur] porte.” Andon Kjoseto [7], aussi appelé “le Boucher”, était un membre de l'Organisation Révolutionnaire Macédonienne et fut tristement connu pour son rôle de bourreau au début du 20e siècle.

Dans l'un de ses tweets, Petrovski donne une liste de 800 personnes. Petrovski a auparavant aussi utilisé son propre portail internet Puls24.mk pour attaquer les militants anti-corruption.

La crise politique macédonienne

Le conflit entre Gruevski et Zaev est ancien mais il s'est durci ces dernières années. En 2015, Zaev a fait la une des journaux et s'est attiré plus d'un ennemi lorsque son parti a prétendu que le gouvernement Gruevski avait illégalement mis sur écoute [8] des milliers de fonctionnaires, personnalités politiques, journalistes, rédacteurs en chef et diplomates étrangers. Des centaines d'enregistrements ont ensuite fuité de façon tout à fait stratégique, avec pour conséquence de nombreuses révélations de corruption et de malversations du gouvernement Grueski, dont la dissimulation du meurtre [9] d'un citoyen par un agent de police. Des manifestations de rue [10] ont commencé peu de temps après et elles sont maintenant devenues un élément familier de la vie des grandes villes du pays.

En sa qualité de candidate à l'OTAN et à l'UE, la Macédoine a invité les représentants des ces organisations à jouer un rôle d'arbitre dans le processus de négociation ayant mené à l'Accord de Pržino, qui a servi de base aux réformes nécessaires au réglement de la crise politique [11]. Une de ces réformes prévoit la création d'un Bureau du procureur spécial chargé d'enquêter sur le contenu des enregistrements ayant fuité.

Le parti au pouvoir et ses partisans se mobilisent et menacent la société civile “désobéissante”

Avant les élections, Nikola Gruevski a également formulé des menaces de mort masquées [12] contre le chef de l'opposition Zoran Zaev, sous-entendant que si les combattants de la liberté macédoniens existaient aujourd'hui, ils enverraient l'assassin Kjoseto négocier avec Zaev.

Le jour suivant, Gruevski a affirmé qu'il avait été “mal compris.” Ceci n'a pas empêché certains partisans de Gruevski d'avoir, lors du dernier rassemblement de campagne, agité une énorme banderole à la gloire de cette figure historique.

A la veille des élections de dimanche 10 décembre, le service de radio et télédiffusion publique macédonienne “documentaire” sur la vie de Kjoseto.

Après ces élections, les deux partis d'opposition ont déposé plainte auprès du Comité d'Etat pour les Elections (CEE). Pendant que le CEE animait des sessions publiques concernant ces plaintes, le VMRO-DPMNE organisa des manifestations [13] en face du bâtiment. Le parti fournit le transport et le logement des militants venant d'autres villes ainsi que la nourriture, l'alcool et le bois de chauffage, leur permettant d'allumer des feux dans la rue. La police n'intervint pas, alors que la distribution d'alcool et les feux en plein air sont strictement interdits.

Capture d'écran du

Capture d'écran du “documentaire” de la chaîne macédonienne PBS sur Andon Kjoseto, avec son proverbe “Parfois tu demandes poliment, parfois tu utilises le couteau.”

Lors des manifestations, d'autres représentants du parti ont prononcé des discours très véhéments. C'est le cas de Valentina Božinovska, une ancienne actrice à présent Directrice du Comité d'Etat pour les Relations avec les Communautés Religieuses, qui a hurlé à la foule [14] “ce soir, c'est la nuit des couteaux”, et que le temps était venu d'en finir avec “le dernier traître macédonien, Zaev.” Certains ont interprété ces propos comme une référence aux purges nazies de 1934, mieux connues sous le nom de “Nuit des longs couteaux.” [15] Božinovska s'est ensuite défendue, arguant du fait que ces propos avaient été mal interprétés et qu'elle s'était contentée de citer de la poésie.

Bien que les manifestations VMRO-DPMNE ne semblent pas jouir d'un fort soutien populaire parmi les habitants, puisque les participants se rendent aux manifestations sur ordre direct du Parti, leurs organisateurs sont capables de menacer les individus et les organisations de la société civile présents sur les listes noires. Ce genre de propagande haineuse ne peut qu'inciter les partisans du VMRO à perpétrer, lorsque le moment se présente, des attaques “patriotiques”, et ce de leur propre initiative, sans ordre direct des responsables du parti. De telles attaques à l'encontre de journalistes dont le nom figure sur les listes noires ont déjà eu lieu cette année.

De plus, lors de la dernière manifestation [16], le chef du VMRO-DPMNE Gruevski a lu une proclamation [17] qui, entre autres choses, contient une menace directe contre les membres “désobéissants” de la société civile :

Ќе се бориме за десороизација на Република Македонија, и јакнење на независен граѓански сектор кој нема да биде под ничија контрола. Ќе се пристапи кон регулирање на областа на финансирање на фондациите и НВО, по теркот на најнапредните демократии во светот.

Nous combattrons la désoroisation de la République de Macédoine et pour le renforcement d'un secteur civil indépendant qui ne sera contrôlé par quiconque. Le financement des fondations et des ONG sera géré en prenant pour exemple les démocraties les plus avancées du monde.

Les inspections [18] de certaines ONG par le Service public des impôts, qui avaient commencé juste avant les élections, [19] se poursuivent. A ce jour, au moins 19 d'entre elles ont reçu l'annonce d'une visite d'inspection.

Lisez nos reportages sur les manifestations et la vie politique en Macédoine. [10]