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Bangladesh : un an de violence

Catégories: Asie du Sud, Bangladesh, Censure, Cyber-activisme, Développement, Droits humains, Gouvernance, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Religion, Technologie, Advox
Some of the secular writers killed in recent years in Bangladesh. From top left clockwise: Faisal Arefin Dipan, Shafiul Islam, Oyasiqur Rahman Babu, Rajib Haider, Avijit Roy and Ananta Bijoy Das.

Quelques-uns des auteurs athées tués ces dernières années au Bangladesh. De gauche à droite et de haut en bas : Faisal Arefin Dipan, Shafiul Islam, Oyasiqur Rahman Babu, Rajib Haider, Avijit Roy et Ananta Bijoy Das.

(Avertissement : image explicite en bas d'article) Pas moins de 15 blogueurs, auteurs et militants ont été tués [1] au Bangladesh pour leurs idées progressistes et athées, et ce, en moins de 4 ans. Le pays a également été témoin d'une augmentation considérable des attaques visant les étrangers et les croyants.

Cette recrudescence d'assassinats fomentés contre des auteurs et intellectuels connus pour leurs pensées progressistes n'arrive pas par hasard. Le nom de la quasi-totalité des personnes tuées ces dernières années apparaissent en effet sur une liste de 84 personnes [2], créée par un groupe de clercs musulmans conservateurs. Ces derniers accusent les blogueurs d'athéisme et d'activisme contre l'Islam à travers leurs articles. Cette liste a été soumise à un comité gouvernemental spécial en 2013. Les clercs ont ensuite publiquement déclaré que de nombreux blogueurs sont des « hérétiques [3]» méritant d'être « tués ».

Le Bangladesh vit sous un régime de démocratie parlementaire, où le droit à la liberté d'expression est protégé par la constitution [4]. Pour autant, le gouvernement, l'appareil judiciaire et les forces de police ne disposent pas des procédures [5] suffisantes pour éviter ce genre de déclarations visant les blogueurs et journalistes.

En fait, les autorités ont même bloqué des sites Internet considérés comme d [6]angereux  [6]et arrêté plusieurs blogueurs [7] se trouvant sur cette fameuse liste noire. En 2015, juste après la mort du blogueur Niloy Neel, assassiné à coups de machette [8] dans son appartement, le chef de la police a avisé les « libres-penseurs et les blogueurs de faire attention à ne pas dépasser les limites lorsqu'il s'agit d'exprimer leurs points de vue sur la religion ». Nombreux sont les sceptiques [5] qui doutent des efforts fournis par la police concernant les enquêtes sur les assassinats.

Les blogueurs sur la liste noire préfèrent s'exiler

Face à une telle situation, de nombreux blogueurs et activistes en ligne ont préféré se réfugier à l'étranger. Et cette décision est loin d'être facile, tant pour eux, que pour leurs proches. Mahmudul Haque Munshi, blogueur et activiste en ligne, qui a trouvé asile en Allemagne, a ainsi expliqué sa décision sur son blog Swapnokothok [9] (Tisseur de rêves) un peu plus tôt cette année :

আমি কখনো ভাবিনি আমাকে আমার মাতৃভূমি ছাড়তে হবে। [..] মোবাইল নাম্বার ওপেন ছিলো ব্লগে তাই কল করে হুমকি ধামকি দিতো কিছু মানুষ। ব্লগে পোস্ট দেয়া হতো সরকার চেঞ্জ হলে কোন দশজন ব্লগারের লাশ পড়বে। আমার নাম থাকতো সেসব লিস্টে। আমরা পাত্তা দিতাম না। কারন ব্লগের লেখালেখির কারনে ব্লগার খুন হবে এটা ছিলো এক ধরনের হাস্যকর চিন্তা তখন। সেই হাস্যকর চিন্তাটাই সত্যি হয়ে দেখা দেয় ২০১৩-র ১৪ই ফেব্রুয়ারি। আমার খুব কাছের একজন মানুষ, একজন ব্লগার থাবাবাবা কে হত্যা করা হয় কুপিয়ে তাঁর বাসার সামনে।

Jamais je n'aurai imaginé un jour quitter mon pays… […] Mon numéro de téléphone portable avait été mentionné sur ce blog, et j'avais alors reçu de nombreuses menaces de mort. Quand les propriétaires d'autres blogs se sont mis à citer des noms de blogueurs devant être tués si le gouvernement actuel venait à tomber, et que mon nom est apparu, je ne m'en suis d'abord pas vraiment préoccupé. À l'époque, l'idée d'assassiner des blogueurs restait inconcevable et absurde. Mais cette idée est vite devenue réalité, le 14 février 2013, pour être plus exact, lorsqu'un blogueur et l'un de mes amis les plus proches, Thaba Baba (Ahmed Razib Haider [10]) a été assassiné à coups de machette, juste devant chez lui.

Il continue :

আমার মনে একটি অপরাধবোধ আছে। যে যুদ্ধটা আমরা করছিলাম, সে যুদ্ধটা ছেড়ে চলে আসার অপরাধবোধ। কিন্তু এ কেমন যুদ্ধ? ছায়ার সাথে মানুষ কিভাবে যুদ্ধ করে? [..] যারা চাইছিলেন আমি দেশে থেকে যেন মারা যাই, তাঁদের বলতে চাই, আপনাদের চাওয়াটা পুরন হবে না। আমি বেঁচে থাকবো, আমার করার আছে অনেক কিছু। সব শেষ না করে মরে গেলে তো হবেনা।

Je me sens coupable. Je menais un combat. Et j'ai l'impression d'avoir laissé tomber, d'avoir déserté le champ de bataille. Mais à quel genre de guerre participons-nous au juste ? Comment lutter contre des ombres ? […] À ceux qui souhaitent ma mort, je veux leur dire : vous n'avez pas gagné. Je respire encore, et il me reste encore beaucoup de choses à accomplir. Je ne tomberai pas sans avoir réalisé au moins l'un de mes objectifs.

En 2016, les meurtres ont continué. Nazimuddin Samad, étudiant en droit à l'université Jagannath et critique orateur de l'extrémisme religieux, a été tué [11] en avril. De même que Rezaul Karim Siddique, professeur d'anglais à l'université Rajshahi, qui a été retrouvé assassiné à coups de machette [12] près de son domicile.

Xulhaz Mannan, the editor Bangladesh's first LGBT news site, was murdered on April 25, 2016. Image courtesy of PEN International.

Xulhaz Mannan, éditeur du premier site Internet sur l'actualité LGBT au Bangladesh. Photo fournie par PEN International.

Xulhaz Mannan, militant LGBT [13] et Mahbub Rabbi Tonoy, acteur du théâtre engagé, ont tous les deux été assassinés [13] le 25 avril 2016. Xulhaz Mannan était le fondateur du premier site Internet dédié aux citoyens LGBT du Bangladesh [14].

Ansar al Islam #Bangladesh /AQIS revendique la mort de Xulhaz Mannan et de Mahbub Tanoy.

Beaucoup de ces assassinats ont été revendiqués sur Internet ou sur les médias sociaux [18] via des comptes que l'on pense appartenir à l’EI [19], l’Ansar al-Islam [20] ou encore à l’Ansarullah Bangla Team [21]. Ces groupes ont également revendiqué les tueries aléatoires de citoyens ordinaires.

Attentat contre le restaurant Holey Artisan Bakery

Dans la nuit du 1er juillet 2016, cinq hommes d'une vingtaine d'années, ayant suivi des études à l'étranger et de familles aisées, ont fait irruption au Holey Artisan Bakery [22], restaurant du quartier huppé de Dacca au Bangladesh et majoritairement fréquenté par des étrangers. Une douzaine de personnes ont été prises en otage, étrangers et Bangladais, puis les assaillants ont ouvert le feu sur la police.

Le lendemain matin, les forces armées bangladaises, et plus précisément le groupe paramilitaire de la police aux frontières, la police et la force d'élite Rapid Action Battalion ont alors lancé l'assaut sur le Holey Artisan Bakery [23], mettant ainsi un terme à la prise d'otages. Au final, certains furent libérés et d'autres réussirent à s'échapper, mais 29 personnes furent tuées, dont 20 otages (18 étrangers et 2 Bangladais), deux policiers, cinq tireurs et deux employés du restaurant. C'est la pire attaque terroriste qu'ait connue le Bangladesh jusqu'à présent.

L'agence de presse, Amaq, organe de propagande de l'EI, a revendiqué l'attentat. Des photos des terroristes arborant le keffieh rouge de l'EI et des écritures noires en penjabi, ainsi que des photos du massacre des otages ont été diffusées sur Internet.

Le 7 juillet, des terroristes ont attaqué [24] les forces de la police en charge de la surveillance du rassemblement de l'Aïd à Sholakia qui réunissait de nombreuses personnes. Ils ont fait 3 morts. Plus tard le même mois, la police a mené l'assaut sur une cellule terroriste localisée dans la capitale Dacca, tuant ainsi 9 terroristes. [25] La police a rapporté avoir trouvé des bombes, des munitions, ainsi que deux drapeaux noirs de l'EI.

Outre des membres de l'EI, la police affirme [26] qu'il y avait également des membres du Jamaat-ul-Mujahideen, l'organisation islamiste du Bangladesh.

Les forces de l'ordre ont publié une liste d'environ 200 personnes recherchées [27] depuis 18 mois et considérées comme dangereuses. Les dernières informations rapportent que certains auraient pris l'avion à destination de la Malaisie et de la Turquie, sans plus de précision quant à la suite de leur parcours.

Les mois suivants, dans l'espoir de déjouer d'autres attentats, la police a mené des assauts aux domiciles d'individus suspectés de terrorisme. Selon de récentes informations [28], Tamim Ahmed Chowdhury [29](dit Abū Ibrāhīm al-Hanīf), possédant la double nationalité canadienne et bangladaise, aurait orchestré l'attentat du 1er juillet ; ce qui lui a valu toute la reconnaissance de l'EI [30]. Tamim Ahmed Chowdhury a été abattu par la police le 26 septembre 2016. Le 24 décembre 2016, la police a lancé un nouvel assaut [31], ce qui a permis de capturer un certain nombre de terroristes ; deux sont morts en déclenchant leur gilet explosif.

Chronologie des actes terroristes au Bangladesh

Le sang d'innocent a pour l'instant cessé de couler, mais les terroristes agissant clandestinement, le danger n'est jamais loin. Des mois après l'attentat au parc Gulshan-e-Iqbal, les restaurants de Dacca restent encore bien vides, et la plupart des touristes ont annulé leur voyage au Bangladesh, ce malgré le renforcement des dispositifs de sécurité. 2016 est une année marquée au fer rouge [34] pour le Bangladesh, et qui sait ce que l'avenir lui réserve encore…