En 2016, un smog politique s'est abattu sur la Chine et Hong Kong

Image from Open Studio Hong Kong's Facebook.

Image tirée de la page Facebook d'Open Studio Hong Kong.

Depuis plus de deux semaines, 23 villes chinoises sont en alerte rouge, plongées dans un épais brouillard toxique dû à la pollution atmosphérique.

La concentration en particules fines de l'air a pu atteindre jusqu'à 300 microgrammes par mètre cube (µg/m³), une densité extrêmement dangereuse pour la santé humaine.

Les internautes chinois ont baptisé cet air vicié de « nouveau normal », faisant référence avec une pointe d'humour noir au terme politique utilisé par le Président Xi Jinping ces dernières années pour qualifier le ralentissement de la croissance économique du pays.

La pollution de l'air est liée au développement effréné de la Chine, qui a boosté le produit intérieur brut (PIB) du pays ces dix dernières années. Mais ce modèle de croissance basée sur la dette a également engendré une crise bancaire, la dette publique s'élevant aujourd'hui à 255 % du PIB chinois de la fin 2015. Les exportations ne décollent pas, créant ainsi une dépréciation du yuan et une fuite des capitaux.

Alors que le gouvernement se raccroche aux entreprises d’État pour ne pas sombrer, l'environnement commercial demeure défavorable, et nombreux sont ceux qui ont préféré investir ailleurs.

Répression accrue sur les ONG, les journalistes et les avocats

Tandis que le véritable nuage de pollution menace le nord et le centre du pays et affecte le quotidien et la santé de dizaines de millions de personnes en plein hiver, certains commentateurs craignent que le brouillard politique qui asphyxie le pays ne soit d'autant plus dangereux.

Afin d'empêcher que la crise économique ne contamine la sphère politique et vienne menacer le régime du Parti unique, le gouvernement a promulgué en l'espace d'un an une nouvelle loi anti-terroriste, une loi sur la cybersécurité ainsi qu'une loi de régulation des ONG étrangères. La répression des droits civils a rarement été aussi assumée.

Campaign poster on the July 9 2015 crackdown of human right lawyer by China Human Right Lawyer Concern Group via HKPF.

Affiche de campagne sur la répression du 9 juillet 2015 qui s'est abattue sur les avocats des droits humains en Chine, réalisée par China Human Right Lawyer Concern Group, via HKPF.

Un grand nombre d'avocats des droits humains, qui défendaient les droits des citoyens en vertu des lois chinoises, ont été arrêtés et emprisonnés. Certains ont été inculpés et condamnés pour subversion. D'autres, à l'image de l'avocate Wang Yu, ont été forcés de confesser publiquement, sur les chaînes de télévision d'Etat, que leur travail était financé par des forces étrangères.

Plus récemment, l'avocat chrétien Jiang Tianyong, qui avait milité pour la libération de ses confrères de la profession, a été arrêté.

Les journalistes et les plateformes d'informations citoyennes font également les frais d'une répression croissante. Selon le Committee to Protect Journalists, pas moins de 38 journalistes se trouvaient derrière les barreaux au 1er décembre 2016. En juillet, le fondateur d'un site recensant les manifestations appelé « Not in the News » a été arrêté et inculpé pour avoir « cherché querelle ». En novembre dernier, un journaliste indépendant travaillant pour le site d'informations primé 64Tianwang Huang Qi a été arrêté et fait désormais face à des accusations de divulgation de secrets d’État.

En plus des menaces d'arrestation et de poursuites en justice, les journalistes indépendants doivent lutter contre tous les types de censure afin que leur travail soit publié et diffusé. Même le site intellectuel Gongshi et le magazine réformiste Yanhuang Chunqiu, bien que tous deux gérés par des membres du Parti communiste chinois, n'ont pu échapper à la fermeture et au rachat.

Les pratiques de censure des contenus en ligne et de suspension des comptes utilisateurs des principales plateformes de médias sociaux telles que Sina Weibo et WeChat ont touché à la fois les journalistes indépendants et les sites d'informations affiliés au Parti. Une censure de plus en plus difficile à contourner, puisque les autorités ont désormais interdit d'utiliser les médias sociaux comme sources d'informations afin d'éviter que se répandent « rumeurs » et autres « informations fabriquées de toute pièce » et de prioriser les nouvelles positives — même lorsque ces nouvelles traitent d'une catastrophe naturelle.

Surveillance, censure et propagande

Les activistes et les journalistes ne sont pas les seuls groupes ciblés. Les internautes ordinaires ont également été soumis à une surveillance accrue. Les backdoors et logiciels espions placés dans les dispositifs de communication ne choquent désormais plus personne. Pire encore, le système obligeant les internautes à utiliser leur vrai nom pour s'inscrire, associé aux technologies de surveillance de masse, a abouti à l’utilisation illicite et la divulgation de données personnelles.

Les outils de contournement de la censure ont été qualifiés de « logiciels terroristes » et y avoir recours dans des régions sensibles telles que le Xinjiang peut provoquer l'ouverture d'une enquête de police. Les activistes les plus assumés sont fréquemment la cible de trolls « patriotiques » en ligne et reçoivent également des menaces des autorités du Parti hors connexion. Même les plaisanteries sur le « culte du crapaud » [relatives à l'ancien dirigeant du pays Jiang Zemin] sont interdites. Et bien sûr, le jeu de réalité augmentée Pokémon Go était une « no-go zone » en Chine.

Cela va sans dire, le smog en lui-même est devenu la cible des activistes politiques, et a par conséquent subi la censure des autorités, tandis que des actions citoyennes visant à sensibiliser le public à la pollution de l'air à Chengdu ont été ciblées par des mesures répressives.

La pollution n'ayant pas cessé malgré l'arrêt des chantiers et des usines dans les grandes villes durant l'alerte rouge sur la qualité de l'air, les médias d’État se sont mis à pointer du doigt les cuisines des restaurants. Selon certains internautes, cette couverture est révélatrice de la volonté des autorités de détourner l'attention de tout échec de leur part dans le modèle de développement chinois ou leur politique environnementale, comme elles ont pu le faire en s'assurant que le ciel soit d'un bleu sans nuage durant le sommet du G20.

Si les citoyens ordinaires sont bien conscients de la toxicité du nuage de pollution, certains aventuriers bravent le smog, à l'image du fondateur de Facebook Mark Zuckerberg qui n'a pas hésité à effectuer son jogging quotidien sur la place Tiananmen embrumée à Pékin — devenant ainsi un mème du Net chinois.

L'autonomie de Hong Kong menacée

Le brouillard politique ne s'est pas arrêté aux frontières de la Chine continentale et a également affecté les sociétés chinoises d'outre-mer, en particulier Hong Kong, région administrative spéciale de Pékin.

L'autonomie de Hong Kong, pourtant garantie par le principe « un pays, deux systèmes » inscrit dans la Loi fondamentale — un texte faisant office de constitution — n'a cessé de subir les assauts de Pékin. L'année a débuté avec l'enlèvement de cinq libraires hongkongais par les autorités chinoises. Plus récemment, les autorités chinoises ont pour la première fois livré leur propre interprétation de la Loi fondamentale de Hong Kong dans le cadre du scandale des serments de deux députés indépendantistes de Hong Kong. Leung Chung-hang et Yau Wai-ching ont prêté allégeance à « la nation de Hong Kong » et ont fait référence à la Chine sous le terme « Shina » — un terme hautement péjoratif utilisé par le Japon durant la Seconde guerre mondiale.

Bien que Pékin prétende que cette interprétation de la loi visait seulement à empêcher que le mouvement indépendantiste ne prenne racine à Hong Kong, l'une des conséquences les plus probables est que les députés pro-démocratie pourront désormais être démis de leur fonction pour avoir altéré la formulation de leur serment ou pour avoir scandé des slogans politiques lors de la prestation.

Un tribunal local ayant déchu de leur mandat parlementaire Leung Chung-hang et Yau Wai-ching, le gouvernement hongkongais a cherché à disqualifier quatre autres députés pro-démocratie, dont l'activiste de longue date Leung Kwok-hung, le leader étudiant Law Kwun-chung, le maître de conférence Lau Siu-lai et le professeur Yiu Chung-yim. Si le gouvernement venait à remporter ces quatre procès, davantage de députés pro-démocratie seraient susceptibles de risquer la déchéance de mandat.

Viral photo circulated online. via HKFP.

Cette image représentant CY Leung a beaucoup circulé en ligne, se moquant du nombre de votes qu'il avait récolté lors des élections du chef de l'exécutif en 2012, via HKFP.

Ironiquement, le camp pro-démocratie n'est pas le seul à être menacé de disqualification. Le chef de l'exécutif de l'ancienne colonie britannique Leung Chun-ying a lui aussi été « disqualifié » d'être candidat à sa propre succession en mars prochain. Apparemment, Pékin disposerait déjà de nombreux soutiens loyalistes à Hong Kong. Par conséquent, si en abandonner un dont la côte de popularité s'est effondrée pouvait aider à unir le camp pro-Chine, pourquoi se gêner ?

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