Le projet “Müpüley Taiñ mapudungun” (“Notre essor en mapudungun”) a reçu en 2015 une Microbourse de Rising Voices dans le cadre d'un soutien aux initiatives de militantisme numérique dans les langues indigènes. Ce projet a été exécuté à Buenos Aires et cherche à renforcer le mapudungun, la langue des Mapuches, à travers les renaissances politique et culturelle des Mapuches urbains et l'apprentissage de la radio.
[Les liens de cet article renvoient a des pages en espagnol ou en mapudungun, NdT.]
par Simona Mayo et Francisco Godinez*
Les villes parlent. Avec des conversations, des panneaux d'affichage, des radios, des noms de rues et des gens. Avec le bruit des freins de voitures et celui des klaxons. Elles parlent dans plusieurs langues qui sont venues à elles et s'y sont entremêlées. Située au nord du territoire mapuche historique, Buenos Aires parle également mapudungun et il existe plusieurs projets de revitalisation de cette langue dans la ville. Dans cet article, Simona Mayo et Francisco Godinez, membres de Müpüley taiñ mapudungun, décrivent la situation de la langue mapuche dans la capitale argentine et l'importance de sa renaissance grâce à la radio.
D'après les statistiques du gouvernement argentin, dix mille Mapuches vivent à Buenos Aires et parmi eux, mille sept cent parlent ou comprennent le mapudungun. Bien que nous remettions ces chiffres en question, ils nous fournissent une base à partir de laquelle nous pouvons évaluer à la fois la vitalité de la langue mapuche à Buenos Aires et dans le territoire historique de Puelmapu, et ce qui peut être fait pour faire renaître cette langue.
Quand nous parlons de la vitalité d'une langue, nous nous référons à son usage réel ou à celui d'une variété spécifique dans une communauté de locuteurs. Ainsi, la vitalité du mapudungun n'est pas seulement attestée par des chiffres (combien de locuteurs le parlent et où vivent-ils), mais elle nous informe également des diverses dynamiques et utilisations dans des contexte spécifiques, traditionnels ou contemporains. Ces dynamiques culturo-linguistiques, comme le nütramkan (conversation quotidienne), le üllkantun (chant), la geste d'epew (récits) ou le hip-hop mapuche, reflètent la façon dont les gens ont choisi de parler leur langue, de conserver ses expressions et son utilisation et par-dessus tout, de la revitaliser. Ces pratiques se trouvent dans les grandes villes argentines ou les Mapuches ont migré.
L'une des formidables caractéristiques des langues modernes est leur capacité à changer et à ne pas changer en même temps. Dans un premier temps, le mapudungun a été renforcé culturellement et linguistiquement car sa tradition a été conservée par les longko (chefs) d'une génération entière. Il s'est ensuite maintenu car il a permis aux nouvelles générations de le renouveler, préservant ainsi toujours son héritage culturel.
Défis et stratégies du mapudungun
Le mapudungun se trouve aujourd'hui dans une situation critique, au croisement de deux directions possibles. La première, prédite par de nombreux linguistes, est que malgré le bilinguisme actuel, la langue entre dans un processus de déplacement et qu'elle mourra quand la vieille génération de locuteurs disparaîtra.
La seconde direction est celle prise actuellement par les jeunes générations, descendantes des migrants forcés depuis Wallmapu (le territoire mapuche) et de la désintégration du tissu social mapuche résultant des campagnes de colonisation. Bien que le diagnostic précédent soit reconnu, ce chemin renverse le phénomène de déplacement à travers la revitalisation de la langue et la restructuration des circuits de transmission intergénérationnelle. Il fait appel à la reconnaissance, la mise en valeur et l'apprentissage auprès de l'ancienne génération de locuteurs qui ont conservé la langue comme une forme d'action, malgré les difficultés.
Ce Rüpü (chemin) est en train d'être construit avec succès et est affirmé et consolidé par le Kimün (connaissances) des füchakeche (anciens) et des newen de wechekeche (jeunes). Une langue qui n'est pas mise à jour et qui ne représente plus le monde changeant dans lequel ses locuteurs vivent est une langue envoie de disparition. Ce n'est pas le cas de la langue mapuche. Les nouveaux locuteurs, de jeunes gens qui aujourd'hui ont pris la tête du mouvement de revitalisation du mapudungun, ne sont pas seulement à l'origine du rétablissement de la langue dans des espaces de dialogues fonctionnels, mais ils ont également créé de nouvelles instances pour son développement et sa conservation.
Des organisations telles que la Fédération étudiante mapuche (FEMAE) et le parti Wallmapuwen, des groupes d'éducation mapuche comme Kom kim mapudunguaiñ waria mew à Santiago du Chili ou Wixaleyiñ à Buenos Aires, ainsi que des kimelfe (enseignants) expérimentés ont réussi à créer une place pour leur langue dans la société toute entière, mapuche et non-mapuche, grâce à la destruction des vieux préjugés attribués au mapudungun.
Ainsi, c'est aujourd'hui depuis le coeur du tissu social mapuche que vient la motivation de renforcer l'enseignement et la revitalisation du mapudungun. À Buenos Aires, Il y a un besoin urgent de rendre la langue visible tout en l'enseignant. Buenos Aires est une ville construite dans une tradition européenne qui a caché, supprimé ou réprimé l'héritage indigène du territoire. Ces organisations prennent ce fait en compte et affirment la présence d'un village pré-existant pour expliquer la richesse de la langue et de sa culture et éliminer les préjugés racistes sur les Mapuches.
Les Mapuches de Buenos Aires : à la recherche des sons anciens et modernes
Les seules données disponibles sur le nombre de Mapuches résidant à Buenos Aires viennent de l'Enquête complémentaire sur les peuples indigènes (2004-2005) qui estime cette population à 9 750 habitants. Ce nombre sous-estime grandement la population réelle ; en réalité, après le sondage de nombreuses organisations indigènes ont indiqué que celui-ci commettait un “ethnocide statistique”. Mais ce sont les chiffres officiels.
Au niveau national, l'enquête comptait 17,3 % de gens qui parlent ou comprennent le mapudungun, parmi lesquels 2,2 % le parlent régulièrement, et 3,6 % qui le définissent comme leur langue natale. Il est également pertinent de remarquer que 93,3 % de la population mapuche ne reçoit aucune éducation dans leur langue.
La production et la conception de nouveaux outils d'enseignement et de dissémination de la langue veulent changer ces statistiques. Ainsi, la revitalisation du mapudungun est facilitée par des groupes tels que Wixaleyiñ qui publient des textes et organisent des ateliers, et par de nombreux autres kimelfe (enseignants) qui se sont consacrés à cette tâche ces dernières années dans des espaces aussi divers qu'à l'université, dans des syndicats et des assemblées.
Notre initiative Müpüley Tain mapudungun s'inscrit dans ce contexte et travaille pour la revitalisation du mapudungun à la radio. Nous sommes convaincus que le documentaire audio est un genre qui peut contribuer de façon fondamentale au redressement de la tradition orale, qui existe car nous sommes des êtres qui communiquent par des sons. L'être humain est capable de communiquer de manière sophistiquée grâce à sa langue et à ses capacités de raisonnement. Ils ne peuvent exister sans une communauté, sans exercer leurs aptitudes rationnelles, émotionnelles et linguistiques, c'est-à-dire sans communiquer avec l'autre. Et la communication, c'est avant tout le son : le son qui parle à la raison mais aussi à l'émotion. Le son est à la fois concept et sens.
Le documentaire audio est un genre hybride entre le journalisme et l'art. C'est un genre radio flexible et large, utilisé pour raconter des histoires et parler de problèmes dans le monde entier en mettant l'accent sur le son comme valeur narrative. Le son raconte : une voix ne rend pas seulement compte de ce qui est dit, mais aussi de comment c'est dit. Une langue n'est pas composée que des mots, mais aussi d'intonations, d'inflexions, de silences, d'expressions : des sons qui créent un monde. Ce monde peut parfois n'être décrit qu'avec ces sons-là, et pas avec d'autres.
Ainsi, le documentaire audio est le genre idéal pour parler d'une culture, de l'identité, de la langue et de l'art d'un peuple, eux-mêmes protagonistes avec leurs sons et formes d'expression, sans la médiation d'un journaliste ou d'un expert. Tout d'abord, la culture est racontée par ceux-là mêmes qui s'identifient avec elle et réaffirment leur appartenance grâce à la familiarité, l'intimité et la proximité des sons. Ensuite, le reste de la société peut découvrir et comprendre cette culture ancrée et mélangée à la leur.
Ce genre associe des témoignages, des enregistrements audios, des paysages sonores, des entretiens, de l'art radio, de la fiction, de la musique, ainsi qu'une commentaire sur les choix esthétiques. En résumé, il utilise le langage de la radio pour créer un collage attractif et porteur de sens. Il force les gens à voir avec leurs oreilles, il montre l'association entre l'espace et le temps ainsi que les éléments les plus fondamentaux d'une culture : sa langue, sa poésie et sa musique. Il est aussi essentiel que le son.
Voici donc le chemin que nous prenons avec cette initiative, avec des objectifs spécifiques et concrets tels que la production de trois documentaires audios. Mais elle fait partie intégrale d'un effort plus large de revitalisation de la langue. Nous sommes convaincus qu'il représente le début d'une réponse aux questions posées dans cet article.
* Membres de l'initiative Müpüley taiñ mapudungun. Contactez-nous à : simonna.mayo@gmail.com et francisco@cpr.org.ar