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Les autorités du Bhoutan interdisent un film pour mauvais usage de masques religieux

Catégories: Asie du Sud, Bhoutan, Arts et Culture, Censure, Cyber-activisme, Développement, Droit, Film, Gouvernance, Médias citoyens
Masked dances performed in annual religious Bhutanese festival called tshechu on the tenth day of a month of the lunar Tibetan calendar. Image from Flickr by Arian Zweckers. CC BY 2.0 [1]

Danseurs masqués se produisant lors du festival religieux annuel Bhoutanais appelé « Tshechu », le dixième jour du mois du calendrier lunaire tibétain. Image de Arian Zweckers, site Flickr. CC BY 2.0

L'interdiction récente d'un film, accusé de dénigrer des symboles religieux, a suscité beaucoup de débats au Bhoutan.

L’autorité bhoutanaise de l’information, de la communication et des médias (BICMA) a déclaré que  Hema Hema: Sing Me a Song While I Wait [2](‘Chante-moi une chanson pendant que j'attends’)un long-métrage de l’écrivain et lama bouddhiste tibétain Dzongsar Jamyang Khyentse Rinpoche [3], ne pouvait pas être diffusé dans le pays, après examen par le Comité national de contrôle cinématographique  et le département Culture du Ministère de l’Intérieur et des Affaires Culturelles.

L’autorité des médias a communiqué sa décision dans une lettre envoyée le 10 janvier 2016 à la société de production du film, Tsong Tsong Ma Productions, en indiquant que l’interdiction était « due aux divers masques religieux utilisés par les personnages du film, qui ne sont pas conformes à notre tradition et à notre culture.»

Le film se passe au Bhoutan et parle d'un groupe de personnes qui passe plusieurs jours ensemble dans les bois, anonymement, grâce aux masques qu'ils portent. Il a été filmé au Bhoutan [4] avec plus de 400 acteurs, pour la plupart issus des villages de l’Est du pays.

La religion officielle du Bhoutan est le bouddhisme et elle influence de nombreux aspects de la culture de ce petit pays. Les masques [5]apparaissent dans quelques coutumes. Actuellement, le Bhoutan se voit obligé de travailler sur la préservation de sa culture et de son héritage face à l’influence des cultures étrangères, inhérente au développement rapide du pays.

Pourtant, de nombreux Bhoutanais ne comprennent pas exactement ce qui est reproché à ces masques. Le film a déjà été diffusé dans un certain nombre de festivals internationaux de cinéma comme le festival de Locarno [6], le festival de Londres BFI [7], le Golden Horse [8]de Taipei et le Festival International du film de Singapour, [9] et a reçu une mention spéciale de la part d'un jury international en se plaçant second au Festival International du Film de Toronto [10] en septembre l'année dernière. La première [11] au Bhoutan était prévue en Décembre 2016.

Aux régulateurs bhoutanais ART & CREATIVITE … – S'il vous plaît, ne confondez pas l'amour d'une culture avec la violation de la liberté créative.

Quand l'art se fait battre par la loi, il y a un problème !

La page Facebook [18] officielle du film répond à l’interdiction :

Cette décision dogmatique n’est pas qu’une simple censure du film, c’est une décision qui va à l’encontre de la liberté d’expression et de la créativité au Bhoutan. Elle lance un message fort et sans équivoque à tous les artistes en herbe de ce pays, qu'au Bhoutan, il y a des limites aux rêves et à la créativité. […] 

Cette décision ébranle l'expression artistique et la liberté créative. Elle reflète l'incapacité des décideurs et des régulateurs des médias à voir plus loin que le bout de leur nez. Alors que les règles sont un mal nécessaire pour éviter, entre autres, la désinformation, la manipulation délibérée des faits ou l’indifférence face à l’altération des valeurs culturelles, elles ne devraient pas être imposées de façon arbitraire pour soumettre et étouffer une industrie créative naissante.

Les gens mettent en doute le fait que le film ait vraiment porté atteinte aux symboles culturels ou religieux comme on l’accuse, alors que ceux-ci ont été utilisés à des fins purement artistiques. Par exemple, Tashi TD [19] a fait le commentaire suivant :

Le film ne discrédite ni l'utilisation ni le caractère sacré des masques. Ils sont plutôt utilisés comme des symboles forts et des supports pour transmettre un message fondamental sur l’identité, l’anonymat et la liberté.

Younten Jamtsho [20] a indiqué :

Les citoyens d'aujourd'hui ont besoin de moyens modernes pour être sensibilisés. Si la BICMA a basé son jugement sur ses principes, alors il est grand temps pour elle de les reconsidérer pour donner plus d’espace aux expressions et arts créatifs.

Sonam Wangmo Dukpa-Jhalani a analysé le film et son utilisation des masques pour le magazine bhoutanais Yeewong [21] :

Tshering Dorji, l’acteur principal de Hema Hema, un comédien naturel et charismatique […], a la tâche ardue de transmettre ses sentiments en portant un masque. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus facile à faire, mais il le fait tellement bien : on ressent son désir, on ressent sa peur, on éprouve son agressivité et ses remords. […]

Certaines scènes du film apparaissent tel un poème visuel, une performance lyrique et mystique.

Et certains, comme Sonam Wongmo [22], s’interrogent sur la politique culturelle :

Quelle ironie quand de plus en plus de Bhoutanais célèbrent Noël, Halloween, se marient selon les traditions occidentales (en portant des robes, etc) organisent des fêtes prénatales, bref, observent des traditions qui ne sont pas les nôtres, la BICMA s’inquiète qu’un film sur le Bhoutan ne soit pas conformes aux « traditions »?

Naturellement, comme pour toute interdiction, cela m’a rendu (et je suis sûr qu’il en est de même pour le reste des bhoutanais) encore plus curieuse, et pour HEMA Hema, une censure c’est un coup de pouce.