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Un écrivain bangladais persécuté trouve une nouvelle vie aux États-Unis. Mais l'exil n'est pas chose aisée

Catégories: Amérique du Nord, Asie du Sud, Bangladesh, Etats-Unis, Censure, Droits humains, Littérature, Médias citoyens, Migrations & immigrés
Tuhin Das, exiled from Bangladesh, now lives in Pittsburgh and is the current writer-in-residence with the City of Asylum program. Credit: Ashley Cleek

Tuhin Das, exilé bangladais, vit à présent à Pittsburgh et est l'actuel écrivain-résident du programme “City of Asylum”. Crédit: Ashley Cleek. Utilisé avec autorisation.

Cet article, écrit par Ashley Cleek [1] a été publié  [2]originellement sur PRI.org [3] le 9 janvier 2017. Il est republié ici dans le cadre du partenariat entre PRI et Global Voices. 

Tuhin Das avait tout juste 16 ans et vivait au Bangladesh quand il a commencé à écrire des poèmes et à publier une revue. C'est aussi ainsi qu'il se fit remarquer.

Ses écrits disaient à voix haute les persécutions subies par les hindous et les athées, groupes minoritaires au Bangladesh. Ceux-ci rendirent furieux certains fondamentalistes, qui virent en Das un anti-islamique. Étant encore adolescent, un groupe de fondamentaliste l'a poignardé dans la rue. Puis, en 2015, le nom de Das apparait sur une liste noire.

“Mon nom, ainsi que celui de cinq autres personnes, apparut sur Facebook une nuit”, explique Das en bengali, grâce à un interprète. Das parle anglais mais se sent plus à l'aise quand il utilise sa langue maternelle. “Le post disait ‘Ces gens sont considérés comme des ennemis de l'Islam.”

Das explique que le groupe derrière cette menace était lié à Al-Qaïda. Terrifié, il se rendit au commissariat. Les policiers lui dirent: “Tu peux être attaqué à n'importe quel moment, et nous ne pouvons te protéger si tu restes ici.”

C'est ainsi que Das entra dans la clandestinité.

Il n'était pas le seul. Les écrivains ont été ciblés et abattus au Bangladesh [4] ces dernières années par des islamistes radicaux, qui les considèrent comme des infidèles. Das, qui est né dans une famille hindoue mais se considère comme athée, dit qu'il n'a écrit pas contre l'Islam.”J'écris contre tout ce qui est extrême”, explique-t-il.

Après des mois passés à se cacher, Das eut connaissance du cas d'un autre écrivain bangladais qui était également en danger, mais trouva refuge à l'étranger. Cet écrivain avait obtenu asile grâce à l’International Cities of Refuge Network [5], (le Réseau international des villes-refuge), une organisation regroupant plus de 50 villes autour du monde. Le programme de la ville de Pittsburgh nommé City of Asylum [6] accepta Das.

Il n'avait jamais quitté le Bangladesh, ni pris l'avion avant cette date. Das est arrivé à Pittsburgh il y a neuf mois. Il m'a fait visiter les alentours de la maison où il vit en ce moment. Elle se trouve dans une rue calme. C'est confortable, malgré cela au début il n'arrivait toujours pas à trouver le sommeil, à cause des cauchemars. Il s'est tout de même adapté peu à peu. “Je ne me sens plus autant en danger ici que lorsque je vivais au Bangladesh,” dit Das, qui a maintenant 32 ans. “Je peux écrire librement. Je peux exprimer mes opinions et pensées librement dans mes écrits.”

The City of Asylum's office is in this house on Sampsonia Way in Pittsburgh. Exiled writer Tuhin Das lives nearby. Credit: Ashley Cleek

Le bureau de City of Asylum se trouve dans cette maison, Sampsonia way à Pittsburgh. L'écrivain en exil Tuhin Das vit à proximité. Crédit: Ashley Cleek. Utilisé avec autorisation.

Das est un écrivain prolifique. Il travaille actuellement à la biographie d'un célèbre poète bangladais, à un journal de sa vie à Pittsburgh un roman  et une tonne d'articles. Il les envoie au Bangladesh afin qu'ils soient publiés. Il tient également à jour son blog [7], écrit en bengali.

La résidence de City of Asylum dure environ deux ans et Das est le sixième écrivain à en profiter. Il a droit à un logement, une assurance santé et une bourse qui lui donne de quoi vivre afin qu'il puisse se consacrer à l'écriture. Mais l’exil a coupé Das de tout ce qu'il connaissait : ses amis, sa famille, sa langue, son pays. Le lieu et la culture, qui sont les sujets principaux de ses écrits se trouvent à présent si loin de lui. Selon lui, il passe plus de temps en ligne à discuter avec ses amis que n'importe qui d'autre ici. Il est esseulé.

“Je ne pense pas que le sentiment d’ être en exil soit quelque chose de positif pour moi. Je ressens l'exil pas seulement physiquement, mon esprit aussi est en exil”, explique Das.

Il est en contact régulier avec l'actualité au Bangladesh – observant avec attention comment les fondamentalistes divisent la culture bangladaise et attaquent les communautés minoritaires. Das dit que la sensation de persécution, le fait d'être vu comme “différent” simplement à cause de la religion dans laquelle on est né, ne disparaît pas.

“Je suis avant tout Bangladais. Je devrais être reconnu par la langue que je parle, la culture que je pratique, par ma littérature, mon art, ma tradition,” dit Das. “Ceci est plus important pour moi que la religion”.

En tant qu'étranger et Bangladais aux États-Unis, Das dit qu'il ressent parfois les regards désagréables voire suspicieux des habitants de Pittsburgh. Il est conscient de sa peau sombre et de son fort accent.

Vers la fin de notre entretien, il commente en anglais. “Tout le monde, tout est différent. Tout le monde est différent,” dit Das à propos des États-Unis. “Quand je suis arrivé aux États-Unis, je me suis dit que j'étais peut-être en train de marcher sur la lune.” Mais aujourd'hui, Das marche dans un parc près de chez lui. Il a un lieu favori, un banc favori. S'asseyant dessus, dit-il, il trouve la paix en regardant le ciel, sachant que c'est le même qu'au Bangladesh.

Voici un des poèmes de Das :

Éveillé !
par Tuhin Das,
traduit en anglais par Nandini Mandal [texte français établi à partir du texte anglais par global voices]

J'ai des choses à dire.
Je suis venu de la guerre qui se fait avec avec le stylo et la machette.
J'ai vu la haine et la division prendre la place de l'amour et l'unité.

Comment peuvent-ils dire “tuez les mécréants” ? Comment me taire ?
Est-ce ma faute si je suis chiite ? Si je suis hindou? Si je suis étranger ?

Si je suis-je gay ? Allons-nous, Bangladais, être enterrés dans des fosses communes
comme en Irak, Syrie et Afghanistan ?
Pourquoi les gens vivent-ils sur leur propre terre dans la peur de l'assassinat et du meurtre ?

Ma guerre est contre ceux qui divisent le peuple
au nom de la religion qui tuent au nom de Dieu donc perturbent la paix.

Pourquoi enveloppent-ils l'humanité dans une couverture de sang ?
Pourquoi au Bangladesh les assassins s'en prennent-ils aux écrivains, aux minorités et aux athées ?

Bien que nous ayons offert nos larmes en retour de chaque meurtre, nous n'avons pas peur.
Je n'ai pas peur. S'ils cherchent encore à me tuer je dirai ceci :
‘Vous avez peur, vous êtes terrifié, et c'est pour cela que vous vouliez me tuer.’