Les services de sécurité kirghizes déclarent la guerre à ceux qui critiquent le président sur Facebook

Kyrgyz President Almazbek Atambayev at a meeting in St. Petersburg, Russia, in 2015. Russian government image, licensed to reuse.

Le président kirghize Almazbek Atambaïev lors d'une rencontre à Saint-Pétersbourg, en 2015. Photographie des services gouvernementaux russes, reproduite avec autorisation.

Ci-dessous, un billet publié par un site partenaire,  EurasiaNet.org [en anglais], que nous reproduisons avec son autorisation. 

Les services de sécurité de Kirghizie enfilent les gants de boxe pour un combat (par claviers interposés) contre les utilisateurs de Facebook qui se montrent par trop critiques envers le susceptible président Almazbek Atambaïev. Les usagers des réseaux sociaux ne savent pas s'ils doivent en rire ou en pleurer.

Le 10 janvier, une lettre du vice-président du Comité gouvernemental de sécurité nationale (GKNB), adressée à une députée du Parti social-démocrate du Kirghizistan (SDPK), dirigé par Atambaïev, a commencé à circuler sur la toile. Selon cette lettre, le Comité a placé sous surveillance 45 usagers de Facebook critiquant ouvertement Atambaïev. Plus loin, le texte pointe plusieurs de ces usagers en les désignant nommément.

Officiellement, le terme employé par le directeur adjoint et ancien garde du corps d'Atambaiev, Bolot Souïoumbaïev, dans cette lettre dont l'authenticité a été confirmée par la députée Irina Karamouchkina, est le suivant : « publications à caractère négatif dirigées contre le chef du gouvernement ».

Une recherche rapide parmi les messages publics des internautes dénoncés dans la lettre montre qu'un très petit nombre seulement de ces messages sont ouvertement insultants envers Atambaïev – même s'il reste possible que certains messages vraiment injurieux aient été effacés par les internautes eux-mêmes.

Le plus audacieux de ces messages a été posté sur la page de Toïtchoubek Akmatala le 24 novembre [en kirghize]. Il s'agit d'un repost d'un message qui tourne en ridicule la façon dont un allié politique du président Atambaïev l'appelle « le père de la nation ». De nombreux utilisateurs de Facebook ont laissé des commentaires moqueurs où ils parlent d'une tentative d'instaurer un culte de la personnalité.

Le post contient aussi un photomontage d'Atambaïev avec deux yeux exorbités et d'un jaune pas très sain collés sur son visage.

Mme Karamouchkina, qui a la réputation d'être le pitbull du SDPK, est la première à avoir appelé [en anglais] le GKNB à poursuivre les internautes critiquant le président, au cours d'une séance parlementaire qui s'est déroulée en octobre. A quoi le second vice-président du GKNB a répondu que c'est exactement ce que faisait son parti – des investigations qu'il a justifiées en faisant valoir qu'Atambaïev est un « symbole du pays » méritant le même respect que l'hymne et le drapeau nationaux.

Peu après cet échange qui a semblé à de nombreux observateurs soigneusement mis en scène, le cerbère des médias locaux, l'Institut politique des médias, a fait une mise au pont pour préciser que, d'après la constitution, le président n'est pas un symbole de l'Etat, contrairement à l'hymne ou au drapeau.

Bien que certaines modifications relativement importantes de la constitution kirghize aient été adoptées par référendum l'an dernier, c'est toujours le cas.

Cependant, dans la politique kirghize, la règle du droit peut céder le pas à la nécessité politique, et les critiques disent que les autorités tentent de mettre Facebook, une plateforme investie par des personnalités très politisées de la société civile, sous contrôle.

Quelques semaines avant que soit rendue publique la lettre du directeur du GKNB à Mme Karamouchkina, un tribunal civil avait créé un précédent, en se prononçant contre un utilisateur de Facebook ayant critiqué son collègue du SDKP Dastan Bekechev. «[Le gouvernement] fait pression sur les utilisateurs pour qu'ils s'autocensurent, avait déclaré Adil Tourdoukoulov, qui dirige le groupe d'avocats du Comité de défense de la liberté de parole, et qui est lui-même poursuivi au civil pour offense à un autre ex-membre du service de sécurité d'Atambaïev.

«Maintenant les gens y réfléchiront à deux fois avant de poster une critique du gouvernement, a-t-il dit à EurasiaNet.org. [Le Kirghizistan] est en train de prendre modèle sur la Russie et le Kazakhstan, où on peut aller en prison pour un repost ou un like.»

Bien que le contenu de la lettre du GKNB ait de quoi inquiéter, les possibilités réelles de faire une rafle systématique chez les ennemis virtuels d'Atambaïev restent douteuses. Par exemple, dans sa lettre à Mme Karamouchkina, M. Souïoumbaïev écrit que, à en juger par les adresses IP, les utilisateurs de Facebook en question résident à l'étranger et ne peuvent donc pas être soumis à un interrogatoire.

L'une des utilisatrices de Facebook mentionnées dans la lettre du GKNB a donné une interview au portail d'information kloop.kg, dans laquelle elle se moque des allégations des services de sécurité et récidive.

« Lequel de mes posts n'a pas plu à Atambaïev ? Si j'écris quelque chose, c'est que c'est la vérité. […] Le GKNB est une honte. Il sont tellement fortiches qu'il ne sont même pas capables de trouver mon adresse IP. Je ne vis pas dans le pays où vous m'avez domiciliée. Je suis au Kirghizistan. Et je le répète: „A bas Atambaïev!“ »

Plusieurs utilisateurs ont été convoqués pour interrogatoire après leurs posts sur Atambaïev, ce qui a fait perdurer une « tendance » apparue à la fin de l'année dernière [en anglais]. Selon un communiqué de Radio Azattyk — le service kirghize de Radio Liberty/Radio Free Europe — dans la région de Jalal-Abad, dans le sud du pays, onze personnes ont déjà été interrogées dans les locaux du GKNB depuis le début de l'année pour avoir critiqué Atambaïev.

Goulnoura Toralieva, ancienne conseillère du gouvernement et fondatrice de l'organisation non commerciale «Ecole de relations publiques de Bichkek», a jugé «absurde» et représentant «un précédent dangereux» l'intérêt soudain de la police pour des posts Facebook critiquant Atambaïev. Cependant, elle n'est pas étonnée que les autorités montrent un intérêt à instaurer un contrôle sur les médias sociaux.

«Depuis ces deux dernières années, les réseaux sociaux montent en puissance car c'est de plus en plus souvent par leur biais que les utilisateurs s'informent, tandis que les journalistes et la société civile s'en servent comme plateforme», — a déclaré Mme Toralieva à Eurasianet.org, commentant ce qui venait de se passer pour Facebook.

«[Les réseaux sociaux] ont vu émerger des commentateurs influents et des gens qui ont du poids dans la société. Les hommes politiques peuvent y publier des déclarations et démentis sans passer par les journalistes. Le gouvernement peut s'en servir pour réagir à l'humeur publique et marquer des points. S'il ignore les réseaux sociaux, il perdra la partie.»

Pour l'instant, plusieurs des utilisateurs kirghizes de Facebook ciblés par le GKNB ont répondu à cette campagne de mauvaise publicité en appelant leurs amis à se joindre à eux pour critiquer Atambaïev.

« Désormais, de nombreux internautes ont un objectif commun: se retrouver sur cette liste :-) », plaisantait le 11 janvier le photographe Ilia Karimdjanov.

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