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Pour ce journaliste britannique, le monde devrait s'excuser auprès de l'Amérique Latine pour la « guerre contre la drogue »

Catégories: Amérique latine, Guerre/Conflit, Médias citoyens, Politique
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Johann Hari. Photographie issue de Wikipedia Commons, domaine public.

Cet article reproduit l'entretien mené par Estefanía Sepúlveda Portilla [2] (ESP) pour le média collectif chilien Pousta [1]et fut d'abord publié sur leur site web sous une licence Creative Commons 4.0. Cette nouvelle édition publiera l'entretien en deux parties.

Le journaliste britannique Johann Hari (JH) a un jour décidé, pour des raisons personnelles plus que professionnelles, de porter un regard critique sur le thème de la toxicomanie. Il a découvert au cours de son enquête que la soi-disant « guerre contre la drogue » – l'ensemble des mesures mondiales de lutte contre les drogues, armes et prisons prises à l'initiative des États-Unis et plus tard exportées de force au Mexique et au reste de l'Amérique Latine – a déjà au moins cent ans.

Les études et les preuves scientifiques n'appuient pas cette stratégie, mais cela n'a rien changé aux politiques internationales. Pendant ce temps, le problème devient de plus en plus complexe et se répand dans d'autres pays de la région sans qu'on en voie la fin. Une contradiction complète, peu importe sous quel angle on le considère. Johann s'est ainsi embarqué dans un voyage de trois ans et quinze pays à la recherche de réponses, avec une passion journalistique et un sentiment d'urgence envers un problème qui l'a affecté personnellement.

Son livre « La brimade des stups [3] », dans lequel il analyse et questionne les perceptions qui ont été utilisées pour défendre le conflit en cours, en est le résultat. Hari explique ses raisons dès la première phrase de notre entretien :

Una de las razones por las cuales investigué tanto tiempo este tema fue porque mi primer recuerdo de niño es de intentar despertar a un tío que yo pensaba que estaba dormido y no pude. Después descubrí que había problemas de adicción a las drogas en mi familia.

Une des raisons pour lesquelles j'ai enquêté sur ce sujet pendant si longtemps est que l'un de mes premiers souvenirs d'enfant fut d'essayer de réveiller mon oncle, qui, je croyais, dormait, et que je n'y arrivais pas. J'ai découvert plus tard qu'il y avait des problèmes d'addiction dans ma famille.

Il poursuit en expliquant le contexte de son travail : « Quand j'ai commencé, j'étais un peu arrogant. je croyais que j'en savais beaucoup sur tout ca, mais j'ai réalisé que je connaissais même pas les questions de base sur le sujet », se souvient-il. Sur Skype, il compte sur ses doigts face a la webcam : « À savoir : pourquoi a-t-on entamé une guerre il y a cent ans contre les toxicomanes et les usagers de drogue ? Pourquoi a-t-on continué si ça s'est avéré être un désastre ? Quelles alternatives à cette stratégie existe-t-il ? Qu'est-ce qui rend les gens toxicomanes ? »

Johann lance ces quatre questions avant qu'on lui demande. Il poursuit sans nous laisser le temps de les digérer :

JH Quería sentarme con gente que hubiese estado realmente metida en esto, que hayan visto sus vidas afectadas por el tema. Estuve en 15 países y finalmente conocí a un montón de gente, una mezcla muy loca, extraña y diferente: desde una persona trans que vendía crack en Brooklyn, hasta un sicario para uno de los carteles más violentos de Juárez de México. Estuve en Portugal, el único país del mundo que ha descriminalizado el consumo de todas las drogas, con resultados sorprendentes. Mi mayor conclusión al respecto es que todo lo que creemos que sabemos sobre adicción está mal: las drogas no son lo que creemos, la guerra contra las drogas tampoco.

JH Je voulais passer du temps avec des gens qui ont vraiment été immergés la-dedans, dont ça a affecté les vies. J'ai été dans quinze pays et au final, j'ai rencontré beaucoup de monde, un cocktail dingue, étrange et différent : depuis un trans qui vend du crack à Brooklyn jusqu'à un tueur à gages de l'un des cartels les plus violents de Juárez, au Mexique. J'ai été au Portugal, le seul pays au monde qui a dépénalisé toute consommation de drogue avec des résultats surprenants. Ma conclusion principale, en fait, c'est que tout ce qu'on croit savoir sur la toxicomanie est faux : les drogues ne sont pas ce que l'on croit, et la guerre contre les drogues non plus.

ESP : Commençons par le commencement. Comment et pourquoi la « guerre contre la drogue » a-t-elle commencé ?

JH Es bien interesante, porque yo pensaba lo mismo que todo el mundo te respondería ahora en la calle: que fue porque no querían que la gente se hiciera adicta, o que los niños consumieran. Pero no, no tenía nada que ver con eso. Fue fascinante encontrarme con la historia de Harry Anslinger, que es el creador de la “Guerra contra las drogas”. Él llegó al cargo de Director del Departamento de Prohibición del Alcohol en Estados Unidos, justo cuando la prohibición llegaba a su fin. Tenía un gran departamento y un gran cargo encima y nada que hacer; entonces, básicamente inventó esta guerra para mantener vivo el departamento. Lo hizo basándose en las tres cosas que más odiaba en el mundo, que eran los afroamericanos, los latinos y los drogadictos. Armó toda una burocracia basada en fuertes prejuicios sociales, para oprimir a esos grupos.

JH C'est assez intéressant, parce que je pensait la même chose que ce que tout le monde dans la rue vous dirait : c'est parce qu'ils ne voulaient pas que les gens deviennent toxicomanes, ou parce qu'ils ne voulaient pas que les enfants se droguent. Mais non, ça n'a rien a voir avec ça. L'histoire de Harry Anslinger, le créateur de la « guerre contre la drogue » est fascinante. Il est devenu directeur du Bureau de la prohibition des États-Unis juste au moment ou la Prohibition se terminait. Il se tenait au sommet de cette immense administration, mais rien à faire. Il a donc inventé cette guerre pour garder son administration en vie. Et il l'a basée sur les trois choses qu'il détestait le plus au monde : les Africains-Américains, les Latinos et les toxicomanes. Il a créé une bureaucratie entière basée sur de forts préjugés sociaux pour oppresser ces groupes.

ESP : Comment l'Amérique Latine est-elle entrée en jeu ?

JH Ése es el corazón de la guerra contra las drogas. Cuando prohíben las drogas, éstas no desaparecen, solo pasan de manos de doctores y farmacéuticos, a narcotraficantes armados, y luego Estados Unidos culpa a México sobre esto, lo que es bastante irónico si ves que ahora, cien años después, Trump armó su campaña sobre esta idea. El gobierno de México en ese momento hizo algo bastante inteligente y valiente. Le dijeron a Estados Unidos: “Vimos lo que están haciendo, pero no funciona”. Entonces ponen a Leopoldo Salazar Viniegra a cargo de las políticas de drogas. Él tenia un centro de rehabilitación, conocía el tema. Entonces dice, ‘La cannabis realmente no es dañina, no deberíamos prohibirla. Sobre el problema con las otras drogas, se necesita tratar a los adictos con amor compasión y tratamiento, pero no hay que prohibir las drogas porque si hacemos eso las drogas van a ser controladas por traficantes, gángsters, y carteles.’ Si hay alguien en el mundo al que la historia le haya dado la razón es a Leopoldo Salazar, ¿no te parece?

JH C'est au cœur de la « guerre contre la drogue ». Quand ils bannissent les drogues, elles ne disparaissent pas, elles passent simplement des mains des médecins et des pharmaciens à celles des revendeurs de drogues armés. Les États-Unis en rendent ensuite le Mexique responsable, ce qui est assez ironique quand on considère que cent ans plus, Trump en a même fait un argumentaire de campagne. À l'époque, le gouvernement mexicain a fait quelque chose de plutôt courageux et intelligent. Il a dit aux États-Unis : « On voit bien ce que vous faites, et ça ne va pas marcher. » Ils ont mis Leopoldo Salazar Viniegra à la tête de la politique en matière de drogues. Il possédait un centre de réhabilitation et était familier du problème. Il a alors affirmé : « Le cannabis n'est vraiment pas dangereux, on ne devrait pas l'interdire. Quant aux problèmes liés aux autres drogues, les toxicomanes ont besoin d'être traités avec amour, compassion et soins médicaux. Mais les drogues ne doivent pas être interdites car si elles le sont, elles seront contrôlées par des dealers, des bandits et les cartels. » S'il y a bien une personne au monde dont l'Histoire a montré qu'elle avait raison, c'est bien Leopoldo Salazar, vous ne pensez pas ?

ESP : Absolument.

JH La respuesta de Estados Unidos fue, ‘Sáquenlo’. México dijo que creía en él, y entonces Estados Unidos, fiel a su estilo, se puso amenazante, y en venganza, dejaron de exportar a México los opiáceos para medicamentos legales que se hacían en Estados Unidos. Y gente empezó a morir. Entonces, México tuvo que ceder. Así, esta guerra contra las drogas se expandió a toda Latinoamérica.

JH La réponse des États-Unis fut « Débarrassez-vous de lui. » Le Mexique a répondu qu'il croyait en [Salazar] et du coup les États-Unis, comme à leur habitude, sont devenus menaçants et en représailles ont arrêté d'y exporter des opiacés médicaux légaux fabriqués aux États-Unis. Et les gens ont commencé à mourir. Alors le Mexique a dû abandonner. C'est comme ça que la guerre contre la drogue s'est répandue dans toute l'Amérique Latine.