Le nombre de sites Internet bloqués ou déréférencés a doublé en un an en France

message blocage

Message affiché sur les sites faisant l'objet d'un blocage administratif

En visite au Forum International de Cybersécurité FIC 2017 qui s'est tenu à Lille les 24 et 25 janvier 2017, le ministre de l'Intérieur français Bruno Le Roux a indiqué que les autorités ont ordonné en 2016 le blocage (834) ou le déréférencement (1929), soit au total de plus de 2700 sites Web, afin de lutter contre “la pornographie infantile et le contenu terroriste”.

Ces chiffres ont plus que doublé [lien en anglais] par rapport à l'année précédente : selon le rapport publié en avril 2016 par la CNIL, l’autorité de contrôle en matière de protection des données personnelles, les chiffres étaient, de mars 2015 à février 2016, respectivement de 312 pour les blocages et 855 pour le déréférencement (le retrait des résultats de moteurs de recherche), soit un total de 1167 sites concernés [pdf]. 312 demandes de blocage de sites dont 68 concernaient des contenus terroristes et 244 des sites pédopornographiques, 1439 demandes de retrait de contenus dont 1 286 pour apologie du terrorisme et 153 pour pédopornographie et 855 demandes de déréférencement ont été transmises aux moteurs de recherche (386 pour des contenus terroristes et 469 pour des contenus pédopornographiques).

Rien ne permet de dire si cette inflation est due à la vigilance de la police ou à la prolifération des sites.

Depuis le décret d’application du 5 février 2015 de la loi du 13 novembre 2014, adoptée après les attentats de Paris et Saint-Denis et “renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme”, l'autorité administrative peut ordonner le blocage, sans passer par un juge, des sites Internet “provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie”, la disposition la plus controversée de la loi dès sa discussion. La décision de retrait de contenu peut aussi viser les sites de réseaux sociaux, ainsi Facebook pour la mise en ligne de photos prises à l'intérieur du Bataclan pendant la tuerie.

Comment fonctionne le dispositif

La publication, le 15 avril 2016, du premier rapport de la “personnalité qualifiée” de la CNIL, chargée de contrôler la “régularité” des demandes de retrait, de blocage et de déréférencement des moteurs de recherche émises par la police, a permis de dresser un premier bilan. En cas de demande irrégulière, la “personnalité qualifiée” peut adresser une recommandation, voire saisir le juge administratif. Si le contenu illicite est retiré, le site ne sera pas bloqué.

Lorsque l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), la division de la police nationale chargée d’Internet, repère des contenus visés par la loi, il demande à l’hébergeur du contenu sa suppression. Si l'hébergeur n'a pas répondu dans les 24 heures ou ne peut être contacté, l’OCLCTIC transmet aux fournisseurs d’accès à Internet (FAI) la liste d’adresses à bloquer et informe également la personnalité qualifiée.

Contester la décision de blocage ou de déréférencement devant le juge est possible, mais il n'y a pas encore d'exemple où les tribunaux auraient défié les décisions du Ministère de l'Intérieur. On attend encore l'action en justice qui aurait utilisé tous les moyens juridiques de recours.

Il n'existe pas de liste des sites concernés par le retrait de contenu, le blocage ou le déréférencement. Cette absence de transparence est problématique en laissant seulement face à face un service de police et la CNIL, aussi respectée soit-elle.

Le rapport de la CNIL d'avril 2016 précise qu'aucun cas de surblocage, c’est-à-dire de pages bloquées mais n’ayant pas vocation à l’être, n’a été observé. Autre chiffre intéressant, celui des tentatives de connexion aux sites interdits : 34 000 en moyenne pour les sites pédopornographiques et 494 pour les contenus terroristes. Les tentatives de connexions ont été anonymisées, à la demande de la CNIL. Par ailleurs, le rapport remarque que dans le cas des sites pédopornographiques, “de nouveaux sites identiques apparaissaient, avec une adresse légèrement modifiée”, après le blocage.

Peu de réactions en France

Octave Klaba, le médiatique fondateur d’OVH, le géant français et européen de l'hébergement de sites web, a lors d'une intervention au Forum de Lille, dénoncé [lien en anglais]  dans l'expansion de la censure une posture politique qu’ “il comprend, mais est inutile vu la nature mondiale de l'internet”. Il avait déjà manifesté son opposition aux mesures de surveillance (notamment la légalisation de la pratique des écoutes et enregistrements de conversations privées sans autorisation par un juge) votées dans la loi renseignement du 24 juillet 2015, agitant la menace (non mise à exécution) de délocaliser ses serveurs et donc une partie de son activité hors de France.

L'information relative aux déclarations du ministre de l'Intérieur français au Forum de Lille, par ailleurs essentiellement dédié à un thème différent, celui, intéressant les entreprises autant que les administrations, de la sécurité face à la cybercriminalité, a été publiée par l'agence Assocated Press, et ne semble avoir été reprise en France que par les journaux Le Monde et Métro. Est-ce à cause de la saturation de l'espace médiatique par les coups de théâtre de la campagne présidentielle, et de la récente attaque terroriste au Louvre ? La Quadrature du Net, sentinelle des libertés Internet, n'en a pas fait état à ce jour.

Mais tout était déjà dit, ou presque, dans les réactions parues en 2015 au moment de la mise en place du dispositif de blocage de sites. En anglais, voir cet avertissement de l’EDRI (European Digital Rights, un groupe d'associations européennes de défense des droits civiques et humains). Ou, en français, pour un exemple, la protestation du site Islamic Newsinfo contre son blocage.

Rappelons que la liberté d'expression, en France comme largement en Europe, n'est pas considérée, à la différence des USA, comme un absolu. Elle est encadrée par la loi, qui interdit, notamment, l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse, l’apologie de crimes de guerre ou du terrorisme, et les violations résultent en des poursuites.

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