En Tunisie, recul de la liberté d'information ?

Le Premier Ministre tunisien Youssef Chahed s'adresse aux médias pendant l'Assemblée  2016 de l'Union Internationale des Télécommunications qui s'est tenue en Tunisie. Photo UIT, publiée sur Flickr sous licence Creative Commons.

Le gouvernement tunisien est accusé de restreindre l'accès à l'information et la liberté des médias, à travers sa régulation des services de communication et de presse dans les ministères, les services étatiques et autres institutions publiques.

Le mois dernier, le Premier Ministre Youssef Chahed a publié la circulaire n°4 du 15 janvier 2017 demandant aux fonctionnaires de ne pas parler à la presse ni révéler d'information officielle à moins d'y être autorisé par leur hiérarchie :

Par respect des devoirs des fonctionnaires dans leur relation avec les organes des médias, comme prévu dans le code de conduite et de déontologie des fonctionnaires, ils s'abstiennent de toute déclaration ou intervention, ou de divulgation d'informations officielles ou de documents dans la presse ou par tout autre moyen, en rapport avec leurs fonctions ou avec les institutions publiques pour lesquelles ils travaillent, sans l’autorisation préalable et explicite de leur hiérarchie.

La circulaire interdit aussi aux fonctionnaires de faire des déclarations qui “enfreignent le secret professionnel et la sauvegarde des intérêts supérieurs de l’État”, d'empêcher “la divulgation d'informations et documents officiels devant ou pouvant être mis à la disposition du public”, et de faire “des déclarations mensongères ou fausses” en rapport avec leur travail et l'institution qu'ils servent.

La circulaire est en fait conforme aux réglementations existantes qui organisent la relation des fonctionnaires avec les médias. Le décret n°4030 du 4 octobre 2014 sur le code de conduite et de déontologie des fonctionnaires, dans la section 2 de son chapitre trois, interdit déjà aux fonctionnaires de faire des déclarations aux médias et de divulguer de l'information publique sans l'autorisation de leur supérieur hiérarchique ou de la direction des institutions publiques dans lesquelles ils exercent leur activité.

La publication de la circulaire n'a pas seulement été fustigée par les organisations de la société civile du pays, elle a aussi ranimé les critiques contre le code de conduite des fonctionnaires, et plus particulièrement ses dispositions qui réglementent le travail des services de communication et d'information dans les institutions, services publics et ministères.

Le 9 février, quinze organisations tunisiennes et internationales, parmi lesquelles le Syndicat national des journalistes tunisiens, la Ligue tunisienne des Droits de l'Homme, la Fédération internationale des droits de l'Homme et l'ONG pour la liberté d'expression Article 19, ont publié une déclaration appelant le gouvernement à “revoir le décret 4030 et à retirer immédiatement la circulaire n°4″. Les organisations ont condamné ce qu'elles décrivent comme “des restrictions accrues opposées aux journalistes, organisations de la société civile et citoyens [cherchant] à accéder à l'information des institutions publiques”.

Dans le cadre de ses réformes démocratiques, la Tunisie a progressé dans le domaine de l'accès à l'information. En 2016, le droit constitutionnel d'accès à l'information était renforcé avec l’adoption par le parlement d'une loi sur la liberté d'information (la loi n°22 du 24 mars 2016 sur l'accès à l'information). Ce texte garantit l'accès à l'information détenue par les entités gouvernementales telles que les ministères, la présidence, les associations à financement public, le parlement, les communes, la banque centrale et les corps constitutionnels. La loi prévoit des amendes contre ceux qui font obstruction à l'accès à l'information, et instaure une commission d'accès à l'information chargée de trancher sur les réclamations concernant les demandes d'accès à l'information.

Néanmoins, la mise en œuvre de cette loi reste incomplète et la commission d'accès à l'information n'est toujours pas installée. Cela ne surprendra personne que la publication par le gouvernement de la circulaire 4 soit fustigée par les journalistes et les organisations de la société civile, mécontents des lenteurs à traduire les réformes en actes.

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