Raconter des événements historiques ne va pas sans un bon talent de conteur, un talent oratoire en quelque sorte. La façon dont une histoire est racontée peut faire une différence puissante dans l'imagination de celui qui l'écoute.
J'élude toujours les conversations informelles sur la révolution égyptienne avec les gens qui en savent peu, de peur que les mots me trahissent. C'est ainsi que, tout en portant la mémoire de cet événement où que j'aille, j'en parle rarement.
C'est le soir du 11 février, il y a six ans, que le cours de l'histoire a basculé en Egypte : un avenir lumineux s'annonçait après des années de stagnation et d'obscurité. Le renversement de l'ex-Président Hosni Moubarak fut accueilli avec des acclamations et des chants au cœur de la place Tahrir. Une euphorie éphémère domina la scène, un sentiment unique qui me donne encore la chair de poule quand j'y pense aujourd'hui. C'était la fin d'une myriade de régimes tyranniques et le début d'une nouvelle ère prometteuse.
Du moins c'était ce qu'il semblait.
Dans les années qui ont suivi, l’Égypte a connu les troubles politiques et le désarroi économique, d'abord sous la direction de Mohamed Morsi des Frères Musulmans, suivi par Abdelfattah El Sissi appuyé par l'armée. Répressions de dissidents politique, corruption flagrante et commerce illégal des terres sont devenus la norme. L'ardeur réformiste s'est muée en extrême frustration à mesure que s'évanouissaient les perspectives prometteuses.
Les jeunes, en particulier, commencèrent à chercher à quitter le pays, n'ayant plus d'espoirs de jours meilleurs.
Pour beaucoup, janvier 2011 n'est plus qu'un souvenir. Faussé, de plus.
Cependant, et jusque récemment, la seule chose qui étanchait la soif de justice élémentaire était de savoir que Moubarak et son entourage avaient été mis en prison. Savoir que le pouvoir populaire avait réussi à renverser une longue dictature était un sentiment propre à faire sporadiquement renaître l'espoir. En deux mots, les Égyptiens pouvaient se dire qu'au moins l'un des objectifs essentiels de janvier 2011 aura été un succès durable.
Même ce fétu d'espoir semble avoir disparu.
Il y a quelques jours, la cour de cassation de l’Égypte a acquitté Hosni Moubarak des meurtres de manifestants en 2011, un jugement définitif qui ferme toute possibilité d'appel ou de nouveau procès.
Moubarak, condamné à la perpétuité en 2012 pour avoir commandité la mort de plus de 900 manifestants au long des 18 jours d'émeutes, a été innocenté en mars 2017. “La cour déclare le défendeur innocent”, a annoncé le juge Ahmed Abdel Qawi à l'issue d'une audience d'une journée. “Ce fut un moment révélateur qui a scellé la possibilité que justice soit accordée à ceux qui ont été tués pendant le printemps arabe et aux millions qui y ont pris part”, a décrypté le journaliste du Caire Farid Y Farid.
Renversé par un soulèvement populaire, Moubarak était le seul chef d’État arabe traduit en justice pour meurtre de masse, après même l'abandon des charges de corruption contre lui et ses deux fils.
Aujourd'hui, le monde peut voir un de ses dictateurs recouvrer la liberté. L'Histoire ne retiendra cependant de lui que l'incarnation d'un gouvernement militaire qui a oppressé un pays en recourant aux théories du complot pour masquer son appétit de pouvoir.
Le temps de l'ignorance est passé, ces jours où les Égyptiens acceptaient aveuglément les décisions des tribunaux basées sur des lois taillées sur mesure par les coupables eux-mêmes. A écouter les attendus du jugement ou à suivre l'affaire, pas besoin d'être diplômé en droit pour comprendre que le verdict est faussé. Terriblement faussé.
La faute à l'époque ? Il y a quelques années, les Égyptiens seraient descendus dans la rue au rendu d'un tel verdict. J'en mettrais ma main au feu. La faute à l'époque.
Aujourd'hui je m'aperçois que le désintérêt pour ce qui se passe et ce qui se passera est une réalité, et que le désir irrésistible de changement a cessé d'exister. Je m'en doutais depuis quelque temps, mais je refusais de m'en accommoder.
Sur les médias sociaux, toutefois, il y a eu des réactions de colère de la part de militants, d'hommes politiques et de défenseurs des droits humains.
L'activiste égyptienne Hawa Rehim a tweeté :
سلاما علي “شهداء يناير” يرقدون بكرامة أرواحهم الطاهرة
براءة مبارك خزي وعار لشعب هانت عليه دماء اولادهم #براءه_لهم_وقمع_لنا— ثــــــــــورةحرة⚡ (@Hawa_Rhim) March 5, 2017
La paix soit sur les martyrs de janvier qui reposent dans la dignité de leurs âmes pures. L'acquittement de Moubarak est une grande honte pour un pays indifférent au sang de ses frères.
Un autre utilisateur égyptien de Twitter a écrit :
كان نفسي اسِفّ واهَزّر في حوار براءة مبارك بس ماعرفتش، الله يرحم اللي ماتوا..
— Rasputin (@EvanRasputin) March 2, 2017
Je voulais tourner en rigolade le verdict de Moubarak mais je jure que je n'ai pas pu. Dieu aie pitié de ceux qui sont morts.
La présentatrice algérienne Wassila Awlamy s'est moquée du jugement en tweetant une photo du président syrien Bachar El Assad disant : “Je veux avoir mon procès en Égypte”.
بعد #براءة_حسني_مبارك .. pic.twitter.com/hy1vbnQvZT
— وسيلة عولمي (@wassilaoulmi) March 2, 2017
#AprèsL'InnocenceDeMoubarak
La faute à l'époque.