Dès qu'un gouvernement fait face à un mécontentement généralisé de sa population, son premier réflexe de nos jours est de bloquer les réseaux sociaux. En Afrique, de nombreux pays y ont eu recours soit par crainte de violences électorales, soit pour des manifestations syndicales, estudiantines soit par crainte d'une instabilité politique suite à des instances de mauvaise gouvernance.
Au Cameroun, les régions anglophones sont actuellement en ébullition pour diverses raisons. Bounya Lottin explique dans un billet publié sur le site courrierdesafriques.net les sentiments de frustration qui ont poussé les avocats à descendre dans la rue pour manifester leur ras-le-bol, le 11 octobre 2016:
Au nombre des problèmes qui fâchent les compatriotes anglophones, on retrouve en première place la question du «Common Law» par opposition au «Droit civil». Le premier est en usage chez les Anglophones alors que le second est l’outil des avocats d’expression francophone. L’incompatibilité entre les deux systèmes juridiques débouche sur d’insurmontables complications. En zone anglophone, au nom du Common Law hérité du colon britannique, l’avocat peut au gré des circonstances officier comme «juge», notaire ou huissier de justice. Ce fait a profondément modelé la manière dont les hommes de loi dans la partie anglophone du pays ont été formés. Cela fait forcément problème lorsque le régime dominant francophone veut imposer la norme des Notaires distincts des huissiers et des avocats dans la partie anglophone.
Mais, c'est une longue histoire qui tire ses origines dans les sentiments de marginalisation progressive des Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest toutes deux anglophones, qui représentent environ 20 % des 22,5 millions des résidents au Cameroun.
Après les juristes, ce sont les enseignants, les étudiants et les syndicats qui sont descendus dans la rue pour se plaindre du fait que l'anglais n'avait pas la même place que le français dans le système éducatif, l'administration des affaires et la représentation dans les institutions. Les affrontements meurtriers entre la police et les arrestations de manifestants n'ont pas tardé, atteignant un point culminant le 8 décembre 2016 dans les rues de la capitale du Nord-ouest, Bamenda, avec de nombreux morts et des blessés graves:
Depuis mi-janvier 2017, Internet est inaccessible dans les régions anglophones. Les coupures d'Internet ont de graves répercussions dans tous les domaines d'activités.
Le site accessnow.org, qui regroupe de nombreuses de défense des droits numériques des utilisateurs du monde entier a publié une lettre ouverte aux Directeurs des entreprises de télécoms du marché camerounais, signée par plus de 20 organisations de la société civile camerounaises, du continent africain et d'ailleurs, dans laquelle, elles rappellent que:
En bloquant l’accès à l’information et aux services, la perturbation de la connectivité empêche l’exercice de droits humains, notamment les libertés d’expression et d’association, et ralenti le développement économique, en portant un coup sérieux aux entreprises innovantes qui dépendent de vos services. Nous estimons que la coupure Internet a déjà coûté 1,39 million de dollars, un chiffre qui ne fait que grimper quotidiennement. Cette estimation ne prend pas en compte les effets à long terme de ce défaut de connectivité, comme la perturbation de la chaine de production, ou encore les importants envois d’argent de la diaspora camerounaise.
Se fondant sur un rapport de l’ONG Internet sans frontières sur la situation au Cameroun, ticmag.net , une plateforme d’actualités sur les TIC et Télécommunications en Afrique, révèle que:
Notons que pour faire face à cette situation, bon nombre de startups ont été obligés de déménager pour s’installer dans les villes voisines qui bénéficient de connexion Internet. C’est ainsi que bon nombre de jeunes startuppeurs de Buea se sont retrouvés à Douala et ceux de Bamenda à Bafoussam.
Depuis, la mobilisation sur les réseaux sociaux ne faiblit pas en vue d’un retour d’Internet. Un hashtag a même été lancé, #Bringbackourinternet. Pour l’instant, sans grand résultat.
Pourtant, c'est déjà en 2012, que Alexandre Salque signalait sur 01net.com, un des sites les plus visités en France, spécialisé en technologies de l'information, que l'ONU dont le Cameroun est membre, reconnaissait l'accès à Internet comme droit humain fondamental:
Fait historique. Pour la première fois, l’ONU reconnaît qu’accéder à Internet est un droit fondamental, au même titre que d’autres droits de l’homme. Les 47 membres du conseil des droits de l’homme de l’ONU ont signé à l’unanimité la résolution qui établit que chaque individu a le droit de se connecter et de s’exprimer librement sur Internet.
Plus tard en juillet 2016, le Conseil des Droits de l'Homme des Nations Unies lors de sa 32eme session, considérant l'accès à Internet comme un des droits humains, a adopté par consensus une résolution sur la liberté d'expression et Internet condamnant:
de manière univoque les mesures ayant pour but de volontairement empêcher ou perturber l'accès à ou la diffusion d'information enligne, en violation des Droits humains protégés internationalement, et appelle tous les États à réfréner ou cesser l'usage de telles pratiques.”
Cette recommendation invitait également les états tous à garantir la liberté d'expression conformément à leurs obligations internationales:
aborder les préoccupations de sécurité sur Internet conformément à leurs obligations internationales relatives aux droits de l’homme afin de garantir la protection de la liberté d’expression, de la liberté d’association, du droit à la vie privée et d’autres droits de l’homme en ligne, au moyen notamment d’institutions nationales démocratiques et transparentes, fondées sur les principes du droit, d’une manière qui garantisse la liberté et la sécurité sur Internet afin que celui-ci puisse rester une force dynamique génératrice de développement économique, social et culturel ;
Malheureusement, le gouvernement camerounais, au lieu d'honorer les obligations dérivant de la signature des traités internationaux, il s'en prend aux autres moyens d'exercice de la liberté d'expression. Ainsi, le Conseil National de la Communication (CNC) du Cameroun a-t-il proféré des menaces de suspension à l’endroit de plusieurs organes de presse le 20 janvier 2017.