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Le parquet kirghize engage des poursuites contre deux médias pour offense au président

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Kirghizistan, Censure, Droit, Droits humains, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique, Relations internationales, Advox

Le président de la République kirghize Almazbek Atambaïev (à gauche) lors d'une rencontre avec le président russe Vladimir Poutine. Photo officielle issue du site gouvernemental russe , reproduite avec son autorisation [1].

L’article suivant [en anglais] [2] est initialement paru sur le site EurasiaNet.org [3], et publié ici avec son autorisation.

Le procureur général du Kirghizistan accuse deux importants médias d'avoir insulté le président en diffusant de « fausses informations » et déclare qu'il va demander réparation devant les tribunaux.

Le 9 mars, Indira Djoldoubaïeva a fait savoir que le parquet général réclamait 26 millions de soms (env. 340.000 euros) de dommages et intérêts à Radio Azattyk — le bureau kirghize de la Radio Free Europe/Radio Liberty, financée par les États-Unis — et au site d'information Zanoza.kg.

En qualité de garant de l'honneur et de la dignité du président Altambaïev, le parquet a déposé deux plaintes distinctes.

Le premier dossier est ouvert en réponse à des articles des deux médias au sujet d'accusations publiques portées contre Altambaïev par le leader de l'opposition Omourbek Tekebaïev. Précisons que le leader du parti Ata Meken soupçonne Atambaïev d'être le propriétaire de la cargaison de l'avion qui s'est écrasé près de Bichkek en faisant 39 morts. Des rumeurs selon lesquelles Atambaïev pourrait avoir un rapport avec le contenu du tristement célèbre avion-cargo, un Boeing, s'étaient déjà répandues avant ces accusations.

Selon l'hypothèse émise par les avocats de Tebekaïev, l'arrestation de leur client serait liée à la possession de preuves corroborant ses accusations. Des propos dont les médias se sont largement fait l'écho, et pas seulement Zanoza.kg et Radio Attazyk.

Le parquet général a déclaré que ces médias « avaient abusé de leur liberté de parole » et n'avaient pas vérifié pas leurs dires qui, selon lui, « diffamaient » le président.

« Certains considèrent la liberté d'exprimer une opinion comme un blanc-seing pour satisfaire leurs ambitions personnelles, et en profitent trop souvent pour répandre de douteuses informations négatives, dont le caractère offensant est parfois de nature non seulement à porter atteinte à l'honneur et à la dignité de leurs propres concitoyens, mais aussi du président qui les représente », dit la déclaration du parquet.

Les autorités exigent des deux médias cités qu'ils retirent leurs allégations à teneur insultante et versent à Atambaïev, en compensation du préjudice moral subi, 10 millions de soms (env. 140.000 euros) pour Radio Azattyk, et 3 millions (env. 40.500 euros) pour Zanoza.kg.

On ne sait pas pourquoi ce sont ces deux seuls médias qui intéressent les autorités, alors que la plupart ont au minimum cité ces accusations, publiées initialement par le bureau de presse de la principale agence d'information. Selon l'explication la plus plausible, c'est parce que ce sont Azattyk et Zanoza.kg qui font les reportages les plus incisifs sur le gouvernement.

Il est aussi reproché à ces deux médias d'avoir relayé d'autres accusations portées par Tekebaïev au sujet de comptes bancaires chypriotes qui seraient détenus par Atambaïev.

Le parquet affirme que les détails de cette histoire « ne correspondent pas à la réalité » et sont présentés de manière à donner une mauvaise image du président. Les autorités réclament donc 3 millions de soms à Zanoza.kg et 10 millions à Radio Azattyk.

La rédactrice en chef de Zanoza.kg, Dina Maslova, estime que ces affaires judiciaires ont plus de chances de renforcer le crédit des médias que celui du président. Comme elle l'a expliqué au site EurasiaNet.org [4], le principal inconvénient est que les frais colossaux auquel son site va être contraint concernent la défense de ses intérêts commerciaux, au détriment de l'activité journalistique.

« Il me semble que nous avons fait des mécontents dans l'entourage du président et qu'il lui ont conseillé de poursuivre des sites internet, en quoi ils lui ont joué un mauvais tour. Rien d'autre ne peut expliquer une si mauvaise décision des autorités », a déclaré Mme Maslova.

Les avocats d'Ata Meken avaient initialement fait face à une réclamation de 10 millions de soms pour avoir diffusé ces accusations quant à la présence d'une cargaison appartenant à Atambaïev à bord de l'avion qui s'est crashé.

Ata Meken porte plainte à son tour contre Atambaïev, qui l'a récemment traité de «parti puant» et Tekebaïev de «maraudeur» — des accusations insinuant que l'homme politique a profité d'une façon ou d'une autre des pillages qui ont accompagné la révolution d'avril 2010. Cependant, Ata Meken ne demande aucune compensation financière et se contentera des excuses publiques du président.

Le cercle vicieux de ces passes d'armes entre le président et l'opposition a débuté avec le refus de celle-ci et de Tekebaïev d'entériner les changements apportés à la constitution l'an dernier. Bien qu'il s'agisse d'amendements sans grande conséquence, ils ont donné lieu à une âpre bataille politique.

Tekebaïev se trouve actuellement en centre de détention provisoire, d'où il fait régulièrement passer des écrits par l'intermédiaire de ses avocats. Dans sa dernière déclaration « carcérale », il demande à Atambaïev de se soumettre à un examen psychiatrique.