Ara Malikian, cosmopolite et violoniste

Ara Malikian during his concert in Sofia, Bulgaria. Photo by BG Sound Stage, used with permission.

Ara Malikian en concert. Photo présentée par BG Sound Stage, utilisée avec autorisation.

On le dit violoniste de génie. Ara Malikian est un Arménien qui a grandi au Liban, a étudié la musique en Allemagne et en Angleterre, et vit actuellement en Espagne. Il est récemment devenu premier violon dans l'orchestre Symphonique Royal de Madrid. Malikian parcourt le monde pour se produire dans les salles de concert, en soliste et dans des orchestres symphoniques.

Fin février, Malikian a donné un concert à Sofia, en Bulgarie. Le mois d'après, c'était le tour d'Ankara, en Turquie. Ce second concert avait une signification particulière, à la lumière de la position de Malikian sur le génocide arménien, qu'il a commémoré en septembre 2015 avec des récitals à Saragosse et Madrid.

Malikian a aussi joué en solidarité avec les réfugiés au Liban. Dans la vie comme sur scène, il est devenu un symbole d'unité culturelle pour ses fans, fusionnant les traditions musicales d'Europe Centrale, Argentine, et Espagne, et les cultures arabes et juives.

Le père d'Ara Malikian, un violoniste amateur arménien, l'a fait entrer dans le monde musical à un âge précoce, en lui enseignant les traditions musicales libanaises. Le dernier album de Malikian, « L'incroyable histoire d'un violon », a été inspiré par son enfance. Il a donné son premier concert à l'âge de 12 ans. A 15, il perce en obtenant une bourse pour le conservatoire de Hannovre. Il a ensuite poursuivi sa formation à Londres.

Nevena Borisova de Global Voices a rencontré Malikian et s'est entretenue avec lui de sa vie et de sa musique.

Nevena Borisova (NB) : Vous avez une très riche biographie. C'est difficile de choisir par où commencer… Vous êtes un cosmopolite par l'âme, par la nationalité. Mais où vous sentez-vous le plus chez vous ?

Ara Malikian (AM) : Honnêtement, nulle part. Aujourd'hui je me sens chez moi en Bulgarie, parce que vous les Bulgares m'avez accueilli avec beaucoup d'amour. Et je me sens en pleine confiance ici. J'ai tellement voyagé dans toute ma vie que j'ai appris à me sentir chez moi partout avec tout le monde. Mais ce qui compte le plus pour moi dans un endroit, ce sont les gens. Quand je rencontre des gens que je sens proches de moi, je me sens chez moi.

NB : Quelle différence y a t-il entre vos deux derniers albums ?

AM : Avant tout, mon dernier album contient mes propres compositions. Jamais auparavant je n'avais été compositeur dans mes albums, mais dans ce dernier j'ai énormément travaillé les compositions et c'est pourquoi je suis heureux qu'il se soit fait. En outre, dans cet album j'ai des invités. J'ai eu beaucoup d'invités. Nous avons eu beaucoup d'enregistrements live. Ce dernier album est très spécial — il est très nouveau pour moi.

NB : Vous avez pratiqué de nombreux types de musiques : classique, argentine (tango), orientale, espagnole… Quelles sont les grandes sources de votre inspiration ? Quels sont les principaux types de musique qui vous ont influencé dans votre dernier album ?

AM : Je ne contrôle pas d'où vient l'inspiration. J'ai eu la chance de pouvoir jouer avec des musiciens de beaucoup d'endroits, de beaucoup de styles. Chacun d'eux m'a inspiré. Chacun d'eux m'a appris beaucoup de choses. Quand je fais de la musique, elle vient du subconscient, ce qui est en fait le plus précieux. Dans l'album, chaque morceau est complètement différent du précédent ou du suivant. Ils sont de styles très différents. Telle est la façon dont je perçois et fais la musique. C'est cela mon concept musical. Je m'ennuierais si je procédais toujours de la même façon.

NB : Vous avez été en relation avec de nombreuses cultures. Vous ressemblez à une preuve vivante qu'il existe de nombreux points de contact entre les cultures. Alors comment expliquez-vous tous ces conflits que nous voyons aujourd'hui dans le monde ?

AM : Il y a beaucoup de gens qui sont désespérés de vivre avec tous ces conflits. Réfugiés, guerres, terrorisme… C'est le côté très négatif du monde. Je crois que la seule voie pour passer à travers ces conflits est par l'art, la musique, la culture. Le monde peut changer par les contacts avec les autres cultures, sur la base du respect pour les autres opinions et modes de pensée. C'est par l'art que l'on peut le mieux comprendre que, bien que différents, nous avons tous quelque chose en commun. C'est pourquoi je crois que, tôt ou tard, la culture et l'art sauveront l'humanité… J'en suis sûr.

NB : En 1899, le poète bulgare Peyo Yavorov a dédié son poème « Arméniens » au destin du peuple arménien. Tout à l'heure, vous disiez croire que l'art peut changer le monde. Pensez-vous que les artistes contemporains pensent, et s'y engagent suffisamment, à un monde meilleur, aux problèmes d'aujourd'hui  ?

AM : Il y a beaucoup d'artistes qui s'engagent et s'efforcent d'améliorer le monde, mais bien sûr il y en a aussi qui pensent plus égoïstement et sont moins désintéressés en termes d'économie et de politique… Et évidemment ne s'intéressent pas trop à l'humanitaire. Il y a donc toujours un conflit entre ces deux manières de penser Mais le monde me paraît être meilleur aujourd'hui, même si nous pensons qu'il est pire. Tôt ou tard les gens comprendront qu'on ne peut survivre qu'avec le respect mutuel, celui de nos différences, opinions, destins et différents modes de vie.

NB : Vous avez vécu au Moyen-Orient, à Beyrouth. Dans un entretien, vous avez dit que la musique orientale est très calme, et peut être très douce et paisible. Alors pourquoi cette absence de paix dans la région ?

AM : La musique orientale peut être cela, elle peut aussi être très, très rythmique. Il y a deux styles de cette musique. Honnêtement, je ne sais pas pourquoi il y a tant de guerres… Peut-être parce qu'on a le sang chaud, que sais-je [il rit]… J'ai vécu de longues années au Liban et j'ai beaucoup d'amis qui sont arabes et juifs. Ils vivent foncièrement bien, mais quand il s'agit d'intérêts économiques, d'intérêts politiques, les choses changent. Je pense que si seulement les gens vivaient ensemble ils n'auraient pas de problèmes. Mais aussi longtemps que ces intérêts et dirigeants exercent leur influence, ils créent la haine, la rage, et voilà comment on en arrive à la guerre. Mais je crois que les gens normaux ne veulent pas avoir la guerre. Je me rappelle quand je vivais au Liban, nous ne voulions pas avoir la guerre, nous avions beau vivre en temps de guerre, nous ne le voulions pas…

NB : Il y a quelques années, vous avez donné au Liban un concert de soutien aux réfugiés. En quoi le Liban a-t-il changé depuis vos derniers souvenirs ?

AM : Le Liban n'est plus le même. Quand j'en suis parti, le pays était plongé dans la guerre absolue. A présent il y a une sorte de paix, les gens se respectent mutuellement et respectent leurs différences. Certes, il y a maintenant d'autres et nouveaux problèmes liés à la situation avec les réfugiés. Il faut voir maintenant comment améliorer la vie des réfugiés, pour qu'ils puissent avoir un avenir. Ceux qui ont perdu leur famille, leur foyer, et leur travail, ceux-là ne peuvent pas retourner dans leur pays… Évidemment, le meilleur moyen de résoudre le problème est d'avoir la paix dans leurs pays, pour qu'ils puissent rentrer et y trouver leur vie… Mais jusqu'à ce qu'ils rentrent, nous devons les aider.

Ara Malikian during his concert in Sofia, Bulgaria. Photo by BG Sound Stage, used with permission.

Ara Malikian en concert. Photo présentée par BG Sound Stage, utilisée avec autorisation.

NB : Vous avez donné un concert de solidarité avec les Arméniens et en défense de ce que les Arméniens appellent une injustice historique. Quels sont les plus gros défis pour les Arméniens aujourd'hui ?

AM : Mes racines sont arméniennes, je parle I'arménien, et je joue aussi de la musique arménienne, je connais ma culture… Nous Arméniens essayons de persuader le monde de reconnaître le génocide, qui est oublié aujourd'hui. Nous essayons qu'il soit reconnu officiellement, pour corriger sa trace historique. Voilà ce que nous essayons de faire. Ce que nous ne devons pas faire aujourd'hui, c'est créer la haine contre les Turcs. Je crois que les Turcs aujourd'hui ne sont pas nos ennemis. Certes, il faut qu'ils reconnaissent le génocide, tous les crimes qui ont été commis. Mais je crois que pour le bien de nos relations, nous ne devons pas les voir comme nos ennemis, et nous devons les respecter. Nous devons nous efforcer de leur parler par un dialogue pour tâcher de résoudre le problème.

NB : Votre talent a éclos très jeune quand vous étiez enfant, avec la guerre au Liban en arrière-plan. Comment décririez-vous votre enfance ?

AM : Bien que mon enfance se soit déroulée pendant la guerre, j'en ai vraiment de bons souvenirs. J'avais des amis, je profitais de ma famille, de ma mère et mon père. Le seul malheur a été que mon enfance est restée très brève, parce que je suis allé en Allemagne [comme boursier au conservatoire]. Mais tel était mon destin : avoir une enfance brève, mais la vivre pleinement.

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