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Deux femmes importent le concept de bière artisanale au Kirghizistan

Catégories: Asie Centrale et Caucase, Kirghizistan, Arts et Culture, Femmes et genre, Idées, Jeunesse, Médias citoyens, Photographie
Photo by Ruslan Tokochev taken for Eurasianet. Reused with permission.

Photo par Ruslan Tokochev prise pour Eurasianet. Réutilisée avec autorisation.

Ce billet provient d'un partenariat [1] avec EurasiaNet.org [2]. Republié avec autorisation.

Dissimulé dans un endroit inattendu, tapi entre un club de domino fréquenté par des Turcs et un immeuble de logements construit par les soviétiques, se trouve un joyau pour les amateurs de bières de la ville de Bichkek, la capitale du Kirghizistan.

Save the Ales (Sauvons les bières), une microbrasserie fondée par un duo kirghize-kazakh, Aïda Musulmankulova et Arzu Kurbanova, semble à première vue petite et austère. Mais ce qui se passe dans la culture de la consommation de bière de Bichkek n'est pas moins qu'une révolution. Alors que d'insipides bières importées et les brassages locaux peu savoureux sont la norme, Save the Ales propose ses propres moutures artisanales, imitant une tendance profondément ancrée aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

« Partout où nous avons voyagé, nous avons toujours goûté de la bonne bière », dit  Musulmankulova.

Il y a trois ans environ, sa partenaire, Kurbanova, et elle-même ont décidé de plonger dans l'aventure.

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Photo par Ruslan Tokochev prise pour Eurasianet. Réutilisée avec autorisation.

« Nous avons décidé de brasser nous-mêmes. Nous avons tout appris sur Internet. Ce n'était pas aussi difficile que nous le pensions ».

Les bières artisanales s'avèrent plus expérimentales que les classiques bières européennes et sont brassées dans des petits tonneaux plutôt que dans des fûts, comme la traditionnelle ale britannique. Mais ce n'est pas donné. Save the Ales demande un exorbitant 2,80 dollars par verre, une somme largement au-dessus des moyens des gens excluant la population croissante d'urbains et d'expatriés de Bichkek, ciblée par le duo.

Musulmankulova et Kurbanova précisent qu'elles réinvestissent tous les profits dans le développement de leur jeune entreprise.

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Le bar a connu des hauts et des bas. Save the Ales a d'abord ouvert ses portes en mai, gagnant de nombreux partisans, mais a fermé pour une période d'un mois environ en septembre, à cause d'un défaut électrique. Les fidèles passionnés de l’India Pale Ale, de la stout et des bières parfumées aux fruits du duo ont finalement pu retrouver leur bar en octobre.

Une attention particulière est mise sur l'authenticité à la microbrasserie Save the Ales. Bichkek ne manque pas de ces pubs nouveau genre sans caractère et qui s'efforcent le plus souvent d'attirer les consommateurs avec des écrans de télévision géants et de la musique trop forte.

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En affaires, la bière artisanale s'avère un excellent marché. Selon la US Brewers Association [3], la valeur en dollars de la vente au détail de ce secteur était estimée à 22,3 milliards en 2015, représentant environ le cinquième du marché américain de la bière.

La bière devient de plus en plus populaire au Kirghizistan, mais les consommateurs ont tendance à croire le vieil adage russe voulant que « la bière sans vodka est de l'argent jeté par les fenêtres ». La part de marché des bières artisanales est statistiquement insignifiante, mais la mission de Save the Ales, où la bière est brassée sur place, est pour l'instant de développer tranquillement des saveurs et des habitudes plus raffinées. Au contraire des autres bars de Bichkek, Save the Ales ne servait pas à manger jusqu'à ce qu'il se décide tout récemment de fournir des petites bouchées.

Kurbanova et Musulmankulova mentionnent que plus de la moitié de leurs ventes se font aux expatriés, bien que le nombre de jeunes buveurs urbains de classe moyenne soit en hausse. Et le contingent de baikes – un terme signifiant « frère aîné » en kirghize aussi synonyme d'homme corpulent d'âge moyen – grimpe en flèche.

« Je me souviens qu'un jour un type est entré dans le pub », dit Sumsarbek Mamyraliev, propriétaire d'un studio de production et ami des deux brasseuses. « Il a dit : ‘Donne-moi une bière. Où est le chachlik ? Où est le chechel [fromage fumé] ? Où sont les propriétaires ? Comment vos maris vous laissent-ils brasser de la bière ? Ça ne marchera jamais !’ »

Quand le nouveau client a goûté à la bière, cependant, « son attitude a changé complètement », se rappelle Mamyraliev.

« C'était le genre patriarche avec une chaîne en or. Il a dit ‘Les filles, vous mettez tous les hommes du Kirghizistan dans la honte. Si jamais vous éprouvez des problèmes avec quiconque, appelez-moi.’ »

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Musulmankulova et Kurbanova n'éprouvent toutefois aucun problème à embaucher des employés masculins, pour la raison notamment que le brassage peut parfois s'avérer exigeant au niveau physique.

«Nos amis nous ont dit de persévérer quand on a commencé », a mentionné Kurbanova à EurasiaNet.org. « Alors, quand on a publié sur Facebook que nous avions besoin d'aide, nous avons demandé une “pomochnitsa” (une assistante femme), ce qui a causé tout un émoi. »

Mamyraliev soutient que le succès de leur petite microbrasserie provient d'une culture émergente de jeunes entreprises au Kirghizistan, qui représente la société civile la plus dynamique de l'Asie centrale. Selon l'index Doing Business de la Banque mondiale, le Kirghizistan est le pays de la région où il est le plus facile d'enregistrer une création d'entreprise.

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Alan Laing, un client britannique travaillant dans le développement international, est d'accord pour admettre que le pub est un véritable « bijou caché ».

« Il n'y a aucun bar équivalent dans Bichkek », affirme-t-il, en faisant référence aux divers pubs de la ville. « [Save the Ales] pourrait se trouver à Brooklyn ou à Shoreditch (à Londres) avant que ces quartiers ne deviennent très chic. C'est simple, peu exigeant et entièrement dédié à la bière.»

Kurbanova attribue la popularité de leurs bières à une approche élargie du brassage. En effet, elles n'hésitent pas à importer des ingrédients de l'Allemagne ou des États-Unis, à l'opposé de l'attitude typique de réduction des coûts des autres brasseries.

Elles ont donc reçu maintes invitations pour servir de la bière dans des festivals d'art et des soirées musicales, invitations que le duo a acceptées, ainsi qu'à des offres de compétiteurs admiratifs pour acheter leur bière ou même leur compagnie. Jusqu'à maintenant, elles ont résisté à de telles opportunités.

« Ils viennent chez nous et nous disent, nous voulons voir votre bière dans notre restaurant », a dit Kurbanova à EurasiaNet.org. « Nous leur disons de rejoindre la file d'attente ».

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