Le Venezuela retient son souffle dans l'attente de la suite depuis que le Tribunal Suprême de Justice assume les fonctions de l'assemblée nationale et a habilité le président Nicolás Maduro à reprendre certaines fonctions législatives propres de cet organisme
Selon le déluge d'opinions dans les médias en ligne qui ont permis au sujet d'avoir un écho mondial, ce qui s'est passé n'est ni plus ni moins qu'un auto-coup d'Etat, la dernière étape dans la progression de l'autoritarisme né des deux dernières années de crise politique et institutionnelle au Venezuela. Comme le décrit secrétaire général de l'OEA, Luis Almagro :
I denounce the self-inflicted coup d’état perpetrated by the Venezuelan regime against National Assembly #Venezuela [2]https://t.co/uxZMNaqz9u [3]
— Luis Almagro (@Almagro_OEA2015) March 30, 2017 [4]
Je dénonce l'auto coup d'Etat perpétré par le régime vénézuélien contre l'assemblée nationale.
D'autres, comme le journaliste espagnol Antonio Maestre, ont tenté d'accuser l'opposition vénézuélienne d'avoir réclamé un coup d'Etat.
Yo diría que el golpe de estado es lo que está pidiendo la oposición. Se me ocurre. https://t.co/dXJCoSm8AG [5]
— Antonio Maestre (@AntonioMaestre) March 30, 2017 [6]
Je dirais que le coup d'Etat était ce que demandait l'opposition. C'est ce qu'il me semble.
La situation continue à évoluer rapidement. La procureure générale du Venezuela Luisa Ortega a déclaré par la suite [7] que l'invalidation de l'Assemblée Nationale était inconstitutionnelle, prenant ainsi le contre-pied du gouvernement. La télévision d’État a coupé la diffusion pendant son allocution.
L'estocade finale
L'invalidation du parlement est la dernière d'une série de restrictions aux pouvoirs de la représentation nationale depuis que l'opposition a gagné les élections de décembre 2015.
Juste avant que l'opposition prenne le contrôle des deux tiers de l'Assemblée Nationale le 6 janvier 2015, les députés chavistes sortants ont réussi à changer de façon irrégulière les magistrats du Tribunal Suprême de Justice. Le journaliste Eugenio Martínez se souvient que la majorité de ces nouveaux magistrats ne remplissaient pas les prérequis pour ce poste.
21 de los 32 magistrados del TSJ no cumplen con los requisitos
constitucionales y legales para ocupar estos cargos #EnNúmeros [8]— Eugenio G. Martínez (@puzkas) March 30, 2017 [9]
21 des 32 magistrats du TSJ ne remplissent pas les prérequis constitutionnels et légaux pour occuper ces postes
Certains magistrats de la cour suprême du pays étaient avant leur nomination des militants du Parti Socialiste Unifié du Venezuela [10] au pouvoir, comme par exemple Calixto Ortega. Ainsi, il n'y a aucune garantie d'impartialité dans l'application de la justice.
C'est pour cela que quand le chavisme a perdu le contrôle de l'assemblée nationale, en janvier 2016, il a décidé d'en geler les pouvoirs depuis leur bastion du Tribunal Suprême de Justice. Une de ses premières décisions a été d'accuser l'assemblée d’ “outrage” en ignorant ses lois et éviter les interpellations et les enquêtes. Il a été jusqu'à bloquer les enquêtes de corruption que menait le député Freddy Guevara [11] sur le détournement de plus de 11 milliards de dollars.
Comme preuve de son encerclement de l'assemblée nationale, le Tribunal suprême de Justice a réduit le budget du parlement pour que les députés ne reçoivent plus de salaire. C'est ainsi queles députés ne touchent plus leur salaire d'à peine 38 dollars par mois [12], depuis plus de 10 mois.
Un calme tendu
Cependant, bien que les gens doivent gérer la vie quotidienne, sur les réseaux il y a eu beaucoup de commentaires sur le coup d’État du pouvoir exécutif et judiciaire contre le législatif.
Pour Emilia Lobo, twitteuse et avocate, cette décision est juste la formalisation d'un processus qui était déjà en marche depuis que l'opposition a commencé à devenir majoritaire dans le pays.
La sentencia #156 del TSJ no es un Golpe de Estado, es la declaratoria formal del golpe q tiene 4 años en ejecución.
— Emilia Lobo Quintero (@emilialoboq) March 30, 2017 [13]
Le jugement N°156 du TSJ n'est pas un coup d’État, c'est la déclaration formelle que le coup d'Etat se déploie depuis 4 ans
Le député Luis Florido a argué que le coup d’État est une décision hâtive et désespérée désespérée du gouvernement affaibli de Maduro :
Dictadura de Maduro lanza Golpe de Estado porque sabe que se encuentra en sus momentos finales y no puede rehusarse a una salida electoral
— Luis Florido (@LuisFlorido) March 30, 2017 [14]
La dictature de Maduro a lancé un coup d’État parce qu'elle sait qu'elle se trouve dans ses derniers moments et qu'elle ne peut pas refuser une sortie électorale
Pour Nathaly Quiroga, il n'y a pas de doute qu'il s'agit d'un coup d'Etat :
El que dude que en Venezuela se produjo hoy un golpe de Estado es muy ignorante, desconocedor de la constitución de nuestro país!!!
— Nathaly G Quiroga C (@NathyGQuirogaC) March 30, 2017 [15]
Celui qui doute qu'au Venezuela il s'est produit aujourd'hui un coup d’État est un ignorant, et ne connaît pas la constitution de notre pays!!!
Víctorá Márquez, professeur d'université, a rappelé d'autres cas de dictateurs en Amérique Latine qui ont éliminé leurs parlements :
Stroessner en Paraguay, Costa e Silva en Brasil, Fujimori en Perú y Maduro han disuelto parlamento Amanecimos con un Golpe de Estado!
— Victor Marquez Corao (@marquezcvm) March 30, 2017 [16]
Stroessner au Paraguay, Costa e Silva au Brésil, Fujimori au Pérou et Maduro ont dissout le parlement. Nous nous réveillons avec un coup d’État !
Et Nakira a utilisé le mème humoristique du mois pour expliquer pourquoi il était intelligent de faire un coup d’État un jours de paye :
Si das golpe de estado un fin de semana de quincena, la gente se bebe los reales y ya el lunes nadie se acuerda de nada. pic.twitter.com/Nw9T9PL8d2 [17]
— Nakira Bozickovic? (@nakirab) March 30, 2017 [18]
Si tu fais un coup d’État le week-end autour du 15, les gens boivent la paie et déjà le lundi, personne ne se souvient de rien.
Par ailleurs, certains se sont étonnés de l'apparente passivité avec laquelle le pays, en dehors des réseaux sociaux, a reçu la nouvelle :
Sigo sin creer que estemos frente a un golpe de estado y el país simplemente este en calma y los políticos echándose aire en las bolas
— Riccardo Polito (@rspolito) March 30, 2017 [19]
Je continue à ne pas croire que nous soyons face à un coup d’État et que le pays soit juste si calme et les politiques restent à ne rien faire
Nunca en mi vida llegué a pensar que un Golpe de Estado tuviera la quietud y la calma de éste que vivimos actualmente en Vzla,
— JOSE LUIS RODRIGUEZ (@joseluisrocas) March 30, 2017 [20]
Je n'aurais jamais pensé qu'un coup d’État soit aussi tranquille et calme comme celui que nous vivons actuellement au Venezuela
D'autres, comme l'historien et rédacteur en chef adjoint du journal El Nacional, [21] ont critiqué ce calme :
Pareciera que vamos a contemplar en silencio la clausura de la AN. Deplorable, si así sucede.
— Elías Pino Iturrieta (@eliaspino) March 30, 2017 [22]
Il semble que nous allons regarder en silence la fermeture de l'AN. Déplorable si c'est ainsi.
Les nouvelles attributions du président
Les dernières décisions du Tribunal Suprême de Justice sont de deux ordres : ordonner au président Nicolás Maduro de légiférer sur différents sujets, même en droit pénal, pour éviter un “état de troubles” au Venezuela. Le second ordre a été de s'octroyer tous les pouvoirs sous couvert de l’ “outrage” déclaré de la branche législative.
Naky Soto, dans son résumé quotidien pour Caracas Chronicles [23], s'est référée aux attributions données à Maduro :
Le Tribunal Suprême de Justice a jugé que Nicolás devait revoir plusieurs lois pour éviter les risques qui pourraient mettre en danger la stabilité et la gouvernance du pays, y compris l'évaluation de la performance des organisations internationales dont le Venezuela est membre.
Le Tribunal Suprême souligne la possibilité de réévaluer si le Venezuela se maintiendra dans les organismes internationaux, puisque toute décision ou critique portant sur le Venezuela dans les forums mondiaux est interprétée par le gouvernement Maduro comme un acte d'ingérence étrangère [24]. De cette façon, le Venezuela s'est peu à peu isolé dans les endroits où on lui reproche le non-respect continu des droits civils des Vénézuéliens, comme la suspension des élections en 2016 [25], l'existence de dizaines de prisonniers politiques [26], ou les plus de 14 mois d'”état d'urgence” qui ont permis à Nicolás Maduro de gérer seul le budget du pays sans rendre de comptes au parlement.
Ceci ne signifie pas que le Venezuela est isolé. Dans des institutions comme l'Organisation des États Américains (OEA), il compte encore sur le soutien de pays qui ont profité de sa politique pétrolière et des cadeaux faits par Hugo Chávez et Nicolás Maduro, ou l'indifférence des pays qui ne souhaitent pas entrer dans un conflit régional. C'est ce qui permet de douter que le Venezuela puisse se voir appliquer la Charte Démocratique Interaméricaine de l'OEA [27], ce qui l'empêcherait d'être membre de cet organisme. Lors de l'assemblée extraordinaire du 29 mars, 20 pays ont approuvé un examen de la situation du Venezuela, mais il faut 24 votes pour poursuivre la procédure.
D'un autre côté, le premier pays de la région qui a condamné les derniers événements [28]a été le Pérou, qui a décidé de rappeler son ambassadeur au Venezuela en signe de protestation.
Les organisations des Droits de l'Homme comme PROVEA n'hésitent pas à déclarer que le Venezuela est une dictature, et ce depuis octobre 2016 quand le gouvernement a empêché la tenue des élections. Dès avant l'invalidation de l'assemblée nationale, PROVEA qualifiait la situation de démocratie compromise sur la voie de la dictature.
TSJ extingue definitivamente Estado de Derecho y consolida #DictaduraEnVenezuela [29] al despojar de facultades a AN https://t.co/FEHpBy3DSB [30]
— PROVEA (@_Provea) March 30, 2017 [31]
Le TSJ annule définitivement l'Etat de droit et consolide la dictature (#DictaduraEnVenezuela [29]) en privant de pouvoir l'AN
Le Centre des droits de l'homme de l'université catholique Andrés Bello, Espacio Público et d'autres organisations non gouvernementales qualifient les actes de l'exécutif et du judiciaire de rupture de l'ordre constitutionnel.