La Hongrie légifère en urgence pour se débarrasser de l'Université d'Europe centrale

A la manifestation de soutien à l'Université d'Europe centrale de Budapest, en Hongrie. Photo: Gábor Ezra Tausz, utilisée avec autorisation.

(Article d'origine publié en anglais le 4 mars) Le gouvernement hongrois a fait voter mardi un amendement controversé à sa nouvelle loi sur l'enseignement supérieur. Un vote réalisé selon la procédure spéciale réclamée par le vice-premier ministre de Hongrie.

Selon l’Université d'Europe centrale* et ses sympathisants à travers le monde, cet amendement rendrait impossible à l'établissement d’enseignement la poursuite de son activité en Hongrie, où il est installé depuis 1993.

Les journalistes en Hongrie et ailleurs soutiennent que le but des législateurs est apparemment de forcer l'université à fermer.

L’amendement contraindrait l'Université d'Europe centrale (la CEU selon son acronyme en anglais) à ouvrir un campus à New York, où elle possède des statuts du Conseil des Régents de l'Université de État de New York, et à obtenir un accord bilatéral avec le gouvernement fédéral des États-Unis pour l'émission de diplômes tant américains que hongrois pour ses étudiants.

D'après une déclaration du gouvernement hongrois, l'objectif de l'amendement est que les universités étrangères en Hongrie “opèrent dans la légalité et la transparence en se conformant à la réglementation hongroise”. Le parti au pouvoir défend que la CEU bénéficie d'un avantage déloyal en distribuant des diplômes à la fois américains et hongrois.

L'exposé des motifs de l'amendement indique :

C'est probablement une bonne affaire pour George Soros, mais dans la concurrence entre universités cela représente un avantage déloyal.

A une conférence de presse tenue après le vote du parlement, les représentants de la CEU ont fait savoir que les statuts hongrois et américains de l'université ne pourraient pas fonctionner séparément :

Ce n'est ni possible, ni acceptable. Nous donnons à la fois des diplômes américains et des diplômes hongrois. Cela n'aurait aucun sens que l'université fonctionne sans la possibilité de diplômes américains, les étudiants ne viendraient tout simplement pas à l'université si elle ne donnait pas de diplômes américains.

Un projet de loi voté en urgence

Vendredi, le premier ministre hongrois Viktor Orbán déclarait, dans une interview à la radio publique :

Tricher c'est tricher, pour quiconque.

Selon Index.hu, Orbán faisait allusion aux accords bilatéraux désormais exigés pour les universités de pays en-dehors de l'OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Economique).

A la suite de l'interview, la CEU a aussitôt publié une déclaration démentant toutes allégations de “tricherie” et insistant qu'elle opère dans le cadre des lois hongroises depuis ses plus de 25 années d'existence à Budapest.

La semaine dernière, les adversaires du projet de texte disaient qu'il se réduisait à une attaque contre la liberté de l'enseignement. Sur Internet, les militants ont commencé à utiliser le hashtag #IStandWithCEU (Je suis avec la CEU), et les sympathisants ont créé le compte Twitter @StandWithCEU.

Uwe Puetter, directeur de la faculté d'administration publique de la CEU, a tweeté :

Nous sommes indissociables de la vie universitaire de la Hongrie. Cette loi nuit à la liberté universitaire en Hongrie et dans l'UE dit le Recteur

Andrew Stroehlein, directeur Médias européens de Human Rights Watch, a écrit :

La Hongrie : frappe et emprisonne les réfugiés ; attaque les médias indépendants ; attaque la société civile ; attaque les universités.

Au moment de la traduction de ce billet, il y avait plus de 50.600 signatures sur la pétition de Change.org intitulée “Sauvez l'Université d'Europe centrale” — déjà 25.000 de plus que l'objectif initial de la campagne. Les initiateurs écrivent dans l'exposé des motifs :

Nous, universitaires, étudiants et partisans d'un enseignement et d'une recherche scientifique libre et impartiale appellons l'Assemblée Nationale hongroise à abandonner la proposition de loi et à entamer des pourparlers avec la direction de la CEU permettant à leur issue à cette université prestigieuse de continuer sa fière contribution au discours scientifique de la Hongrie.

Dans un courriel adressé aux contacts de la CEU le 30 mars, le président et recteur Michael Ignatieff demandait le soutien :

C'est le moment de nous rassembler pour défendre notre institution et les principes de liberté universitaire. Nous vous prions de communiquer respectueusement avec vos parlementaires et autres représentants (un modèle de lettre est fourni ici), et de faire connaître publiquement votre soutien à la CEU, une institution d'enseignement supérieur fièrement hongroise et américaine, une université dont la liberté est en danger.

Le Dr Pawel Bukowski, un diplômé de la CEU, qui travaille actuellement comme économiste-chercheur à la  London School of Economics, a partagé la photo de sa lettre à un ministre hongrois. Photo: Facebook / Utilisée avec autorisation

De nombreux anciens de la CEU occupent des postes de haut niveau du secteur public à travers le monde, certains comptent même parmi les adhérents du parti politique au pouvoir en Hongrie. Son réseau de diplômés a permis à l'université de rapidement se faire entendre d'un public élargi.

La semaine dernière, lettres et courriels de soutien ont commencé à affluer, venant d’étudiants, d'universités, d'institutions académiques, de prix Nobel, de scientifiques, d'écrivains, du Département d’État américain, et même du comité de rédaction du Washington Post. L'université a publié la liste de ces déclarations ici.

Le maire de Vilnius, encore un diplômé de la CEU, a lui aussi écrit une lettre au recteur de l'école, invitant l'université à déménager en Lituanie. Elle a été suivie par l'invitation du maire de Slupsk en Pologne.

Dimanche des milliers de personnes se sont rassemblées à Budapest en soutien à l'Université d'Europe centrale. Des événements de solidarité organisés par des citoyens hongrois et des diplômés de la CEU ont eu lieu aussi devant les ambassades hongroises à Berlin et Londres.

La foule des manifestants devant l'Université d'Europe centrale à Budapest. Photo: Áron Halász. Utilisée avec permission.

Le site d'information Mandiner a partagé une vidéo accélérée de la foule à Budapest dimanche :

Et voici une visualisation en réseau décrivant les hashtags fréquemment mentionnés à côté de #istandwithCEU. Precognox a aussi publié un nuage de mots des hashtags les plus utilisés sur le sujet.

Nuage de mots des tweets sur la CEU, par Precognox. Utilisé avec permission.

Les Hongrois réclament le veto présidentiel

Le site d'information 444.hu a publié la liste des 123 députés, tous membres de la coalition au gouvernement, qui ont voté l'amendement.

Il y a aussi une manifestation devant les bâtiments du centre-ville de l'Université d'Europe centrale mardi après-midi, avec des prises de parole d'étudiants pour défendre leur université.

L'étudiante en études sur le nationalisme Luca László a dit :

Je vis dans un pays où les plus grands ennemis du gouvernement sont les ONG, les droits humains, les libertés universitaires et les gens qui fuient la guerre.

Elle a demandé au chef de l’État, János Áder, de ne pas signer l'amendement et de le renvoyer devant le parlement pour réexamen.

Chaîne de solidarité autour de la CEU

Daniel T. Berg, un autre étudiant de la CEU, a raconté l'histoire de sa mère, qui a fui la Hongrie dans les années 1970 cachée dans le coffre d'une voiture Trabant.

Faisant allusion à l'outil pro-gouvernement de suivi de l'opinion publique “Consultation Nationale“, Berg a dit :

Comme vous êtes nombreux à le savoir, le gouvernement a récemment lancé une consultation nationale demandant “Comment stopper Bruxelles ?” ma question est “Comment stopper Orbán ?”

Le blog Kettős Mérce (Double Standard) a publié les informations sur le déroulement de la journée. Après le rassemblement à la CEU, les manifestations ont marché juqu'au parlement voisin, et ont tenté d'y accrocher un drapeau de l'Union Européenne. Quelque 300 personnes se sont assises devant le bâtiment, face à un cordon de police.

Les blogueurs ont promis que le mouvement se poursuivrait mercredi et tout au long de la semaine.

Sur Facebook, des professeurs d'université hongrois ont commencé à promouvoir une grève. Tibor Bárány de l'Université de Technologie et d’Économie de Budapest a écrit qu'il cesserait complètement le travail jusqu'à ce que le parlement retire l'amendement, si les enseignants dans le pays et à l'étranger se joignaient à la grève.

* L’Open Society Institute, fondé par l'investisseur et philanthrope George Soros, soutient les projets éditoriaux de Global Voices, y compris RuNet Echo. L'organisation soutient également GV Advocacy, Rising Voices, le Réseau Technology for Transparency, notre cœur d'activités et nos rencontres-Sommets. George Soros est aussi le fondateur de l'Université d'Europe centrale. Figure controversée en beaucoup de lieux, Soros est célébré et vilipendé pour sa promotion de la démocratie à travers des organisations comme l'Open Society Institute.
L'auteur de cet article, en outre, a travaillé sur plusieurs projets financés par les fondations Open Society, et participé à l'organisation à Londres d'une manifestation contre l'amendement décrit dans le présent texte.

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