- Global Voices en Français - https://fr.globalvoices.org -

Des scientifiques du monde entier imaginent des solutions pour protéger le patrimoine antique syrien

Catégories: Afrique du Nord et Moyen-Orient, Océanie, Australie, Syrie, Arts et Culture, Guerre/Conflit, Histoire, Médias citoyens
Syria: Ancient History - Modern Conflict

Hagar, buste de femme avec inscription en syriaque, 150 après J.-C. (prêt du Mémorial de la Guerre d'Australie). Réplique de l'Arc de Triomphe de Palmyre : image de l'utilisateur Flickr GothPhil (CC BY-NC-ND 2.0)

Après six ans de guerre, difficile de ne pas imaginer un pays totalement en ruine le jour où la paix reviendra en Syrie. La reconstruction après le carnage et la dévastation semble une gageure dépassant l'imagination.

Mais en coulisses, les archéologues et autres scientifiques du monde entier s'activent pour sauver ce qui reste du patrimoine antique du pays.

Le commerce illégal d'antiquités est l'un des nombreux obstacles qui se posent à eux. Beaucoup des groupes impliqués dans la guerre civile syrienne ont fermé les yeux sur ce commerce, quand ils n'y ont pas pris part [1], notamment l'organisation Etat Islamique (E.I., Daech selon l'acronyme arabe) et le régime Assad. Il semble donc que trouver une solution à cette facette de la crise syrienne ne sera pas chose facile.

Loin de Syrie, une université cherche toutefois à proposer des solutions.

Le Ian Potter Museum of Art de l'Université de Melbourne accueille actuellement une exposition qui traite précisément de ce défi de la protection du patrimoine syrien. Syrie : Histoire ancienne – Conflit moderne [2] (سوريا: التاريخ القديم – الصراع الحديث) “explore trois décennies de travail de terrain mené en Syrie par l'Université de Melbourne dans le contexte de la guerre et de la destruction actuelles”.

Archaeological tools

Instruments d'archéologie. La photographie du haut est publiée avec l'autorisation d'Andrew Jamieson. Les photographies du bas sont celles de l'auteur.

L'exposition inclut, outre de nombreux objets, une collection d'instruments archéologiques et des appareils d'enregistrement, dont certains présentent une importance historique.

Dans une conférence publique du même nom, le Professeur Andrew Jamieson, maître de conférences en archéologie du Proche-Orient à l'Ecole d'Etudes Historiques et Philosophiques, est revenu sur les décennies de travail mené dans la vallée de l'Euphrate sur les sites d'El Qitar, Tell Ahmar, Jebel Khalid et Tell Qumlug.

University of Melbourne Fieldwork - Syria

Travail de terrain de l'Université de Melbourne, Syrie. Photographie de l'exposition prise par l'auteur.

Avant la guerre, Jamieson participait au travail des équipes œuvrant à la préservation des grandes collections qui existaient déjà. En 2010, une collaboration portant le nom de “Projet de recherche archéologique et historique syrien et australien” était mise en place pour établir une base de données au château de Qal'at Najm [3] en Syrie. Jamieson a souligné, dans sa conférence, l'importance vitale de produire des documents en arabe.

View of Qal'at Najm from the south [4]

Vue sud de Qal'at Najm. Photographie de Hovalp via Wikipédia. CC BY-SA 2.0

Il a aussi évoqué le travail de SHIRĪN [5], un organisme international dont l'objectif est de conserver et de protéger les sites, monuments et musées syriens. Formée en 2014, cette organisation cherche à documenter et à évaluer les dégâts qui lui sont déclarés. Certains chercheurs s'inquiétaient du peu d'efforts fournis malgré l'existence de 140 permis de fouilles étrangers en circulation avant le début du conflit.

Le Professeur Jamieson a souligné qu'il était crucial que les détenteurs de permis restent en activité. Les tâches comme la rémunération des gardiens de ces sites, par exemple, lorsque c'est possible, constituent “une dernière ligne de défense”.

Dans un exposé présenté à TEDxBern en 2016, Cynthia Dunning Thierstein, Mohamad Fakhro et Mohamed Alkhalid ont aussi souligné les efforts faits par SHIRĪN. Ils ont expliqué à quel point ce travail est important pour la dignité et l'identité culturelle des Syriens :

Défis, solutions et controverses

Les défis sont considérables : la destruction délibérée des monuments par l'EI, largement médiatisée ; le pillage généralisé, par différents groupes, à destination du marché mondial ; les dégâts collatéraux causés par l'artillerie et les bombardements du régime Assad ou des rebelles ; ou encore la simple et inéluctable négligence.

Certaines des solutions proposées sont loin de faire l'unanimité et l'archéologie numérique est un sujet central. Par exemple, la réplique de l'Arc de Triomphe de Palmyre [6] érigée à Londres en 2016 a soulevé quelques inquiétudes. D'après le Professeur Jamieson, certains s'interrogent sur le fait que les fouilles pourraient devenir un futur “Disneyland numérique” si des répliques sont construites sur les sites d'origine.

Cette vidéo diffusée par The Guardian aborde certains de ces problèmes. Le personnel ayant travaillé pour les concepteurs de la réplique à l’Institut d'Archéologie Numérique [7] considèrent que :

We should not allow hostile groups of any kind to define the apparent cultural background of a nation, a country, of any kind of site. […] It's not really a matter of whether or not we should copy. It's really a question of how do we copy.

Nous ne pouvons pas permettre à des groupes hostiles de définir l'appartenance culturelle à une nation, à un pays, de quelque site que ce soit. […] La question n'est pas vraiment de savoir si nous devons où non concevoir des répliques. La question est de savoir à quoi doivent ressembler ces répliques.

S'exprimant après l'une des reconquêtes de Palmyre par l'EI, Emma Cunliffe, de l'Université d'Oxford, explore certaines de ces problématiques pour le site d'analyse de l'actualité The Conversation [8] :

But many argue that 3D printing fails to capture the authenticity of the original structures, amounting to little more than the Disneyfication of heritage. They also point out that the fighting is still ongoing: 370,000 Syrians are dead, millions are displaced, and perhaps 50%-70% of the nearby town has been destroyed. Given the pressing humanitarian needs, stabilisation alone should be the priority for now.

Beaucoup considèrent que l'impression en 3D ne reflète pas l'authenticité des structures initiales et que cela revient à une disneyification du patrimoine. Ils soulignent également que les combats se poursuivent : 370 000 Syriens sont morts, des millions ont été déplacés, et sans doute 50 % ou 70 % des villes environnantes ont été détruites. Étant donné les besoins humanitaires pressants, la priorité doit actuellement être donnée à la stabilisation de la situation.

Le rôle et les responsabilités des archéologues faisaient partie des thèmes abordés par le Professeur Jamieson, qui a proposé la mise en place d'une charte éthique afin de faire avancer les choses.

Ceci est d'autant plus important si l'on tient compte des risques encourus par les archéologues syriens. La mort du célèbre archéologue Khaled al-Asaad assassiné par l'EI en 2015 a suscité une énorme tristesse dans la communauté. Al-Asaad a été exécuté parce qu'il aurait refusé de divulguer la localisation des objets déplacés pour être protégés.

Pour terminer, difficile de ne pas être d'accord avec ce qu'Emma Cunliffe conclut [8] sur Palmyre, et qui s'applique au reste de la Syrie :

One thing is clear: while Palmyra may hold great significance to the world, the final decision should belong to those who have lived alongside it, cared for it, managed it, fought for it, and protected it for generations: the Syrian people.

Une chose est sûre : Palmyre est importante pour le monde entier, mais la décision finale devrait appartenir à ceux qui ont vécu à ses côtés, se sont occupés d'elle, l'ont administrée, se sont battus pour elle, et l'ont protégée des générations durant : le peuple syrien.