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La Turquie vote aujourd'hui : quels sont les enjeux du référendum ?

Catégories: Censure, Élections, Guerre/Conflit, Liberté d'expression, Média et journalisme, Médias citoyens, Politique

Erdogan. Image Image Pixabay [1]. Domaine public.

La dernière fois qu'il y a eu un référendum en Turquie, c'était il y a sept ans, et tous les changements furent approuvés. Mais aujourd'hui, pour le septième référendum de son histoire, le pays est plus nettement divisé, et le butin incomparablement plus gros.

Le Président Recep Tayyip Erdogan, depuis une quinzaine d'années l'homme politique dominant du pays, a consolidé son pouvoir, s'est débarrassé des contrôles et rivaux dans les tribunaux et le gouvernement, et a lancé une répression sans précédent qui touche pratiquement toutes les sphères de la vie publique à la suite du coup d’État manqué de juillet 2016.

Pourtant, aux yeux des Turcs qui votent aujourd'hui ‘Oui’, Erdogan est l'homme qui a repoussé l'influence insidieuse de l'armée sur la politique intérieure, le protecteur des musulmans pieux et le visage de la marque ‘Nouvelle Turquie’ qu'il a proclamée en 2014.

Ses opposants quant à eux voient dans une victoire du ‘Oui’ au référendum d'aujourd'hui une sorte d'apocalypse.

Qu'est-ce qui changerait ?

Selon les 18 amendements proposés à la constitution, en cas de ‘Oui’, la Turquie cesserait d'être une république parlementaire et deviendrait un régime présidentiel. Le Président Erdogan pourrait être candidat à la présidence en 2019, et si élu, pourrait rester au pouvoir jusqu'en 2029.

Les modifications donneraient aussi au nouveau président le pouvoir de dissoudre le parlement, nommer les ministres et autres hauts-fonctionnaires –
sans aucun contrôle — ainsi que la moitié de tous les magistrats supérieurs.

Le président pourrait aussi lancer des référendums, déclarer l'état d'urgence et publier des décrets ayant force de loi. Les partisans de la réforme et son parti Justice et Développement (AKP) défendent que cela accélèrera le processus de prise de décision dans le pays. La fonction de Premier Ministre, actuellement dotée des pouvoirs prééminents selon la constitution, disparaîtrait.

Peuple de Turquie le pouvoir est à toi. [Evet = Oui, Hayir = Non]

“L'histoire de la Turquie dit au monde la fragilité de la démocratie devant la démagogie populiste” – L'écrivaine turque Elif Safak

Demain matin nous nous réveillerons dans une nouvelle Turquie quel que soit le résultat nous serons comme ça (les votants du oui et du non côte à côte).

Pour #UnePatrie #UnDrapeau #UneNation #UnEtat [je vote] #OUI Rien ne sera plus pareil !

Si c'est le ‘Non’ qui l'emporte, les amendements proposés seront rejetés indéfiniment.

Des conditions de vote toxiques

La critique du scrutin ne se centre pas que sur son résultat potentiel, mais aussi sur le fait que la Turquie n'est simplement pas en situation de tenir un référendum en ce moment.

La fermeture de quelque 200 plates-formes de médias, l'emprisonnement de plus de 150 journalistes, [23]et l'intimidation de la société civile [24] par les purges consécutives au coup d’État avorté ont dramatiquement rétréci l'espace politique pour l'opposition à Erdogan.

Environ 71.000 personnes ont été interrogées à la suite de la tentative de putsch attribué au rival d'Erdogan Fethullah Gulen en exil aux Etats-Unis, et 41.000 mises en accusation selon le récent article [25] du New York Times sur le résultat des purges en Turquie. Les députés du parti pro-Kurde et pro-démocratie HDP ont été privés de leur immunité parlementaire et attendent leur procès.

Le seul individu qui jouit encore de la liberté de parole est Erdogan lui-même. Ces dernières semaines, les Turcs ont entendu leur président comparer les Allemands et les Néerlandais [26] aux Nazis, traiter les Pays-Bas de république bananière et réclamer des sanctions contre ce pays après une querelle baroque et inquiétante [27] sur le droit de son parti à mener campagne pour le ‘Oui’ dans les pays étrangers. Voter ‘Non’, a-t-il dit, équivaut à voter pour le terrorisme.

Nombreux sont les électeurs du ‘Non’ à craindre que quelle que soit la conclusion du scrutin, une nouvelle forme de terreur, dirigée par l'Etat, ne fasse que commencer.