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Repérer le cadrage des informations (Partie 2 de 2)

Catégories: Idées, Médias citoyens, NewsFrames
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“Oreilles d'éléphant.” par Flickr utilisateur Brittany H. Photo prise en Décembre 2010 (CC BY-NC-2.0)

Dans l'article précédent, j'ai expliqué en quoi le cadrage des informations est important, [2] et donné une définition générale : “le cadrage s'articule sur la manière de présenter l'information pour la rendre signifiante et compréhensible aux lecteurs.” J'ai aussi souligné que le cadrage est une notion complexe qui est abordée sous diverses formes.

Dans cet article mon objectif est de vous éclairer en partageant quelques méthodes de repérage du cadre. Les exemples suivants proviennent des divers domaines de recherche qui ont étudié la question de l'interprétation. Cadrer, c'est :

Pas seulement à quoi penser, mais comment y penser (la théorie de la communication)

Notre premier article sur le cadrage [2] a suggéré quelques pistes d'appréhension du “comment,”répétons-les donc ici :

  • Comment le récit définit le problème ? (ou “détermine l'action d'un agent causal avec quels coûts et avantages, usuellement mesurés en termes de valeurs culturelles communes ?)
  • Comment le récit fait le diagnostic de la cause ? (quelles sont les “forces créant le problème”?)
  • En quoi le récit émet des jugements moraux ? (comment sont évaluées les causes premières et leurs effets?)
  • Comment le récit propose des solutions ? (comment l'article justifie des remèdes aux problèmes et/ou prédit les résultats probables ?).

Le champ des communications offre différents angles d'approche du cadrage. Le cadrage s'apparente à la théorie de la “mise sur agenda” (“agenda-setting). Autrement dit : les médias ne nous disent pas seulement que penser, ils nous disent aussi comment penser à ces choses.

Certains considèrent que “comment y penser” est une forme un peu moins immédiate, ou au second degré de mise sur agenda, par rapport au “à quoi penser”. Dans cette vision, le cadrage traite des attributs d'un sujet, ou des caractérisations qui façonnent l'interprétation.

D'autres pensent que le “comment” doit être distingué de la mise sur agenda. Le cadrage ne relève donc pas de l’accessibilité d'un sujet (par ex. combien de fois il est abordé dans le fil d'information ou la conversation) mais de sa pertinence — la façon dont sa compréhension de l'information nouvelle dépend de sa vision du monde existante.[1]

“Ce qui est vrai, pourquoi c'est vrai et comment communiquer ce qui doit être dit à haute voix en public chaque jour” (la linguistique cognitive)

Étudier le cadrage avec une approche linguistique, c'est réfléchir à :

L'approche du cadrage par les linguistes considère la relation des mots à des dimensions plus vastes, comme l'éthique, la politique, ou la morale. Plus fondamentalement, selon George Lakoff, “un cadre est une structure conceptuelle utilisée dans la pensée permettant aux humains de comprendre la réalité — et parfois de créer ce que nous prenons pour la réalité”.

La célèbre injonction de Lakoff : ne pensez pas à un éléphant [6] aide à démonter cette structure conceptuelle. Nier l'éléphant intègre aussi votre interlocuteur dans un monde avec des éléphants, et tous leurs merveilleux attributs (ridés, gris, trompe, gros !) parties intégrantes de la structure.

Dit autrement, vous avez pu consolider sans le vouloir un monde où les éléphants existent. Ce n'est sans doute pas problématique dans le cas des éléphants, mais pourrait l'être dans un débat d'idées. Un cadre fonctionne de façon similaire, puisqu'il définit ce qui est pertinent ou signifiant d'une manière qui crée une cohérence et est parfois malaisée à voir.

Comme vous pouvez imaginer, le langage est ici très important — surtout dans les situations complexes. “Chaque mot s'accompagne d'un ou plusieurs cadres”, l'attention aux mots et métaphores employées dans les articles d'information est importante pour comprendre les possibles tentatives pour guider la perception.[2]

Pas seulement les conflits, aussi les autres dispositifs narratifs (le journalisme)

L'étude Project for Excellence in Journalism propose treize catégories de cadres, parmi lesquels des points de vue de :

  • Conflit : centrage sur le conflit inhérent à la situation ou qui couve entre les protagonistes
  • Consensus : accent mis sur les points d'accord autour d'une question ou événement
  • Conjecture : centrage sur des conjectures ou spéculations sur ce qui est à venir ; le processus
  • Méfaits révélés : dévoilement de méfaits ou d'injustices
  • Portrait de personnalité : portrait de la personne qui fait l'actualité [Étude complète>> [7]]

Les modèles décrits ci-dessus aident à considérer le cadrage des informations aussi bien à un niveau général à travers une série d'histoires, qu'à un niveau individuel.

À ce second niveau, un cadre peut être un dispositif narratif pour composer un récit. Un outil commun du journalisme est de présenter une histoire en termes de lutte ou de conflit bien que, comme l'a démontrée une étude de 1998 intitulée Project for Excellence in Journalism [Projet pour l'excellence dans le journalisme, en anglais] [7], il en existe d'autres (voir encadré).

En 2005, un article de Poynter [8]réfléchissait sur les cadres appliqués en particulier aux récits sur la diversité. Il notait qu'effectivement, le conflit est l'un des cadres utilisés, mais qu'il existait d'autres façons de traiter du sujet, telles que la désorientation, l’identité, la création, la généralisation et le rapprochement.

[9]

Le viaduc de Bloor Street, Don Sec. Arch From A. to E., 26 juin 1916 par Collections spéciales de la Bibliothèque publique de Toronto (Domaine Public et CC BY-SA 2.0 sur Flickr).

Aussi présenter le passé de façon signifiante (l'histoire)

Les cinq “C” de la pensée historique :

  • Le Changement :  à quel point les choses ont-elles changé ou sont-elles restées identiques ? Comparez par exemple le monde ancien des Mayas et le monde actuel.
  • Le Contexte : “Comment présenter le passé pour qu'il émerge comme quelque chose de plus qu'une version décolorée du présent ?” Le contexte est pratique pour s'assurer que le passé reste étrange. [3]
  • La Causalité : quelle est la cause de cet événement ? Par exemple, les attitudes racistes et les motivations des ouvriers blancs ont-ils causé les émeutes anti-Chinois de Vancouver en 1887 ? Oui, mais [10].
  • La Contingence : l'événement devait-il survenir, ou aurait-il pu être empêché ? Pour réfléchir à la façon dont la contingence fonctionne, considérez ce qui aurait pu se passer si “le général Lee avait gagné la bataille de Gettysburg, si Gore avait remporté la Floride, ou si la Chine avait inauguré la première révolution industrielle du monde. [11]
  • La Complexité : l'histoire, hier comme aujourd'hui, est embrouillée — le récit est-il suffisamment complexe ? Votre connaissance de l'Afrique entre les XVIe et XIXe siècles va-t-elle au-delà de la simple chronique, nostalgie, ou “d'autres pièges qui obscurcissent notre capacité à comprendre le passé en ses propres termes ?” [4]

Où commence et où se termine l'information ? Vous pouvez réduire une narration à une chaîne de faits et de dates, mais la décision d'inclure tels faits et telles dates implique malgré tout une interprétation. Les historiens ont plusieurs façons d'essayer de rendre le passé compréhensible, et les implications historiques, le contexte et la rhétorique supposent tous les mêmes considérations de cadrage.

La structure des récits historiques est plus facile à discerner quand il existe des récits concurrents, ou quand les historiens ne sont pas entièrement d'accord les uns avec les autres. Prenez ces questions à propos du passé : quand l'Antiquité s'est-elle terminée ? ou bien qu'est-ce qui a causé la Première Guerre mondiale ?

Si vous tentez de répondre à de grandes questions comme celles-ci, vous vous débattrez vraisemblablement avec des concepts appelés les “cinq C de la pensée historique [11]” : le changement, le contexte, la causalité, la contingence et la complexité. La pensée historique implique ces éléments d'interprétation.

Pour se faire une meilleure idée des autres problématiques, plus profondes ou plus générales, à l’œuvre en histoire, vous pouvez consulter le livre de Hayden White Metahistory [12] : il creuse l'univers des métaphores, de la tragédie et des autres mécanismes utilisés dans l'élaboration des récits historiques.

En résumé, le cadrage, c'est compliqué

Nous avons couvert un certain nombre de façons d'analyser les cadrages et l'interprétation, mais il en existe d'autres. Décrire le monde est difficile, il est donc normal qu'il n'y ait pas de manière unique ou simple d'aborder le cadrage. Il est aussi normal que lorsqu'il s'agit de problèmes qui affectent le public, des conflits d'opinions surgissent quant à ce qu'il est essentiel d'inclure, ou à la façon de caractériser le problème en question. C'est la raison pour laquelle l'engagement d'un journaliste envers l'honnêteté et les autres standards de l'éthique sont si importants. [5]

Quels autres outils ou approches peuvent aider les lecteurs et les auteurs à voir le cadrage ? Donnez-nous votre avis !

En plus des liens insérés dans cet article, les références incluent :
[1] “The media not only can be successful in telling us what to think about, they also can be successful in telling us how to think about it,” Maxwell McCombs, “A Look at Agenda-Setting: Past, Present and Future,” Journalism Studies 6, no. 4 (November 1, 2005): 543–57, doi:10.1080/14616700500250438. Ce paragraphe inclut également des références à Dietram A. Scheufele and David Tewksbury, “Framing, Agenda Setting, and Priming: The Evolution of Three Media Effects Models,” Journal of Communication 57, no. 1 (March 1, 2007): 9–20, doi:10.1111/j.0021-9916.2007.00326.x; Robert M. Entman, “Framing: Toward Clarification of a Fractured Paradigm,” Journal of Communication 43, no. 4 (December 1, 1993): 51–58, doi:10.1111/j.1460-2466.1993.tb01304.x.
[2] “What is right…” voir George Lakoff, “New Book! – The ALL NEW Don’t Think of an Elephant! Know Your Values and Frame the Debate,” site internet de George Lakoff, 18 août, 2014, https://georgelakoff.com/2014/08/18/new-book-the-all-new-dont-think-of-an-elephant-know-your-values-and-frame-the-debate/. Citations supplémentaires de George Lakoff, “Simple Framing — Rockridge Institute,” Rockridge Institute, February 14, 2006, https://web.archive.org/web/20081025211152/http://www.rockridgeinstitute.org/projects/strategic/simple_framing.html; Rockridge Institute, “Frames and Framing,” July 26, 2007, https://web.archive.org/web/20080919203324/http://www.rockridgeinstitute.org/aboutus/frames-and-framing.1.html; George Lakoff, The ALL NEW Don’t Think of an Elephant!: Know Your Values and Frame the Debate (Chelsea Green Publishing, 2014).
[3] Sam Wineburg, Historical Thinking and Other Unnatural Acts: Charting the Future of Teaching the Past (Philadelphia: Temple University Press, 2001).
[4] Thomas Andrews and Flannery Burke, “What Does It Mean to Think Historically?,” Perspectives on History: Newsmagazine of the American Historical Association, January 2007, https://www.historians.org/publications-and-directories/perspectives-on-history/january-2007/what-does-it-mean-to-think-historically.
[5] Global Voices, par exemple, possède un code éditorial [13] basé sur celui de la Society of Professional Journalists [14] qui vous informe de notre engagement envers l'exactitude, la minimisation des dommages et nos autres valeurs.