Artistes et écrivains honorent l'oeuvre du développeur syrien disparu Bassel Safadi

Bassel Safadi et sa femme Noura. Photo extraite de la page Facebook de Noura Ghazi Safadi.

Le développeur web palestinien-syrien Bassel Khartabil alias Bassel Safadi est porté disparu depuis plus d'un an déjà. Mais il n'est pas oublié. Plus de cinq ans après son arrestation par le régime syrien, ses amis et sa famille continuent à réclamer sa libération et à commémorer ses contributions au web open source.

L'édition 2017 de re:publica, le rassemblement annuel de la culture numérique à Berlin, a mis à son programme une session dédiée à la campagne #FreeBassel (Libérez Bassel).

Mélanie Dulong de Rosnay, une chercheuse du CNRS français à l'Institut des Sciences de la Communication, et Barbara Rühling, la PDG de Book Sprints, une société de production et d'édition de livres rapides collectifs, ont lu des extraits du livre Cost of Freedom: A Collective Inquiry (‘Le Prix de la liberté : une enquête collective’, non traduit)

Ce livre, publié l'an dernier et disponible dans le domaine public, consiste en une série d'essais de réflexion sur la culture libre face à l'oppression. C'est un tribut à Bassel et à son travail. Voici ce que dit son introduction :

Ce livre se propose d'examiner comment les mouvements de libre diffusion des connaissances sont bâtis et les coûts réels qui leur sont liés. Militants, artistes, concepteurs, développeurs, chercheurs et écrivains impliqués dans les mouvements de libre diffusion des connaissances travaillent ensemble pour voir à travers le brouillard de nos fils d'informations et produire du sens à partir de nos expériences différentes. Ce livre est né d'une tentative de libérer Bassel Khartabil, le bénévole aimé et célébré de l'Internet, détenu en Syrie depuis le 15 mars 2012. Son nom a été rayé le 3 octobre 2015 du registre de la prison d'Adra où il était détenu. Depuis, nous n'avons reçu aucune information sur son statut ou sa localisation. La partie introductive de ce livre, sous le titre Mémoire Collective, donne voix à ses amis et sa famille qui réclament qu'il soit immédiatement relâché et rendu à son existence et à sa liberté normales. A voir Bassel payer au prix fort sa participation à la culture libre, beaucoup d'entre nous ont commencé à méditer sur leur propre sort, leurs propres actes et choix. Pourquoi sommes-nous ici aujourd'hui ? Qu'avons-nous choisi ? A quoi avons-nous renoncé dans ce processus de conviction parfois extrême ?

Le développeur web open source et activiste numérique est sous la garde des autorités gouvernementales syriennes depuis mars 2012. En octobre 2015, Bassel a été transféré de la prison d'Adra, un établissement civil, vers une destination non révélée. Sa femme, l'auteur et avocate Noura Ghazi, a relaté que “la police militaire a sorti Bassel de sa cellule d'Adra avec un ordre cacheté ‘top secret’ du Tribunal militaire spécial”.

Le 12 novembre 2015, raconte Noura Ghazi, elle a été contactée par des individus qui se sont identifiés comme des agents du gouvernement Assad et qui l'ont informée d'une supposée condamnation à mort de son mari. La localisation et l'état de celui-ci demeurent inconnus.

Responsable de Creative Commons en Syrie, et actif dans des projets comme Mozilla Firefox et Wikipédia, Bassel a joué un rôle central dans l'extension du savoir et de l'accès internet à tous en Syrie.

Barry Threw, un concepteur et technologue actuellement directeur par intérim de la Nouvelle Palmyre, un projet fondé par Bassel, écrit pages 10 et 11 du livre :

aucun des prototypes culturels de Bassel n'a peut-être été plus prescient que le travail qu'il a entrepris vers 2005, avec un collectif d'archéologues et d'artistes, de reconstruction virtuelle des ruines antiques de Palmyre. Un des sites archéologiques les plus importants du monde, Palmyre se trouvait au carrefour de plusieurs civilisations, les styles architecturaux gréco-romains s'y mélangeant aux traditions locales et aux influences perses. Bassel ne pouvait guère savoir que dix ans après ce début, les fondamentalistes de Daech détruiraient activement cette architecture incarnant le patrimoine culturel syrien et mondial. Mais son incursion dans l'archéologie et la préservation numériques ont créé une capsule temporelle qui sera inestimable pour le public, les chercheurs et les artistes des années à venir. Quelle tragédie que Bassel n'ait pas encore pu mener ce projet au bout.

Noura Ghazi a également contribué au livre, et écrit sur la passion de son mari de partager le savoir avec autrui, même depuis la prison :

J'ai passé ma vie à rêver de la Liberté, et Bassel m'a appris à la saisir. Cela me bouleverse de prononcer son nom. Bassel m'a enseigné la maîtrise de l'anglais, même pendant qu'il était en prison. J'ai appris à bien lire, écrire et parler l'anglais. Il a toujours partagé son savoir avec tous ceux qui le demandaient, et a aussi appris à beaucoup de prisonniers à lire, écrire et parler l'anglais. Bassel m'a ouvert les portes de l'informatique, il m'a appris à utiliser les ordinateurs et les smartphones. Il m'a appris l'Internet. Il a aussi enseigné aux autres détenus à utiliser les ordinateurs en théorie, sans en avoir sous la main.

Noura Ghazi est aussi l'auteur de Waiting (‘Attente’), un livre en prose écrit pour son mari entre 2012 et 2015, pendant qu'il était en prison. Bassel et Noura ont travaillé ensemble pendant un an à ce livre. Elle lui passait les textes en cachette quand elle le visitait, et il les traduisait de l'arabe en anglais. Le livre est disponible dans le domaine public.

Couverture du livre par Youssef Abdalki. Livre réalisé pour le domaine public.

Voici un extrait, intitulé “Cela arrive”, du livre de Noura :

Cela arrive à chaque visite

que je m'enfonce dans le monde de tes yeux magiques

Que je perde conscience pendant le moment où nous nous étreignons,

Que je ne me soucie d'aucun des dangers,

des barrières, chaînes et gardiens

j'oublie l'agitation de la prison

et pénètre dans chaque détail de ta voix et de tes paroles

que j'emporte passionnément avec moi,

quand tes yeux disent au revoir

et je laisse encore un morceau de mon âme avec toi…

Je retourne vite à ma solitude,

pour revivre tous les instants,

et pleurer ton absence et ton sourire.

Je me persuade que tu reviendras bientôt…

Au premier anniversaire de l'emprisonnement de Bassel, Ghazi a écrit :

Une année passe, mon âme

Depuis

Je suis dans ta cage,

Et tu es toujours

Dans la cage des monstres

L'histoire de Bassel n'est pas unique en Syrie. Depuis le début de la contestation contre le régime de Bachar al-Assad en 2011, plus de 65.000 personnes ont disparu, selon le Réseau syrien pour les Droits de l'homme.

Ceux qui ont été arrêtés ou “disparus de force” par le régime ont été torturés voire exécutés. A la fin de 2016, au moins 17.723 Syriens étaient morts en détention depuis 2011, selon les chiffres d’Amnesty International. Le sort de beaucoup d'autres reste inconnu.

Global Voices appelle à la libération de Bassel depuis 2012. Nous réitérons aujourd'hui notre appel dans l'espoir que cette fois soit la dernière.

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