Cet article d’Arthur Nazaryan, initialement publié sur PRI.org le 1 avril 2017, est repris ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices.
Il y a seulement deux ans, Liban Adam se trouvait dans la savane du nord de la Somalie, accroupi devant un immense seau rempli de lait de chamelle. L'éleveur qui le lui avait donné regardait amusé, à l'arrière, ce jeune homme de 24 ans qui goûtait timidement ce liquide aigre pour la première fois de sa vie.
Plus de 20 000 personnes ont aussi vu ce moment depuis qu'Adam en a publié une vidéo de quarante secondes sur Facebook, une parmi les nombreuses autres que cet acteur social engagé a publié durant son voyage de six semaines en Somalie. Elles ont capté l'attention de milliers de followers somaliens vivant hors de leur pays, et ont assis sa notoriété sur les réseaux sociaux.
Maintenant, Adam profite de cette audience pour promouvoir les soutiens à la Somalie, pays qui se trouve au bord de la famine et où, selon les Nations Unies, la vie d'environ six millions de personnes est menacée.
De sa ville natale de Minneapolis, au Minnesota, Adam partage toujours des vidéos de ces vastes steppes où la rareté des pluies a contribué à l'extinction des animaux dont dépendent les populations pastorales pour survivre.
“Ce que j'ai présenté sur Facebook est terrifiant”, affirme-t-il à propos des images de mères désespérées portant des enfants émaciés.
C'est pour cette raison qu'Adam a lancé avec un ami de lycée, Kali Mohamed, une campagne en ligne sur GoFundMe, dans le but de lever des fonds pour les victimes de la sécheresse. Il utilise Facebook Live et SnapCash, et il peut aussi compter sur l'aide de « guerriers des réseaux sociaux » : Nadira Mohamed et Hafsa Jibril, toutes deux âgées de 23 ans. L'équipe a réussi à collecter plus de 80 000 dollars en un mois.
Son initiative montre le rôle fondamental que jouent les réseaux sociaux pour les Somaliens de la diaspora, en connectant des personnes dispersées aux quatre coins du monde en raison de vingt années de guerre civile dans leur pays natal.
Mais cela va bien au-delà d'un phénomène «social». L'omniprésence des réseaux sociaux parmi les jeunes de la génération Y qui vivent hors de Somalie est propice à l'obtention de soutiens pour les causes humanitaires, d'une manière qui n'était pas possible auparavant, car c'est un trait d'union en temps réel pour apporter de l'aide aux sinistrés.
Déjà par le passé, Adam et Mohamed avaient organisé plusieurs campagnes de collecte de fonds, comportant des projets pour lutter contre la famine, et pour aider les victimes de brûlures et de viols. Pour chaque nouveau projet, les réseaux sociaux jouent un rôle de plus en plus important. C'est pourquoi maintenant l'équipe les utilise de manière « agressive », affirme Adam, « car les gens s'engagent, les commentaires sont instantanés, et en plus nous bénéficions de l'algorithme de Facebook. Dès que tu te connectes, les gens —les 20 000 ou 30 000 followers que tu as— c'est toi qu'ils voient en premier…et hop ! ».
Le 4 mars, Adam et Mohamed ont diffusé une vidéo sur Facebook Live dans laquelle, installés dans le grenier de Mohamed à Minneapolis, avec seulement un drapeau de la Somalie en toile de fond, ils demandaient de l'aide pour collecter des fonds. C'était un décor modeste, mais ce qui devait être une retransmission de 20 minutes a fini par durer une heure, car de plus en plus de gens se connectaient pour voir, faire un commentaire ou bien un don. Adam estime qu'en 24 heures, les dons ont été quasiment multipliés par trois, passant de 3 000 à 8 000 dollars. Dix jours plus tard, il affirme que la campagne de collecte de fonds a permis de réunir une moyenne de 4 000 dollars par jour, une somme énorme qui, selon Adam et Mohamed, aurait été impossible à atteindre sans l'aide des réseaux sociaux.
Et il faut savoir qu'en 2011, Adam avait essayé de collecter de l'argent pour aider à combattre la famine, en faisant du porte à porte, et en appelant au téléphone de potentiels donateurs. A cette époque, Snapchat et Facebook Live n'existaient pas, et les plateformes de financement participatif comme Kickstarter ou GoFundMe en étaient à leur début. Il avait pu récolter à peine 2 000 dollars pour l'organisation humanitaire somalienne Adeso.
En plus de sa portée limitée, la collecte de fonds présente une autre difficulté : le sentiment de déception envers l'aide internationale. Les Somaliens ne peuvent ignorer le fait que des milliards de dollars pour l'aide humanitaire, gérés par toute une industrie humanitaire ont eu un effet imperceptible sur le pays appauvri. Pendant la famine de 2011, le magazine Foreign Policy s'est aussi fait l'écho de ce problème : « Malgré tout l'argent qui a été envoyé à la Somalie, le pays est toujours loin d'avoir atteint une situation stable ».
Les Somaliens qui vivent à l'étranger sont très peu confiants que leurs dons bénéficient aux personnes auxquelles ils sont destinés. Selon Adam, les Somaliens de l'étranger préfèrent envoyer l'argent directement à leurs familles par la méthode traditionnelle de mandat appelée ‘hawala’ plutôt que de faire des dons à des organisations non gouvernementales.
C'est pour cette raison qu'Adam et son équipe ont choisi de donner l ‘argent recueilli grâce à leur campagne actuelle à trois respectables organisations somaliennes. En mars, ils enverront 20 000 dollars à Amoud Foundation, une organisation d'aide humanitaire somalienne. La fondation a sorti de sa poche 35 000 dollars qui s'ajoutent à cette somme, et elle a dépensé la totalité en nourriture, eau et bâches en plastique pour couvrir les tentes de la région de Baidoa. Les photos montrent des employés déchargeant les camions remplis de riz, de lait en poudre et d'huile de cuisson, alors que la foule se rassemble pour récupérer les denrées. Mohamoud Egal, président de Amoud Foundation affirme que cet argent était suffisant pour fournir de la nourriture à 1 150 familles et de l'eau à 10 378 foyers.
Egal explique qu'Amoud Foundation a généré de la confiance tant parmi les donateurs que parmi les bénéficiaires, car elle n'est pas perçue comme une organisation étrangère faisant l'aumône.
«Nous faisons partie du paysage réel…Nous appartenons à la communauté», ajoute-t il. «C'est pour cela que nous avons du succès».
Il est important d'être efficace, et c'est là qu'Arnoud bénéfice d'une position privilégiée : ils n'ont pas besoin de sécurité privée dont le coût peut aller jusqu'à plusieurs centaines de dollars par jour pour les volontaires humanitaires étrangers et limiter considérablement les opérations dans les zones où le groupe insurgé Al Chabab est actif.
Malgré tout, Adam et Mohamed affirment que les critiques les accusent d'aider les régions du pays dont fait partie leur propre groupe tribal. C'est une accusation qui les révolte même si cela ne les surprend pas. Ils soutiennent qu'ils sont toujours des étudiants à plein temps, et non des philanthropes milliardaires. Adam affirme qu'avec Mohamed, ils font tout ce qu'ils peuvent pour s'assurer que la priorité soit donnée aux régions les plus à risque.
Ainsi, ils s'efforcent d'être transparents en montrant comment ils ont dépensé l'argent sur une page Facebook appelée Somalia Forward.
« De nos jours, personne ne peut cacher la vérité car internet est très transparent, tout le monde a… un téléphone portable qui peut enregistrer ce qui se passe ou ce qui ne se passe pas », affirme Adam.
Le fait que la Somalie ait pu créer un réseau de télécommunications moderne a permis à l'équipe de donner la possibilité aux donateurs de connaître à tout moment la façon dont l'argent a été utilisé.
« Lorsque tu parles de la manière dont l'argent a été dépensé, tu dois être plus concret, et tu dois fournir tous les détails que les gens te demandent pour pouvoir gagner leur confiance », affirme Mohamed.
Moins de trois jours après que l'équipe a transféré l'argent, Amoud Foundation avait déjà acheté la nourriture et l'eau, et commencé la distribution. En plus, ils avaient envoyé les photos aux donateurs. C'est ainsi que les réseaux sociaux ont restauré la confiance dans les programmes d'aide aux sinistrés, et cela a donné un nouvel élan à la fondation.Cette fois-ci, grâce à l'appui des Somaliens eux-mêmes.
Linda Polman, auteur de The Crisis Caravan, et forte opposante à l'industrie de l'aide humanitaire, estime qu'il est peu probable que de tels programmes basiques apportent un grand changement comparés à des projets soutenus par les NationsUnies et très mal financés.
« Ces projets ne vont pas vraiment éradiquer la faim, par exemple….mais ils contribuent à faire que les gens se sentent mieux », déclare Polman. Cependant, elle admet « qu'il est très important de se sentir maître de son avenir, ou au moins en partie ».
Et comme de nombreux Somaliens qui sont partis de leur pays, Adam et Egal souhaitent avoir ce pouvoir.
« Nous voulons prendre soin de notre peuple »,déclare Egal. « Nous pouvons réellement aider notre peuple, si nous coopérons tous ».