Dans un Mozambique en crise, le gouvernement approuve l'achat de voitures de luxe pour les députés

Chaque voiture coûte près de 200.000 euros, soit un total de 3,35 millions d'euros. Photographie : @N93 sur Flickr, CC BY 2.0.

Sauf mention contraire, les liens de cet article envoient vers des pages en portugais.

Les finances publiques du Mozambique sont peut-être hors de contrôle, mais cela n'a pas empêché l'Assemblée de la République d'acquérir dix-sept voitures Mercedes Benz, modèle C-180, à usage des députés. Chaque voiture coûte près de 200.000 euros, ce qui représente un total de 3,35 millions d'euros.

L'acquisition a provoqué l'indignation sur les réseaux sociaux car elle est intervenue à un moment délicat pour les finances publiques du pays. L'économie mozambicaine jusque-là florissante a été sérieusement affectée en 2016, quand il est apparu que trois entreprises avaient contracté secrètement des emprunts d'une valeur de près de 1,23 milliards d'euros (équivalent à 10% du PIB du pays) auprès de banques britanniques, avec garantie étatique mais sans que l'Assemblée en ait été informée.

Maintenant, l'état peut faire l'objet d'un litige avec les fonds vautours qui possèdent les obligations, comme cela s'est produit en Argentine en 2005. Au Royaume-Uni, ce cas a ravivé le mouvement Jubilee Debt Campaign [Campagne pour l'annulation de la dette], un groupe militant britannique qui met la pression sur les créanciers afin qu'ils ne bloquent pas les renégociations des dettes des pays en voie de développement avec les banques britanniques, ce que le président mozambicain Felipe Nyusi est en train d'essayer de faire.

Tant que les négociations n'aboutissent pas, l'état est obligé de pénaliser la population pour équilibrer ses comptes à court terme : en 2016, le gouvernement a supprimé le treizième mois (le bonus de Noël) de certains fonctionnaires publics.

L'acquisition des voitures a été faite par la Commission permanente de l'Assemblée, l'organisme qui coordonne les activités de l'Assemblée, sans avoir cependant été soumise aux législateurs.

Deux jours après que la décision a été rendue publique, le porte-parole du Ministère de l'Economie et des Finances s'est adressé à la presse et a défendu le coût exorbitant des transports des députés :

É de direito que os membros da Assembleia da República sejam transportados por carros protocolares daquele nível, como acontece com os membros de outros órgãos de soberania do Estado.

Il est normal que les membres de l'Assemblée de la République se déplacent en voitures protocolaires de ce niveau, comme c'est le cas dans d'autres organes représentatifs de la souveraineté de l'état.

Manuel de Araújo, professeur universitaire et maire de la municipalité de Quelimane, a critiqué l'achat et a confirmé qu'il ne s'agit pas d'une affaire de droit mais du mauvais moment de l'acquisition, alors que la nouvelle des “prêts illégaux” des trois entreprises, comme l'appellent les mozambicains, est encore fraîche :

Não nos entendam mal, não estamos contra os Mercedes Benz que vos dão estatuto, estamos é contra o momento em que tomaram a soberana decisão de os adquirir sem olhar para o contexto em que o país se encontra por causa da vossa preguiça em fiscalizar as ações do governo! Ou seja o país está onde está em parte porque vós não fostes capazes de fiscalizar ação do governo e como se não bastasse incluíram tais dívidas [ilegais] na Conta Geral do Estado, tentando legalizá-las para que seja o pacato povo a pagar as falcatruas de uns e de outros”.

Pour qu'il n'y ait pas de malentendu, nous ne sommes pas contre les Mercedes Benz que la loi leur accorde, nous sommes contre le moment où la décision souveraine de les acquérir a été prise sans voir le contexte dans lequel le pays se trouve, par paresse de votre part dans la supervision des activités du gouvernement ! En d'autres termes, si le pays en est rendu là, c'est en partie parce que vous n'avez pas été capables de superviser les actions du gouvernement qui, comme si cela ne suffisait pas, inclut ces dettes [illégales] dans les comptes de la nation, en essayant de les légaliser pour que ce soit le peuple silencieux qui paie la fraude des autres.

Beaucoup également ont souligné la situation chaotique du réseau de transports publics du pays. La demande dans les grandes villes est principalement couverte par des moyens informels et privés, des véhicules ouverts appelés “my love” [fr]. Zee Mavye, étudiant diplômé de l'Université Eduardo Mondlane, a publié sur Facebook :

Veja só como é irónico: o patrão [povo que paga imposto] está no My love às 5h apanhando banho de nevoeiro a caminho do gabinete para garantir a não falência da empresa, enquanto o empregado [deputado] ainda está dormir para depois fazer se transportar num Benz com vidros fechados quando forem 8:30 depois de um café garantido pelos impostos do patrão. Mas bem bem, estes não engasgam se ao pensar no sofrimento do povo?.

Quelle ironie : le chef [les contribuables] est en my love à cinq heures du matin où il reçoit un bain de brouillard en chemin pour le bureau afin de garantir que l'entreprise ne fasse pas faillite, alors que le travailleur [le député] continue à dormir et sera ensuite transporté dans une [Mercedes] Benz avec les fenêtres fermées à huit heures et demi après avoir pris un café garanti par les impôts du chef. Mais, bon, bon, cela ne vous étrangle pas si vous pensez à la souffrance du peuple?

Cette situation a motivé Venâncio Mondlane, député du plus petit parti en siège de l'assemblée, à faire campagne pour rejeter les voitures. Parmi les 250 députés, il est le seul à avoir affiché son indignation publiquement.

Le 15 juin par téléphone, le leader de l'opposition Afonso Dhlakama [fr] qualifiait l'achat de “lamentable” dans une conférence de presse à laquelle assistait Global Voices. Mais il ne mobilisera pas son parti pour l'annuler. “Il faut souligner que le parti du président ne donne pas l'ordre de rendre les voitures. Pourquoi ne donne-t-il pas cet ordre ? Parce que cet ordre a été donné par l'Etat, pas par nous. Les députés de Renamo [Résistance Nationale Mozambicaine, parti d'opposition, NdT] n'ont pas demandé des voitures de luxe et n'ont pas choisi la marque”, a-t-il déclaré.

Jorge Matine, chercheur au Centre d'intégrité publique, une organisation locale qui travaille pour la transparence publique, n'a pas beaucoup d'espoir de pouvoir inverser la situation : “Les fameuses Mercedes sont déjà dans les mains des leaders respectifs”, a-t-il déclaré.

Parmi les autres réactions dans les réseaux sociaux, l'analyste politique Domingos Gundana pose sa question sur Facebook :

Será que não podiam ter esperado a normalização da economia, a redução do custo de vida no bolso do cidadão, não podiam dar prioridade à materialização do dossier Paz, aprovando os instrumentos que estão em discussão [no parlamento] para depois receberem os tais Mercedes como prémio pelo trabalho feito? Nem Paz temos, nem comida temos, nem transporte público temos, nem medicamentos temos, salários sem datas fixas, crianças a sentar no chão debaixo de árvores e alguém esbanja dinheiro por algo que não é prioridade.

Vraiment, ils ne pouvaient pas attendre que l'économie revienne à la normale, que le coût de la vie diminue et corresponde enfin aux budgets des familles ? Ils ne pouvaient pas donner la priorité à la matérialisation du dossier sur la Paix [pour mettre fin au conflit latent dans le pays, NdT] pour ensuite recevoir ces Mercedes comme récompense pour le travail accompli ? Nous n'avons pas la paix, nous n'avons pas de nourriture, ni de transport public, ni de médicaments, des salaires payés sans date fixe, les enfants s'assoient sous les arbres et quelqu'un gaspille de l'argent sur quelque chose qui n'est pas prioritaire.

Bitone Viage, étudiant mozambicain diplômé en sciences politiques à l’Université fédérale de Pará au Brésil, a demandé aux membres de l'Assemblée sur Facebook qu'ils ne la considèrent pas comme une source d'enrichissement :

Prezados não façamos da Assembleia da República um grande jackpot, onde o voto popular é visto como casa de loteria. Será que há mesmo necessidade de proverem Mercedes Benz aos nossos deputados. Aliás, estes por sua vez mesmo sabendo que estamos face a uma tal propalada crise, que moral prevalecerá para aceitar os ditos Mercedes?

Ne faisons pas de l'Assemblée de la République le gros lot, où le vote populaire est vu comme une loterie. Est-il réellement nécessaire de donner des Mercedes Benz à nos députés ? Bien sûr, pour ces personnes elles-mêmes, tout en sachant qu'on est confronté à une crise si généralisée, quelle est leur morale pour accepter de telles Mercedes?

Il y a eu également des réactions sur Twitter :

Le gouvernement dépense 228 millions de meticais dans des derniers modèles Mercedes pour les députés. ?
Avec cette crise, cet argent pourrait construire des universités. ?

18 Mercedes, combien de pupitres d'écoles pourrait-on payer avec ça ? Ça, c'est la question que nous devrions tous nous poser.

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