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Des Colombiens envoient des lettres d'amour à d'anciens guérilleros pour leur souhaiter un bon retour dans la société

Catégories: Amérique latine, Colombie, Droits humains, Guerre/Conflit, Jeunesse, Médias citoyens
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Photo: Valentina Monsalve. Utilisée avec permission.

Cet article est une version écourtée de l'article “Lettres d'amour pour les guérilleros” publié sur Tea After Twelve [2]. Il est republié ici dans le cadre d'un partenariat avec Global Voices.

Pourquoi n'envoyons-nous des lettres d'amour qu'aux personnes que nous connaissons ? N'est-il pas plus important de donner de l'affection à ceux qui se sentent rejetés ? Cette idée qui hantait les jeunes militants colombiens Leonardo Párraga de la Fondation BogotArt et Cristian Palacios de la Young Youth Foundation, a servi d'inspiration pour la création de Cartas por la Reconciliación (Lettres pour la réconciliation) [3], une campagne qui encourage les jeunes gens à envoyer des lettres à des guérilleros.

Un événement historique venait de se produire dans leur pays et ils voulaient y prendre part : après des années de négociations, le gouvernement colombien était arrivé à un accord de paix avec les FARC (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes), mettant ainsi fin au conflit le plus long d'Amérique Latine.

Au niveau international, la conclusion de cet accord de paix a été perçue comme une avancée si importante que le président José Manuel Santos a reçu le Prix Nobel de la Paix pour ses efforts. Mais il reste du chemin à parcourir avant que ne s'installent véritablement la paix et la réconciliation. Les combattants de la guérilla qui ont vécu dans des camps illégaux pendant des années, qui ont été exposés aux discours de guerre et qui gardaient leur arme à leurs côtés 24 heures sur 24 vont maintenant devoir, d'une manière ou d'une autre, réintégrer la vie civile. Et la société colombienne, habituée à la peur constante et, dans certains cas, à la haine contre les guérilleros, devra les accepter et soutenir leur retour à une vie normale.

Leonardo et Cristian étaient convaincus que les jeunes Colombiens devaient se rassembler pour soutenir cette réintégration. Et c'est ce qu'ils ont fait : des milliers de jeunes ont déjà écrit des lettres d'amour à d'anciens combattants de la guérilla, leur souhaitant un bon retour dans la société. Leur objectif est d'écrire 6 900 messages, un pour chaque ancien guérillero, et de les leur remettre personnellement.

La Saint Valentin, source d'inspiration de la campagne

L'idée de Cartas de Reconciliación a vu le jour lors du Sommet mondial des lauréats du Prix Nobel de la Paix à Bogotá en février 2017, au cours duquel Leonardo et Cristian ont eu l'occasion d'échanger brièvement avec le lauréat du Prix Nobel de la Paix 2014, Kailash Satyarthi. Ce dernier disait que nous écrivons le jour de la Saint Valentin des tonnes de lettres d'amour à ceux que nous aimons, en oubliant ceux qui sont dans le besoin. Son objectif cette année, avait-il ajouté, était de transmettre de l'amour à ceux qui avaient le plus besoin d'encouragements.

Leonardo et Cristian ont adapté l'idée au contexte colombien et ont eu l'idée d'envoyer des lettres d'espoir et de soutien aux anciens combattants des FARC qui ont du mal à trouver leur place et à adopter un nouveau mode de vie. Selon eux, “les lettres montreront que la société colombienne est prête à passer d'un discours de guerre à un récit collectif de paix”.

Pour l'instant, la campagne a permis de récolter plus de 2 000 messages et les 735 premiers ont été remis aux destinataires. L'initiative est en place dans toutes les plus grandes villes de Colombie, parmi lesquelles Cali, Manizales, Medellín, Barranquilla et Bogotá.

‘Je n'aurais jamais pensé qu'on serait prêt à me pardonner’

Les 500 premières lettres ont été distribuées le 19 mars dans l'un des camps des Nations Unies dans la région de Caldono-Cauca. Un groupe de 40 étudiants de l'Université Javeriana de Cali ainsi que deux représentants du maire de Cali et Leonardo de la Fondation BogotArt se sont rendus dans le camp pour distribuer les lettres en personne.

Les membres des FARC se sont alignés comme ils le faisaient autrefois pour recevoir les ordres de leurs commandants, mais cette fois c'était pour recevoir des lettres de soutien provenant d'habitants de tout le pays. Ce fut un moment très émouvant pour tous ceux présents. “C'est incroyable le nombre d'émotions que l'on peut ressentir en l'espace de quelques heures, de la peur au bonheur en passant par tous les intermédiaires”, déclarait après coup Manuela Jiménez Avila, étudiante en sciences politiques.

Sandra Parra, du bureau du gouverneur de Valle del Cauca a rapporté cette expérience inoubliable:

Après la distribution des lettres, un ancien combattant m'a fait visiter le camp de la guérilla. Quand j'ai regardé dans l'un des ‘cambuches’ (sorte de cabane dans lesquelles vivent les membres de la guérilla), j'ai vu un homme en train d'écrire. J'avais peur de rentrer dans la maison car il y avait un lance-grenades MGL reposant sur le lit juste à côté de lui, telle une Belle aux bois dormant fatale. Je lui ai quand même demandé ce qu'il faisait. “Je réponds à une lettre qu'on m'a écrite: elle est très belle et remplie d'espoir. Personne ne m'a jamais rien écrit d'aussi beau, c'est pourquoi je veux y répondre.”. Les larmes se sont mises à couler sur mon visage. Je l'ai serré dans mes bras et je me suis assise à côté du lance-grenades. Peut-être ce dernier était-il fatigué de la guerre lui aussi, épuisé d'être son fidèle compagnon depuis des années, et peut-être voulait-il l'aider à écrire cette lettre. Il m'en a raconté plus sur sa vie, qu'il n'en n'avait jamais rien attendu d'autre que la guerre et que rejoindre les FARC avait été pour lui et ses six frères le seul moyen d'échapper à la faim. “Je n'aurais jamais pensé que quelqu'un serait prêt à pardonner mes erreurs mais je sais désormais que la société nous attend les bras ouverts. Jusqu'à maintenant, la seule chose que je savais faire c'était tenir une arme et en prendre soin. Mais pour la paix, je peux apprendre à faire bien des choses et à travailler dignement.”

Des voix qui sortent du silence

Pour donner le coup d'envoi de l'événement, des étudiants et certains dirigeants des FARC se sont assis pour un tour de parole. Les étudiants avaient grandi pendant la guerre, à l'époque où les FARC étaient déjà une organisation clandestine. Alors les dirigeants des FARC ont raconté l'histoire de leur organisation, leurs idéaux et leur point de vue sur le processus de paix: “Après avoir pendant des années été témoins de l'injustice sociale causée par l’État au peuple colombien, nous pensons que cette occasion de nous muer en parti politique nous permettra de transformer le pays en une société plus équitable. Un objectif de cette ampleur vaut la peine de surmonter tous les obstacles.” a déclaré l'un d'entre eux.

Impressionnée, Manuela témoigne :

Entendre les témoignages de ceux qui n'ont jamais eu voix au chapitre ou le pouvoir de voter, et réaliser que ceux que j'ai souvent considérés comme des monstres jusqu'au point de les haïr étaient aussi des êtres humains dotés de bons sentiments déformés par l'environnement dans lequel ils ont dû vivre et par des conditions qui les ont façonnés. C'était très douloureux. La réalité du pays fait mal, mais il est réconfortant de voir que tous les êtres humains, même ceux qui ont tué et causé tant de dommages, ont quelque chose à nous apprendre, avec en plus un sourire ou une embrassade à offrir.

De nombreux anciens combattants ont répondu aux lettres. Gustavo González, commandant du campement de Caldono-Cauca, par exemple, a rédigé les lignes suivantes à l'intention de l'archevêque de Cali, Darío de Jesús Monsalve :

On a fait croire aux Colombiens que la paix viendrait avec le désarmement. Ce n'est pas le cas. Tant qu'il y aura des inégalités, la faim, le chômage et le manque d'éducation et de services de santé, il y aura toujours des personnes prêtes à prendre les armes, à se révolter, à manifester pour réclamer leurs droits, et cela est complètement légitime (…) Aujourd'hui, les FARC misent sur la paix, sur une politique sans armes. C'est pourquoi nous appelons tous les partisans de la paix, quelle que soit leur origine, leur religion ou leur idéologie, à s'élever au-dessus de ceux qui souhaitent un pays en guerre. Nous vous donnons notre parole, notre contribution et notre sacrifice parce que nous sommes les mieux placés pour savoir que rien n'est facile et que les défis à relever sont nombreux pour ceux qui défendent la vie comme clé de voûte de l'existence. Nous rencontrerons de nombreux obstacles mais nous les surmonterons ensemble.