Les relations complexes entre Addis-Abeba et l'Oromia, la plus grande région d'Ethiopie

La cathédrale de la Sainte-Trinité à Addis-Abeba a été construite après 1941 pour commémorer la libération de l'Ethiopie de la colonisation de l'Italie fasciste. Photo de David Stanley via Flickr. CC BY 2.0

La cathédrale de la Sainte-Trinité à Addis-Abeba a été construite après 1941 pour commémorer la libération de l'Éthiopie de la colonisation de l'Italie fasciste. Photographie de David Stanley via Flickr. CC BY 2.0

À la fin du mois de juin, le Conseil des ministres éthiopien a révélé un projet de loi régulant les questions de services sociaux, de langues, d'éducation et de culture impliquant la capitale du pays et la région administrative d'Oromia, la plus grande d'Éthiopie et dans laquelle se trouve Addis-Abeba.

Le gouvernement et ses partisans affirment que la loi est nécessaire pour remédier aux injustices historiques que le peuple oromo a subies depuis la création d'Addis-Abeba. Les critiques considèrent la loi comme une tactique pour priver les résidents d'Addis-Abeba de certains de leurs droits. D'autres vont plus loin dans leurs soupçons et pensent que la loi vise à aggraver les relations ethniques déjà sensibles en Éthiopie.

La majeure partie du débat se concentre dans la confrontation entre élites régionales et celles plus cosmopolites, tradition contre modernité, et ethno-nationalistes contre militants d'une Éthiopie unifiée – divisions qui sont souvent source de conflits dans le pays.

Sur la carte éthiopienne, Addis-Abeba est une étendue de hautes plaines à l'intérieur de l'État d'Oromia. Avec seulement 0,047 % du territoire du pays, Addis-Abeba est la plus grande région métropolitaine du pays. De nombreux groupes ethniques et religieux de tous les coins de l'Éthiopie y vivent; un nombre significatif de ses 4 millions de résidents se présentent généralement comme cosmopolites, libéraux et post-ethniques.

La région d'Oromia, quant à elle, abrite les gens de l'ethnie oromo, le plus grand groupe ethnique, comprenant au moins 34 % des 100 millions d'éthiopiens, mais qui ont été aussi toujours politiquement marginalisés. Addis-Abeba est le siège du gouvernement actuel – EPRDF, qui est dominé par le Front de libération populaire Tigrayan [fr]- et bien qu'elle soit à l'intérieur de cet état, elle n'en fait pas partie; c'est le gouvernement fédéral qui la contrôle et ce depuis 1991, lorsque l'Éthiopie a été transformée en une fédération de neuf États régionaux sur une base ethnique.

Cependant, la Constitution éthiopienne a accordé à la région oromo ce que le gouvernement a appelé un “Intérêt spécial” sur Addis-Abeba lorsqu'elle a été adoptée en 1995, en raison de l'emplacement particulier de la ville.

L'objet du nouveau projet de loi est de légiférer sur les dispositions considérées par la constitution “d'intérêts particuliers”  afin de résoudre d'autres problèmes qui se sont posés entre l'administration de la ville d'Addis-Abeba et la région d'Oromia, tels que l'expansion éventuelle des limites de la ville, ce qui comporterait l'expulsion d'agriculteurs Oromo dont la subsistance dépend des terres agricoles situées autour de la ville.

Cette expansion, entre autres choses, a été au cœur des manifestations des étudiants oromos de 2014 à 2016, sévèrement réprimées par le gouvernement éthiopien; selon les organisations de défense des droits de l'homme, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers arrêtées [fr] avant que le gouvernement ne déclare l'état d'urgence en octobre 2016.

La loi proposée est controversée, mais beaucoup d'observateurs s'attendent à ce qu'elle soit adoptée au cours des prochains jours.

L'horizon d'Addis-Abeba plein de gratte-ciels fournissent une toile de fond pour la place Meskal, site de défilés militaires et de rassemblements pendant l'ère communiste qui s'est terminée en 1991. Photo de David Stanley via Flickr. CC BY 2.0

L'horizon d'Addis-Abeba plein de gratte-ciels fournit une toile de fond pour la place Meskal, site de défilés militaires et de rassemblements pendant l'ère communiste qui s'est terminée en 1991. Photographie de David Stanley via Flickr. CC BY 2.0

Incorporation de l'identité Oromo dans Addis-Abeba

Il y a environ 13 “titres” dans le projet de loi, tous relatifs à “l'intérêt spécial” de l'État d'Oromia sur Addis-Abeba.

Dans ses principales dispositions, le projet de loi intégrerait l'oromo (connu sous le nom de “afaan oromo”) en tant que langue de travail de la municipalité, obligerait le gouvernement de la ville à dispenser une éducation aux résidents d'Addis-Abeba dont la langue maternelle est l'afaan oromo et préserverait les enclaves culturelles et les édifices oromos de la ville. Le projet de loi stipule également l'utilisation du nom oromo Finfine (en langue oromo) en usage alternatif à Addis-Abeba et permettrait de renommer les rues, les places publiques et les quartiers à Addis-Abeba avec des noms commémorant la culture et l'identité oromo.

Cette partie du projet de loi a été largement débattue sur les médias sociaux car elle traite de l'histoire, de l'identité et de l'utilisation des langues à Addis-Abeba.

Les adversaires craignent que cela ne cause une division et des conflits en faisant appel aux nationalistes oromos, et d'autres encore ont affirmé que les problèmes que ces dispositions prétendent résoudre n'existaient pas réellement.

Cependant, de nombreux nationalistes oromos soutiennent cette partie du projet de loi, même si c'est avec réserves.

À qui appartient les terres d'Addis-Abeba?

Les nationalistes oromos s'opposent catégoriquement à une autre partie du projet qui traite de la propriété des terres à Addis-Abeba.

Dans la pratique actuelle, le gouvernement fédéral est propriétaire des terres et le projet de loi affirme explicitement qu'Addis-Abeba est une entité fédérale. Mais le projet de loi autoriserait l'État d'Oromia à acquérir et développer des terres pour ses activités gouvernementales et les services publics sans paiement de taxes d'occupation.

Pour les critiques, ceci ne protège pas suffisamment les droits de propriété légitimes et historiques d'Oromia sur la ville d'Addis-Abeba. Comme l'a écrit un auteur invité du site d'analyse d'informations pro-gouvernemental, HornAffairs:

La Constitution prévoit clairement que, territorialement, l'État éthiopien est structuré en seulement neuf états régionaux. Il comprend le territoire de ces états membres.

Outre le territoire des états membres, il n'y a aucune terre appartenant au gouvernement fédéral ou à tout autre type d'administration. Toute conception d'Addis-Abeba comme une administration distincte avec sa propre juridiction territoriale séparée de l'État d'Oromia ou en tant que territoire fédéral est exclue dès le début.

Toute personne vivant dans Addis vit dans l'État régional d'Oromia.

Les opposants non-oromos du projet de loi affirment que cette section permettra la discrimination contre les résidents d'Addis-Abeba, qui se présentent généralement comme post-ethniques et cosmopolites. Sur Facebook, l'ancien président de la Chambre de commerce d'Addis-Abeba, M. Kebour Ghenna, a écrit:

Très bientôt, je célébrerai mon soixantième anniversaire à Addis-Abeba. Mon fils est né à Addis-Abeba. Je suis né à Addis-Abeba. Mon père est né Addis-Abeba. Mon grand-père aussi!

L'édit arbitraire du EPRDF de la semaine dernière, offrant Addis-Abeba, par une action absurde a été comme une surprise et un choc pour moi … Je suis sûr que c'est le cas pour beaucoup d'autres aussi. Ce décret renforce encore la tentative du gouvernement de diviser les Addis-Abebiens selon des critères ethniques, excluant un grand nombre de résidents.

Mais les nationalistes oromos font valoir qu'ils ont été expulsés par la force de leurs terres au cours de nombreux conflits sanglants, et qu'il est donc logique pour leur état d'avoir un certain droit sur la ville. Dans une réponse à M. Kebour Ghenna, M. Birhanemeskel Abebe a écrit:

Pas d'Armageddon! Pas d'apocalypse sur le retour d'Addis-Abeba en tant que ville à l'État d'Oromia et capitale!

Santé et emploi

Une autre composante importante du projet de loi traite des emplois, des services sociaux et des soins de santé.

Selon la pratique actuelle, tous les Éthiopiens à Addis-Abeba, y compris les Oromos, ont droit à l'emploi, aux services sociaux et aux soins de santé. Mais le projet de loi créerait des structures offrant des opportunités pour les jeunes Oromos qui vivent dans la ville d'Addis-Abeba et à proximité de celle-ci, ce qui semble impliquer qu'il existerait actuellement une discrimination contre les Oromos à Addis-Abeba. Opride, un site d'analyse d'informations a écrit:

… en outre, le projet prive de leurs droits et exclut les Oromos de la ville par une interprétation erronée des droits constitutionnels fondamentaux et des droits de l'homme comme intérêt particulier d'Oromia. Par exemple, une disposition clé sur les soins de santé indique que les Oromos vivant dans les villes et les zones rurales autour d'Addis-Abeba peuvent “accéder aux services de santé dans les hôpitaux gouvernementaux et les établissements médicaux comme tout résident de la ville”. C'est ridicule. Cela implique qu'il existe une loi qui empêche actuellement les Oromos d'avoir un traitement médical dans les hôpitaux publics et les cliniques d'Addis-Abeba. Ou que les résidents d'Addis-Abeba bénéficient actuellement d'un accès et d'un traitement préférentiels dans les établissements de santé publique de la ville.

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