Au Tadjikistan, le parlement veut contrôler les citoyens visitant des sites internet ‘indésirables’

Monument de l'Indépendence à Douchanbé, Tadjikistan. Photo de Roberts Wilson via Flickr (CC BY-ND 2.0)

Les services de sécurité au Tadjikistan vont bientôt avoir le droit de suivre les activités en ligne des citoyens, en tenant un registre détaillé des SMS et messages des téléphones cellulaires, des commentaires sur les réseaux sociaux, et de quiconque visite “des sites internet indésirables”.

Cette semaine, les parlementaires ont voté une loi qui donne aux services de sécurité du pays le droit de suivre et de contrôler les activités en ligne des citoyens, dans le cadre de l'ensemble d'une série d'amendements à la loi pénale actuelle.

Ceux-ci n'ont pas encore été rendus public mais le site internet d'informations locales Asia Plus a obtenu des spécialistes et des parlementaires quelques détails. Selon le site, deux unités spécialisées en cybersécurité au Ministère de l'Intérieur seront chargées de suivre en ligne les Tadjiks.

Le député local Saidjafar Ismonov a dit à Asia Plus à propos du “commentaire inapproprié,” qu'un commentaire pourra être sanctionné par une amende.  Des commentaires jugés portant atteinte à l'honneur d'une personne ou à la sécurité nationale peuvent être sanctionnés d'une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. La nature exacte  “du site indésirable” ou du “commentaire inapproprié” n'est pas précisée.

Une fervente partisane de la loi est Ozoda Rahmon, qui en plus d'être la fille du Président et son directeur de cabinet, siège en sénatrice au Majlisi Milli, la Chambre Haute de l'Assemblée nationale du pays.

Le député tadjik Jurakhon Mahmadzoda a été l'initiateur des amendements et les justifie par le fait, sans en apporter la preuve, que plus de 80 % des Tadjiks ayant accès à internet se rendent sur “des sites indésirables appartenant à des extrémistes et à des organisations terroristes.”

L'expert en technologie internet Muhammadi Ibodullev a dit au service tadjik de RFERL que l'affirmation de Mahmazoda pourrait s'expliquer par une simple erreur de compréhension. Au cours d'une conférence tenue récemment dans la capitale Douchanbé, un intervenant a dit que “80 % des membres tadjiks de l'EI [le groupe de militants fondamentalistes qui contrôlent des poches des territoires d'Irak, de Syrie et d’ Afghanistan] avaient été recrutés par d'autres, y compris par le biais d'internet.”

Ce sont deux statistiques très différentes, mais le député Mahmadzoda était pressé de trouver une solution à ce qu'il perçoit comme une perte de contrôle d'internet.

Réagissant aux nouvelles, les utilisateurs de Facebook ont fait part de leurs inquiétudes quant à la manière de déterminer le caractère “indésirable d'un site”:

Без опубликованного списка могут интерпретировать что угодно. Зайдешь на сайт, выйдешь. А кто-то после тебя там напишет что-то новое а ты там был…

En l'absence de liste publiée [de sites internet] ils peuvent l'interpréter comme bon leur semble. Tu vas sur un site et tu le quitte. Mais après ta visite le site peut publier quelque chose de nouveau et tu y as été…

La loi illustre aussi un changement de stratégie du gouvernement tadjik, qui dans le passé avait choisi de censurer les sites internet et services controversés. Maintenant, plutôt que d'empêcher les citoyens d'accéder à du contenu en ligne, ils vont utiliser ces sites comme des moyens de suivre les activités des citoyens.

En fait, durant plusieurs années, le Tadjikistan a périodiquement bloqué l'accès aux réseaux sociaux populaires, tels que ceux des russes Odnoklassniki et VKontakte, Facebook, YouTube, et les sites internet d'informations locales. Ces sites étaient en général bloqués durant les périodes de vives tensions politiques ou de troubles de l'ordre public, comme les affrontements armés dans certaines parties du pays. YouTube a été bloqué pendant une semaine en 2013 après qu'une vidéo du Président Emomali Rahmon dansant au mariage de son fils fut devenue virale.

Après quelques semaines ou mois, l'accès a été entièrement rétabli sous la pression internationale. Mais durant ces dernières années, la totalité de ces sites internet ont été bloqués, sans la moindre explication particulière.

Le gouvernement admet rarement qu'il ordonne le blocage d'internet, mais les fournisseurs d'accès à internet ont confirmé à plusieurs reprises avoir reçu de fréquentes injonctions verbales des autorités.

Le manque chronique d’accès aux réseaux et plateformes d'informations ont provoqué l'utilisation généralisée des Réseaux privés virtuels qui sont devenus pour les citoyens tadjiks le principal moyen d'accès aux sites bloqués et surtout aux réseaux sociaux.

Mais cela pourrait changer avec la nouvelle législation. Il semble que les autorités aient choisi de bientôt rendre accessibles les réseaux sociaux pour les utiliser comme moyens de surveillance des citoyens, plutôt que de contrôler le public en mettant ces sites internet hors de sa portée.

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