Cet article a été écrit par Anne Bailey et initialement publié sur PRI.org [en anglais] le 10 juin 2017. Nous le republions ici dans le cadre d'un partenariat entre PRI et Global Voices.
Un bébé pleure pour qu'on s'occupe de lui, pendant que sa mère prépare le thé, tout en surveillant le poêle de la yourte familiale, ou ger. Entre les épais murs de toile, l'air est rempli d'odeurs de fumée et de fromage. Deux garçons plus grands jouent dehors.
C'est une scène que l'on peut observer depuis des siècles en Mongolie, en toute saison et presque en tout point des immenses plaines du pays, où des familles d'éleveurs nomades suivent leur troupeau, comme l'ont fait un nombre incalculable de générations.
Mais la Mongolie change vite. Et cette famille nomade vient de planter sa maison portative dans un endroit où elle n'aurait jamais imaginé s'installer — un patchwork de chemins de terre, de clôtures de fortune et de yourtes par centaines dans la capitale mongole bondée : Oulan-Bator.
Voici quelques années, cette famille a abandonné l'élevage après avoir perdu une partie de son bétail au cours d'un de ces hivers extrêmement rigoureux qu'ici on appelle le «dzoud».
Et ils ne sont pas les seuls.
«Il y a tellement de nomades qui ont perdu leurs bêtes [à ce moment], dit Jargalsaïkhan Erdene-Baïar, le père de famille. C'est comme ça qu'ils ont commencé à migrer ici. Et ce n'est pas fini.»
Le «dzoud» a toujours fait partie de la vie mongole, mais avec les changements climatiques, il semble qu'il revienne de plus en plus souvent. Ce qui contribue à créer une cascade de problèmes : la perte des traditions, les familles déplacées, la surpopulation. Et le smog.
Levez les yeux par une journée d'hiver, et vous pourrez voir ceci.
«Ça fait un dôme au-dessus de la ville, un dôme gris», nous dit un militant local, Tougouldour Tchoulououn-Bator.
Cet hiver, de nombreux nouveaux arrivants ont fait brûler tout ce qu'ils ont pu pour se tenir chaud.
«Du charbon, dans la plupart des cas, explique M. Tchoulououn-Bator. Mais vous savez, il en y en a qui ont essayé de faire brûler autre chose, des pneus, du plastique.»
Ce sont des carburants très sales, qui polluent encore plus s'ils sont utilisés dans ces poêles traditionnels conçus pour brûler du bois ou des bouses. Ainsi, ce smog venant de tout ce qui brûle, ajouté aux moyens de transport, aux centrales électriques et aux industries, stagne au sol, piégé par la couche d'air froid qui enveloppe les montagnes voisines. Tout cela génère une qualité d'air qui, dans cette ville de 1,4 million d'habitants, arrive à être encore plus mauvaise que dans des métropoles tristement célèbres pour leur pollution, comme Pékin ou Mumbai.
La famille Erene-Baïar brûle à elle seule trois tonnes de charbon en un seul hiver.
Ils savent que se chauffer de cette façon est mauvais pour la santé, mais ne voient pas d'autre solution.
«Le charbon, c'est le seul moyen, explique M. Erdene-Baïar. La Mongolie n'a pas de gaz naturel, et l'électricité est chère.»
Le gouvernement de la Mongolie a dépensé des millions de dollars ces dernières années pour lutter contre la pollution. Et il prévoit d'en dépenser encore plus en construisant des immeubles dotés d'un chauffage central plus efficace, destinés aux familles qui vivent encore en yourte. Mais les progrès sont lents, et de nombreux migrants n'ont pas envie de renoncer à leurs maisons traditionnelles pour des murs de béton. Beaucoup espèrent encore revenir à leur ancien mode de vie. Un vœu qui ne paraît guère réalisable.
«La désertification est une réalité, un vrai problème, explique Batiargal Zamba, météorologue et consultant du ministère de l'Environnement [en mongol]. Sans compter qu'avec le réchauffement, la zone aride de la Mongolie va s'étendre.»
Ce qui signifie qu'il y aura moins d'herbe pour le bétail. Et donc, vraisemblablement, encore moins de familles nomades et encore plus de migrants vers Oulan-Bator, et aussi encore plus de problèmes pour la ville.
Les militants locaux comme Tougouldour Tchoulououn-Bator savent bien qu'ils ne pourront pas résoudre à eux seuls ce vaste problème, mais ils font ce qu'ils peuvent. M. Tchoulououn-Bator participe à un projet collectif [en anglais] qui cartographie la société et l'environnement du camp de toile de la ville, depuis la distance moyenne jusqu'à un point d'eau aux décharges d'ordures illégales, qui polluent. Le but est d'utiliser des données pour aider les gens à unir leurs forces et les pousser à l'action.
«C'est réellement difficile d'obliger le gouvernement à faire quelque chose quand on est tout seul, dit M. Tchoulououn-Bator. Par contre, la voix de la communauté résonne très fort.»
Et les choses bougent petit à petit. Le gouvernement a proposé des avantages fiscaux pour que les petites entreprises produisent des poêles moins polluants, et encourage les gens à se chauffer à l'électricité, un peu plus propre.
Le processus reste tout de même très lent, et M. Erdene-Baïar, l'ancien éleveur, dit qu'il n'a remarqué aucune amélioration.
«La pollution de l'air, c'est un grave problème, dit-il. Vivre ici est très dangereux pour nous.»
Malgré tout, M. Erdene-Baïar et sa famille rêvent toujours d'un retour à la campagne, là où l'air est pur.
«Je veux garder le mode de vie nomade, dit-il. J'aime l'élevage.»