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Quel héritage nous laisse Tata Genaro, l'agriculteur qui a ressuscité la langue nawat ?

Catégories: Amérique latine, Salvador, Cyber-activisme, Ethnicité et racisme, Langues, Médias citoyens, Peuples indigènes, Rising Voices
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Genaro Ramírez à Santo Domingo de Guzmán, au Salvador. Photo publiée avec l'autorisation du collectif Tzunhejekat.

La communauté de locuteurs nawat du Salvador est endeuillée par la mort de Genaro Ramírez, le Salvadorien qui rêvait de ressusciter le nawat [2] [à ne pas confondre avec le nahuatl [3], NdE]. Il a été le premier et non des moindres à enseigner cette langue, et grâce à son travail acharné, il laisse aujourd'hui un héritage important pour la redynamisation de cette langue ancestrale.

Selon l’UNESCO [4], seulement 200 Salvadoriens parlent le nawat pipil. La majorité d'entre eux vivent dans un petit village appelé Santo Domingo de Guzmán, ou Witzapan, en nawat. C'est le village natal de Genaro et c'est là où il a travaillé à réveiller la langue durant plus de 40 ans. Il donnait des cours gratuits tous les jours de la semaine, de 8h00 à 17h00. Il était investi d'une mission. Dans ses propres termes [5], il explique :

(…) j'ai compris quel était ce pincement que je sentais depuis si longtemps dans mon cœur. J'ai senti que je ne pouvais pas continuer à vivre ainsi, et j'ai donc abandonné mes machettes dans le champ de maïs, et […] je me suis dit :  ‘quoi qu'il arrive, même si je dois mourir de faim, je dois enseigner le nawat.

Avant Genaro, il n'y avait pas de professeurs de nawat. La communauté indigène du Salvador est entrée dans un profond silence en 1932, lorsque 30.000 personnes, en majorité d'origine nawat pipil ont été exécutées par l'armée après s'être rebellées en raison de la famine qui sévissait pendant la révolte populaire qui a marqué le pays cette année. Le soulèvement [6] se caractérisait aussi par une révolte paysanne dirigée en partie par le Parti Communiste du Salvador qui, à la suite de sa défaite, a dénoncé des élections frauduleuses. Les événements, évoqués communément par ceux qui les ont vécus comme La Matanza [7] (Le massacre), sont encore aujourd'hui au cœur de nombreux débats.

Global Voices a rencontré Werner Hernández, membre du Collectif Tzunhejekat [8], dont le projet cherche à diffuser la langue nawat par différents moyens, et à rendre visibles ses locuteurs natifs. Hernández, qui a été lui aussi un élève et ami proche de Genaro Ramírez, parle de la situation de la communauté indigène salvadorienne :

“[la communauté indigène] a été très affectée, et elle s'est cachée. Ils ont changé leurs noms, leurs habitudes vestimentaires…leur langue. Ils parlaient encore tous [le nawat] à voix basse, lorsque Genaro, le premier professeur de nawat est apparu. Il savait qu'il était né pour cela”.

Hernández nous explique aussi que le premier professeur de nawat n'a pas uniquement réussi à rehausser la fierté du peuple indigène pipil pour son identité, sa culture et sa langue, mais il a aussi brisé les murs qui étaient dressés entre la communauté pipil et le reste du pays. Il a bâti des ponts avec l'extérieur. C'est grâce à lui que d'autres Salvadoriens, comme Werner, ont pu découvrir la face cachée de leur identité :

“Cela m'a donné la possibilité de vivre la merveilleuse expérience de me connecter avec moi-même en tant que Salvadorien. Dans notre collectif [Tzunhejekat], nous avons l'habitude de dire que le Salvadorien qui parle le nawat regarde le pays en trois dimensions, car nous pouvons saisir notre réalité, bien au-delà des mots.”

Werner rappelle aussi que la langue nawat est une ouverture vers un vaste univers culturel : “Il y a certaines nuances et couleurs que seule la langue nawat permet de comprendre. Ce n'est pas la même chose d'assister à un ballet et de lire un article sur le spectacle, ou bien de lire la traduction d'un poème.” Cette réflexion trouve sa place dans le débat actuel au sein du pays à propos de la nécessité d'investir des fonds dans la langue ancestrale. “Il ne faut pas confondre valeur et prix [économique]”, ajoute Werner.

Genaro a inspiré une nouvelle génération d'enseignants de la langue nawat, il a donné de l'élan à la recherche sur la langue, il a brisé des tabous, et en plus il a fait connaître la langue à tous les niveaux politiques dans le pays :

Paula López et “Tata” Genaro Monsieur Genaro Ramírez ont chanté en nawat pour le Président

Aujourd'hui, grâce à l'enthousiasme qu'il a insufflé, plusieurs projets numériques aident à diffuser la langue et à protéger la culture indigène pipil. On trouve des collectifs, comme Tzunhejekat  [13] et Iniciativa Portadores del Náhuat [14], des sites web linguistiques comme Tushik [15] et son groupe Facebook [16], des blogs en langue nawat comme Chachalaka [17], et aussi des initiatives individuelles sur YouTube : [18]

Werner Hernández conclut ainsi : Genaro Ramírez nous a laissé un terrain propice à la perpétuation du nawat. Sa mort scelle notre engagement à redonner une dynamique à la langue.